Jean-Marc Ueberecken: «Les assurances arrivent au Luxembourg et veulent recruter une dizaine de personnes. Mais je suis persuadé que ces équipes vont grossir au fil du temps.» (Photo: Gaël Lesure)

Jean-Marc Ueberecken: «Les assurances arrivent au Luxembourg et veulent recruter une dizaine de personnes. Mais je suis persuadé que ces équipes vont grossir au fil du temps.» (Photo: Gaël Lesure)

Managing partner d’Arendt, Jean-Marc Ueberecken envisage son rôle comme celui d’un facilitateur de consensus au sein de la direction d’un cabinet qui, s’il tient à son ADN légal, continue d’élargir ses activités dans le service et le conseil aux entreprises. Une croissance qui nécessite forcément une stratégie RH affûtée.

Retrouvez la première partie de cet entretien .

Pensez-vous à des besoins qui peuvent entraîner, sinon une nouvelle ligne de service, un renforcement d’une ligne existante?

. – «La gestion du risque est clairement un métier où il y a un fort besoin à Luxembourg, sans que l’offre ne soit suffisante. Certaines petites entreprises offrent des services dans ce créneau, mais les grands clients ne sont pas forcément enclins à leur confier leur dossier. C’est là que nous pouvons utiliser notre marque pour intégrer ce type de service en recrutant les profils adéquats. 

Nous observons aussi une demande de la part de certains grands clients de reprendre intégralement la gestion de leurs structures, dont l’organisation s’est considérablement développée au fil des ans. Nous voyons en réalité derrière cette demande de gestion de structures la question de la gestion des ressources humaines, à savoir la difficulté pour les clients de retenir leurs spécialistes en interne.

Sur certains dossiers, nous serons en concurrence avec d’autres cabinets, parfois avec des Big Four, mais nous voulons nous différencier, car notre expertise part du droit vers une offre globale. Certains clients ne vont d’ailleurs pas voir les Big Four, car ils pensent que le biais principal de leur dossier est juridique. Mais ils ont ensuite besoin de comptabilité, de déclaration fiscale, TVA… Ce sont des services que nous proposons via notre branche Arendt Services, qui emploie 150 personnes.

Arendt est-il devenu un cabinet de services, ou reste-t-il avant tout un cabinet d’avocats?

«Nous avons récemment repensé et revu notre site internet, avec une nouvelle architecture, une nouvelle identité visuelle, totalement rénovées. C’est une porte d’entrée pour tous les métiers. Pour y parvenir, nous nous sommes posé cette question en interne, entre le cabinet d’avocats et la société de services.

Il y a eu unanimité pour dire que nous devions rester axés, à la fois en termes de philosophie interne, mais aussi dans notre communication externe, sur le cabinet d’avocats. Ce positionnement donne un confort différent aux clients. Notre atout restera ce noyau du droit avec, en complément, une série de services.

NOS BUREAUX À L’ÉTRANGER VENDENT EN PREMIER LIEU LE LUXEMBOURG.
Jean-Marc Ueberecken, managing partner, Arendt

Jean-Marc Ueberecken, managing partner, Arendt

Vous avez ouvert depuis plusieurs années des bureaux à l’étranger. Vous vous considérez comme des ambassadeurs du pays?

«Nos bureaux à l’étranger vendent en premier lieu le Luxembourg, tant pour attirer des clients que des recrues. Cette Place luxembourgeoise se vend et rencontre l’intérêt par une combinaison de trois critères. Le premier est la spécialisation dans les matières financières transfrontalières. Le deuxième critère est l’Europe, nous sommes au centre de l’Europe.

Cela nous distingue de la Suisse, dont les banques ne peuvent pas prétendre avoir accès au marché unique sans une base européenne, par exemple au Luxembourg. Le troisième élément important pour le secteur bancaire est la zone euro, sinon vous n’avez pas accès à la Banque centrale européenne. 

Sur quels éléments faut-il travailler pour améliorer la compétitivité de la Place?

«Des clusters ont été créés depuis plusieurs années autour de différents secteurs, et ils ont pris une place importante. Je pense en particulier à celui des fonds Ucits, celui des fonds alternatifs et celui de la banque privée. Mais nous pouvons développer encore davantage celui de l’assurance. On observe aujourd’hui dans ce secteur ce que nous avons connu par le passé avec les autres.

Les assurances arrivent au Luxembourg et veulent recruter une dizaine de personnes. Mais je suis persuadé que ces équipes vont grossir au fil du temps. Le nombre des assureurs va aussi augmenter… et vous arriverez à terme à un millier de personnes supplémentaires employées.

L’alternatif connaît un succès grandissant. Comment l’expliquez-vous?

«Les compétences transfrontalières de la Place ont été clé, et non des considérations fiscales. Je pense aux fonds alternatifs français qui ont gardé leur base française pour la France et ont créé une base luxembourgeoise pour l’international. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons ouvert un bureau sur place, à Paris, pour capter toute cette activité.

Comment vivez-vous l’effet Brexit? 

«Il y a un déni très important dans le secteur financier en Angleterre. Seuls certains acteurs ont commencé à mettre en place des plans B, la seule exception étant les assurances, qui ont tout de suite agi, probablement en raison de leur culture de maîtrise du risque. Au niveau des fonds, nous estimons que le mouvement a commencé cet été, peut-être trop tard pour être à jour avant la date fatidique.

LES SYSTÈMES INFORMATIQUES ONT BEAUCOUP DE MAL AVEC LES MOTS.
Jean-Marc Ueberecken, managing partner, Arendt

Jean-Marc Ueberecken, managing partner, Arendt

Le Luxembourg s’est-il bien positionné vis-à-vis du Brexit, avec une approche relativement «soft» de la part du gouvernement?

«Le Luxembourg n’a pas intérêt à être trop «punchy». C’est de toute façon notre culture. Nous devons aussi être réalistes sur notre capacité à absorber de nouvelles activités. On parle de milliers de personnes actives ici sur la Place, de millions à Londres. Nous devons déjà gérer notre propre croissance luxembourgeoise. On ne pourrait pas absorber le transfert d’une banque qui emploierait 3.000 personnes. Même Francfort a beaucoup de mal.

Est-ce que le métier d’avocat est disrupté par la technologie?

«C’est un sujet auquel je m’intéresse beaucoup, et je peux vous dire que non – à ce stade –, mais des évolutions importantes viendront rapidement. Les systèmes informatiques ont beaucoup de mal avec les mots. Jusqu’à récemment, un système informatique n’arrivait pas à gérer les mots de façon complexe. Le droit a donc pris du retard par rapport à certains autres métiers. 

Dans nos différents métiers, on est forcé de travailler comme l’ordinateur nous l’impose. On est obligé de suivre le mécanisme du système. L’intelligence artificielle va retourner le paradigme pour faire en sorte que le système s’adapte à l’humain, avec, en point de mire, une répartition des tâches entre l’ordinateur et l’être humain. Aujourd’hui, même les grandes entreprises informatiques ont abandonné l’idée d’aller dans des solutions 100% informatiques. 

Chez nous, l’évolution technologique prend la forme de revue de grands volumes de textes par l’outil informatique intelligent pour nous aider à identifier les anomalies, des contradictions entre des documents, ou à mener une recherche ciblée. L’humain va ensuite utiliser son savoir-faire pour traiter l’information recueillie par l’intelligence artificielle. Certaines applications concernent aussi des tâches routinières, comme la constitution de contrats, ce qui facilite le travail, et donc la rétention de talents.

JE NE CROIS PAS À UN SEUL SYSTÈME INTÉGRÉ, MAIS À UNE COMPLÉMENTARITÉ ENTRE OUTILS.

Jean-Marc Ueberecken, managing partner, Arendt

Comment choisissez-vous le ou les outil(s) technologique(s), tout en mesurant ses/leurs investissements?

«Il faut disposer d’une certaine taille rimant avec des moyens suffisants. En revanche, je ne crois pas à un seul système intégré, mais à une complémentarité entre outils, qui aboutira à une grande transformation. Notre critère pour choisir des technologies est tout simplement le besoin du client, dont nous sommes souvent la mémoire depuis 10 ou 20 ans.

Avec un outil adapté et développé en interne – Arendt Lit-e Gate –, nous pouvons par exemple donner accès au client à toutes les pièces qui ont été produites dans les procès qui le concernent. Cela n’est pas anodin lorsque vous devez combiner des centaines de procès dans certains cas.

Le paysage luxembourgeois des cabinets d’avocats va-t-il évoluer vers une forme de concentration?

«La seule évolution que nous avons connue ces 10 dernières années a été l’arrivée de cabinets anglo-saxons, qui ont mis en quelque sorte le pied dans la porte. On se demandait si ces nouveaux entrants allaient nous grappiller de l’activité. Ce n’est pas la réalité que nous vivons actuellement. Au contraire.

Nous avons fortement progressé en termes de parts de marché, peut-être même à cause de ce contexte, parce que nous arrivons à avoir une offre unique. À la fin du compte, on se situe dans un marché différent de ces cabinets qui emploient souvent moins de 15 personnes au Luxembourg. La prochaine évolution sera le rapprochement de cabinets d’avocats avec les Big Four au Luxembourg.

  (Photo: Gaël Lesure)

  (Photo: Gaël Lesure)

Quel est le point commun entre la conduite d’un cabinet et la conduite d’une voiture de course, un sport que vous affectionnez particulièrement?

«Dans la voiture de course, pour être rapide, vous devez être capable de gérer toutes les informations qui viennent à chaque moment. C’est la capacité de prendre les informations, de les transformer et de réagir en une fraction de seconde qui vous rend fort en course automobile.

Dans la gestion d’une entreprise, il faut aussi être capable d’assimiler, de gérer et de synthétiser de nombreuses informations et de nombreux avis qui vous parviennent en permanence sur toutes sortes de sujets très disparates. La grande différence avec la direction d’un cabinet se joue par contre sur le temps. Sur la piste, j’ai un centième de seconde pour réagir; ici, ça se compte plutôt en semaines ou en mois. À 275 km/h, il vaut mieux réagir au bon moment!»