Arnaud Jacquemin: «Notre ADN réside dans le fait de répondre par des solutions innovantes à des besoins complexes des clients.» (Photo: Anthony Dehez)

Arnaud Jacquemin: «Notre ADN réside dans le fait de répondre par des solutions innovantes à des besoins complexes des clients.» (Photo: Anthony Dehez)

Arnaud Jacquemin a pris les rênes de Société Générale Bank & Trust il y a un an. Pour sa première interview, il dévoile sa stratégie ainsi que les potentiels de développement du groupe bancaire français qui emploie plus de 1.900 personnes au Luxembourg.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Le contexte de baisse continue des frais de gestion impacte-t-il vos activités?

.- «La concurrence se ressent sur tous les métiers. La qualité du service doit permettre de préserver et de développer notre rentabilité. C’est d’ailleurs précisément pour cela que nous ne cherchons pas à être présents sur tous les marchés ni à servir tous les types de clients. Notre ADN réside dans le fait de répondre par des solutions innovantes à des besoins complexes des clients. Cela nous permet d’être moins sensibles à la baisse de tarifs sur les services ou les produits très standards.

En banque privée par exemple, le segment de clientèle visé est celui des (ultra) high net worth individuals, c’est-à-dire les clients qui disposent de quelques dizaines de millions d’euros d’actifs minimum. Ce qui est rémunéré in fine, c’est d’abord la qualité de la conception et de l’ingénierie financière.

Restez-vous attentifs à de possibles opérations de croissance externe?

«Pour qu’une opération de croissance externe soit créatrice de valeur, il faut qu’un bon nombre de conditions soient clairement remplies. Nous préférons d’abord donner la priorité à la croissance organique. Au vu de la base de clientèle et du potentiel de clients attirés par le Luxembourg, il y a encore beaucoup de possibilités de développement. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas attentifs à des opportunités externes. Mais cela n’est pas un objectif en soi.

De quelle manière le modèle traditionnel de la banque privée est-il amené à évoluer?

«Certes, les besoins de nos clients évoluent. Mais ce qui perdure, c’est la capacité à répondre à des besoins d’organisation et de structuration patrimoniale. C’est un segment sur lequel nous sommes résolument positionnés. La concurrence risque en revanche d’être de plus en plus rude sur les approches classiques de gestion patrimoniale de ‘bon père de famille’.

Vous attendez-vous à une avalanche réglementaire avec la nouvelle Commission européenne?

«Parmi les réglementations prudentielles concernant les banques, les accords de Bâle 3 doivent encore être transposés en Europe, et certaines dispositions concernant les risques de marché, comme la FRTB (Fundamental Review of the Trading Book), sont encore devant nous.

En matière de grandes réglementations en dehors du champ prudentiel (protection des clients, fonctionnement des marchés, lutte anti-blanchiment, etc.), nous allons probablement continuer à assister à un affinement des cadres et de la jurisprudence réglementaires, qui n’ont pas encore le même niveau de maturité que ceux qui concernent le domaine prudentiel. Il faut donc s’attendre à ce qu’il y ait encore une intensification de certaines exigences.

Au Luxembourg, nous avons la chance d’avoir des autorités de tutelle qui ont une approche très bien pensée et pondérée.
Arnaud Jacquemin

Arnaud JacqueminCEOSociété Générale Bank & Trust

Y a-t-il des activités qui mériteraient d’être davantage régulées?

«Beaucoup a déjà été fait! Les réformes mises en place, et celles en cours de transposition, sont, dans l’esprit, entièrement pertinentes et tirent les leçons de la crise de 2008.

Il faut cependant se poser la question du degré d’exigence du régulateur: est-ce que ces réformes ont été pensées de manière suffisamment holistique et coordonnée? Et est-ce que la mesure de leur impact a été suffisamment bien appréciée?

Nous sommes en effet à un point où une intensification supplémentaire et significative des réglementations qui s’appliquent aux banques compromettrait leur rôle pourtant essentiel de financement de l’économie, et accélérerait les effets non souhaités de déport de l’activité traditionnelle des banques vers d’autres acteurs potentiellement moins régulés, et ayant moins d’expérience. Ce qui pourrait paradoxalement créer des poches de risques au final moins bien maîtrisées.

Au niveau national, quelles sont vos problématiques fiscales et réglementaires?

«Au Luxembourg, nous avons la chance d’avoir des autorités de tutelle qui ont une approche très bien pensée et pondérée. Les régulateurs et superviseurs s’attaquent ici aux zones de réels risques, ce qui constitue vraiment quelque chose d’essentiel.

Comment définissez-vous la finance «durable»?

«Il s’agit des activités de financement ou des produits d’investissement qui ont un impact positif sur le développement durable des sociétés et des acteurs. Je trouve également clé la notion de ‘finance à impact positif’: il est en effet très important que la finance soit capable de montrer en quoi elle a un impact positif sur le développement durable de nos sociétés au sens large.

Dans la stratégie de chacun de nos métiers, nous essayons de voir comment nous pouvons avoir un impact direct, ou indirect, via nos clients.

En 2017, le groupe Société Générale s’est engagé à ce que, de 2016 à 2020, 100 milliards d’euros soient déployés en faveur de la transition énergétique.
Arnaud Jacquemin

Arnaud JacqueminCEOSociété Générale Bank & Trust

Et comment cela se traduit-il concrètement dans vos activités?

«Concrètement, cela consiste par exemple à soutenir la transition énergétique. En 2017, le groupe Société Générale s’est engagé à ce que, de 2016 à 2020, 100 milliards d’euros soient déployés en faveur de la transition énergétique. L’objectif est d’ores et déjà atteint à 89% à la mi-mai 2019. D’autres engagements plus ambitieux encore ont été annoncés depuis, en octobre 2019. Il s’agit là d’initiatives concrètes. Dans les financements que nous octroyons, nous priorisons ainsi certains types de projets.

Cela concerne aussi bien le financement d’éoliennes, d’infrastructures de traitement des eaux que la réduction, voire l’arrêt du financement de nos clients qui utilisent le charbon.

Et nous nous assurons aussi de disposer d’une offre de produits d’investissement qui permette à nos clients d’investir dans des supports qui favorisent là aussi des financements à impact positif. Nous le proposons dans notre offre de gestion, en filtrant les émetteurs en fonction de critères ESG (environnementaux, sociaux, de gouvernance).

Comment la Place luxembourgeoise peut-elle devenir championne de la finance durable?

«Il y a une caractéristique marquante de ce domaine évolutif: beaucoup de notions et de thèmes différents sont mis en avant. Nous aurions intérêt à choisir quelques thèmes précis et à mettre particulièrement l’accent dessus, pour pouvoir concentrer nos efforts.

Et ce, d’autant plus que le fait de prouver un impact réel et positif en la matière va devenir de plus en plus important à ­l’avenir. Mais il faut pour cela parler la même langue.

Dès les années 2000, Société Générale a ainsi été le pionnier dans le cadre de l’initiative UNEP FI (United Nations Envi­ronment Programme Finance Initiative), pour mettre au point un certain nombre de critères concrets permettant de mesurer en quoi un projet aurait un impact positif ou non sur l’environnement.

Durable: Dès les années 2000, Société Générale s’est engagée dans l’initiative United Nation Environment Programme Finance Initiative. (Photo: Anthony Dehez)

Durable: Dès les années 2000, Société Générale s’est engagée dans l’initiative United Nation Environment Programme Finance Initiative. (Photo: Anthony Dehez)

Quelles initiatives «vertes» avez-vous prises dans votre travail au quotidien?

«Nous travaillons quasiment sans papier depuis la réorganisation de notre environnement de travail, il y a plusieurs années. Nous avons également pris des initiatives dans les bureaux, comme dans notre restaurant d’entreprise: il n’y a plus aucun gobelet en plastique, et plus aucune fontaine à eau en plastique.

Nous utilisons des tasses et de la vaisselle. Lorsque nous avons signé le manifeste  mi-2019, ces initiatives étaient déjà en place. Nous réfléchissons aussi à la mobilité des collaborateurs: notre parc d’automobiles de service est composé pour moitié de véhicules hybrides. Et avec notre filiale ALD Automotive, à la pointe en matière de mobilité douce, nous travaillons sur la possibilité de promouvoir l’usage, par nos collaborateurs, de vélos ou de trottinettes pour se déplacer d’un site à l’autre, et sur une future offre d’autopartage.

Vous avez fait toute votre carrière chez Société Générale. Qu’est-ce qui fait que vous n’êtes pas allé voir ailleurs?

«Le groupe m’a offert la possibilité d’exercer des activités particulièrement ­diversifiées. J’ai été à la fois en charge de financement de projets à Paris et à New York, de structuration de dérivés sur actions, de stratégie; j’ai été à la tête de la direction financière du groupe pendant une période à forts enjeux, puis de deux fonctions de contrôle passionnantes... Du point de vue du challenge intellectuel, et de la capacité à se renouveler et à diversifier son ­expérience, cette carrière a été exceptionnellement riche.

Et ce poste au Luxembourg l’est tout autant, car je peux mettre au service des clients et équipes de Société Générale Luxembourg toute cette expérience.»