Carine Feipel estime que les administrateurs sont de plus en plus conscients de leurs responsabilités.  (Photo: DR)

Carine Feipel estime que les administrateurs sont de plus en plus conscients de leurs responsabilités.  (Photo: DR)

Avocate, administrateur indépendant de sociétés, Carine Feipel a été élue le 18 juin dernier en tant que présidente de l’Institut luxembourgeois des administrateurs. Elle nous détaille ses futures responsabilités et celles des administrateurs de manière générale.

Quelles sont les grandes missions de l’Ila?

. - «L’Ila est une association sans but lucratif qui cherche à promouvoir le métier de l’administrateur et la bonne gouvernance dans les différentes organisations de notre société. Cela ne vise pas seulement les entités commerciales du secteur financier comme les banques, compagnies d’assurances, fonds, etc. Nous avons de plus en plus de demandes venant du secteur caritatif et autres asbl. De même, les PME et start-up s’intéressent de plus en plus aux sujets de bonne gouvernance. Nous avons d’ailleurs désormais des groupes de travail qui sont consacrés à ces différentes entités.

Dans ce contexte, l’Ila a pour objectif d’aider ses membres en organisant des formations et autres événements traitant de sujets de gouvernance. Nos différents groupes de travail émettent aussi régulièrement des guidelines ou brochures pour nos membres, sur des sujets bien variés.

Par ailleurs, l’Ila a pour mission de s’engager pour les intérêts de ses membres, comme toute organisation professionnelle. À ce titre, nous rencontrons régulièrement différentes autorités publiques pour échanger avec elles. De plus en plus, ces dernières nous consultent pour des projets de lois ou réglementations qui touchent à la gouvernance, ou tout simplement pour que nous participions à des groupes de travail, comme récemment la ministre de l’Égalité des chances qui a mis en place un groupe de travail pour promouvoir l’égalité et la mixité dans les postes à responsabilité.

Quels seront les grands objectifs de votre mandat?

«Les conseils d’administration sont de plus en plus confrontés à des questions plus variées et complexes. Aujourd’hui, il ne suffit plus de savoir lire des comptes annuels et réfléchir à un plan stratégique. Les nouvelles exigences dans les secteurs réglementés imposent de plus en plus de contraintes aux conseils d’administration, par exemple en matière de gestion des risques.

En outre, les avancées technologiques, l’intelligence artificielle, la digitalisation, etc., sont des sujets sur lesquels les conseils d’administration doivent discuter, pour comprendre ces opportunités et l’impact de ces développements sur la stratégie de la compagnie. Finalement, les sujets autour du changement climatique et le développement durable sont ou devraient être à l’ordre du jour des conseils d’administration. Il y a 10 ans, aucun conseil d’administration ne parlait d’ESG; aujourd’hui, c’est un must de traiter ces sujets au niveau le plus élevé dans les sociétés.

Aujourd’hui, il ne suffit plus de savoir lire des comptes annuels et réfléchir à un plan stratégique.
Carine Feipel

Carine FeipelprésidenteIla

D’où un besoin de plus en plus grand de formations?

«Oui, effectivement, c’est de toute manière ce que réclament nos membres en tout premier lieu. Il est donc important d’étoffer l’offre en l’adaptant aux besoins de nos membres. Nous devons faire en sorte qu’ils soient prêts et outillés pour prendre les bonnes décisions. Je serai donc à l’écoute de nos membres pour pouvoir répondre à leurs besoins.

Mais ces évolutions signifient aussi que nous avons besoin de nouvelles compétences dans les conseils d’administration. Les postes d’administrateurs ne sont aujourd’hui plus réservés aux personnes retraitées d’une autre fonction. Les plus jeunes y ont de plus en plus leur place. Nous cherchons donc à préparer de telles personnes à ce métier.

Ainsi, cette semaine, nous organisons une formation pilote à Luxembourg en collaboration avec l’Insead et qui s’appelle ‘Aspiring Directors’. Le programme, mené par des professeurs de l’Insead, est sold out, ce qui montre l’intérêt, tant des personnes qui se sont inscrites individuellement, que des sociétés qui y envoient l’une ou l’autre personne pour la préparer au métier d’administrateur.

On a parfois l’impression de voir les mêmes personnes dans de nombreux conseils d’administration. Faut-il assurer plus de variété parmi les administrateurs?

«Je pense que c’est une fausse image. Il y a beaucoup d’administrateurs qui sont moins visibles que ceux qu’on rencontre plus fréquemment. L’Ila compte aujourd’hui plus de 1.800 membres, cela montre le nombre important d’acteurs. Nous avons par ailleurs plus de 120 administrateurs certifiés, ce sont les administrateurs qui suivent certaines formations poussées, ont une expérience professionnelle d’au moins cinq ans comme administrateur et s’engagent à poursuivre leur formation de manière continue.

La tâche d’administrateur devient un métier. Quelles sont les qualités essentielles pour devenir un bon administrateur de société?

«En tout premier lieu, l’administrateur doit savoir écouter. Cela semble facile, mais c’est une vraie qualité de ne pas arriver à une réunion avec une réponse ou une solution qu’on cherche à imposer aux autres. La force d’un conseil d’administration, c’est justement l’addition des compétences et opinions qui sont autour de la table: pour que ces compétences puissent s’exprimer dans l’intérêt de la société et des différentes parties prenantes, il faut que les différents administrateurs forment une véritable équipe où chacun participe.

Un administrateur n’est habituellement pas un salarié de la société et n’occupe pas de tâche exécutive. Il doit rester à l’écart de la gestion quotidienne de la société. Il a un rôle de surveillance, pas d’exécution. C’est important pour les personnes qui ont été des dirigeants de société. Elles doivent parfois s’adapter et apprendre à prendre une certaine distance, nécessaire au rôle de l’administrateur.

Un administrateur doit savoir écouter et apprendre. 
Carine Feipel

Carine FeipelprésidenteIla

En 2014, vous avez fait le choix de vous lancer dans une carrière d’administrateur indépendant. Comment assurer correctement ce virage?

«Oui, c’était un réel souhait de pouvoir me lancer comme administrateur indépendant. La première chose à faire est de bien se former. J’ai donc suivi une formation de l’Ila et une autre de l’Insead. L’autre point important est le networking. Il faut avoir les bons contacts et montrer aux gens ce qu’on pourrait apporter comme compétences à leur société.

C’est un travail à temps plein?

«Pour certains ça peut le devenir. Pour ma part, j’ai gardé une petite activité d’avocats, mais mes différents mandats me prennent beaucoup de temps et je veux pouvoir m’y consacrer. Je suis d’ailleurs active dans différents conseils de sociétés réglementées, pour lesquelles les autorités de surveillance sont vigilantes au temps consacré par les administrateurs.

La Place luxembourgeoise a d’ailleurs beaucoup évolué à ce sujet. L’époque où des personnes géraient une centaine de mandats est révolue. Un administrateur conscient de sa mission sait qu’il ne peut pas gérer cela correctement.

Les administrateurs sont-ils toujours bien conscients de leurs responsabilités?

«La responsabilité des administrateurs est un sujet très important qui est inhérent au métier d’administrateur et découle de la loi sur les sociétés commerciales. L’Ila organise régulièrement des formations pour les administrateurs sur différentes questions liées à leurs responsabilités: responsabilité civile, responsabilité pénale, responsabilité fiscale. En outre, les sanctions administratives sont un sujet essentiel que nous traitons également. De même, l’assurance D&O (Directors and Officers) est une protection que tout administrateur doit considérer et nous encourageons nos membres à le faire.

La Belgique a adopté en début d’année une loi qui limite la responsabilité des administrateurs. L’objectif visé était de pouvoir continuer à trouver des personnes compétentes acceptant de prendre le rôle d’administrateur sans s’exposer à une responsabilité financière illimitée. Nous n’avons pas encore réfléchi si une telle modification législative serait utile au Luxembourg également, mais l’Ila va devoir se pencher sur ce sujet pour en peser les pour et les contre.»