Stéphanie Lhomme et son équipe agissent aussi bien en amont, sur des aspects de prévention des délits financiers, qu’en aval, sur de l’investigation et de la recherche d’actifs cachés ou frauduleux. (Photo: Emmanuel Claude/Focalize)

Stéphanie Lhomme et son équipe agissent aussi bien en amont, sur des aspects de prévention des délits financiers, qu’en aval, sur de l’investigation et de la recherche d’actifs cachés ou frauduleux. (Photo: Emmanuel Claude/Focalize)

Fraude, corruption, blanchiment… les crimes et délits financiers ont évolué, notamment avec la technologie. Lutter contre ces dérives est la mission de Stéphanie Lhomme, responsable des investigations forensic chez Arendt Regulatory & Consulting.

Cela fait environ quatre mois que vous avez rejoint Arendt et Luxembourg. Comment s’est passée votre prise de fonction?

Stéphanie Lhomme. – «Très bien, je connaissais déjà un peu le Luxembourg, sa spécificité corporate, les fonds et institutions bancaires. Rejoindre un grand cabinet d’avocats avec une équipe d’investigation intégrée en Europe représente beaucoup pour moi qui ai précédemment travaillé aux États-Unis où le modèle est très courant. Cela l’est de plus en plus à Londres et beaucoup moins en Europe, ce qui rend l’initiative d’Arendt Luxembourg presque unique dans un contexte où ce type de services est devenu vraiment critique pour les clients.

Le département de lutte contre la criminalité financière que vous dirigez existait-il déjà avant votre arrivée? Qu’allez-vous lui apporter? 

«Il existait un département contentieux, litiges financiers sur les aspects juridiques. Ce que j’apporte, c’est de l’investigation à un niveau plus avancé, sur les aspects non juridiques. Nous ne faisons pas que de la criminalité et pas que du financier. Je travaille en amont de la criminalité sur de la prévention par le biais de due diligence très avancée, sur la compliance anticorruption, antifraude et avec le service AML (‘Anti-Money Laundering, ’, ndlr). Lorsqu’il y a un problème, j’interviens aussi en aval sur de la recherche d’informations. Il y a de fait un aspect financier, corruption, blanchiment, mais parfois le rapport financier est indirect dans le cas du vol de données, ou de la concurrence déloyale.


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Combien de personnes avez-vous dans l’équipe et quels profils ont-ils?

«Je suis en train de constituer mon équipe. J’ai des spécialistes de la recherche d’information, de gestion de risque, des comptables Forensic, experts en forensic informatique, tous effectuent leurs tâches avec un prisme centré sur l’investigation. L’idée n’est pas forcément d’avoir de grosses équipes, mais des équipes senior, car les sujets sont complexes. Les profils sont difficiles à trouver, car il faut posséder à la fois beaucoup d’expertise et d’expérience et avoir l’état d’esprit d’aller chercher dans le détail.

Vous êtes multidiplômée (ESCP, ENA, SC PO…) et réserviste de la Marine française. Vous auriez pu faire une carrière diplomatique ou dans le renseignement au sein d’un organisme d’État. Les experts dans la lutte contre les crimes financiers sont-ils appelés à agir au plus près des organes de pouvoir?

«Ma formation principale est une école de commerce et un MBA aux États-Unis et j’ai 15 ans d’expérience dans les fusions-acquisitions à l’international qui m’ont naturellement amenée à ce métier. Ma carrière, c’est le monde des affaires et la transaction, et lorsqu’on touche à la restructuration d’entreprises, il y a des cas d’abus de biens sociaux, etc. Être réserviste m’a beaucoup appris à ne pas réfléchir en mode pyramidal dans la gestion de projet, car l’armée est en cela très avancée par rapport au secteur privé. Cela m’a servi sur le plan humain aussi. Mais non, je n’ai jamais travaillé pour l’État. Il n’y a pas de porosité entre le secteur privé et le gouvernement en Europe, contrairement aux États-Unis, par exemple. Lorsqu’un État réfléchit sur une réglementation, ou une loi anticorruption, il peut créer des groupes de travail et là je peux être sollicitée, comme certains de mes collègues l’ont déjà été, avec l’accord du cabinet.

Aujourd’hui, les due diligences existantes sont insuffisantes devant la complexité des montages élaborés pour cacher les bénéficiaires finaux.
Stéphanie Lhomme

Stéphanie Lhommeresponsable des investigations forensicArendt Regulatory & Consulting

Quels sont les types d’investigations que vous effectuez au Luxembourg, qui a une réglementation plutôt contraignante en matière de blanchiment et de lutte contre la corruption?

«Cela dépasse le réglementaire. La partie investigation sur la fraude interne peut concerner n’importe quel type d’entité: corporate, banque, startup, fonds, organismes publics… On parle d’abus de bien social, de détournement de client, de détournement de fonds… dans ce cas, il n’y a pas forcément d’intervention du régulateur. L’investigation interne comprend aussi le computer forensic pour les recherches liées au digital (ordinateurs, serveurs, mails…), dont dépendent aujourd’hui toutes les entreprises et où l’on trouve quantité de données exploitables. Nous faisons aussi du support au contentieux, et post contentieux, pour retrouver les actifs à saisir.

Sur l’aspect prévention, un exemple: nous pouvons intervenir à la demande d’un client qui voudrait faire une acquisition (société, fonds…) et demande une recherche d’informations très poussée sur celle-ci. La due diligence que nous menons va bien au-delà de la KYC (pour ‘Know Your Client’, protocole de vérification de l’identité du client, ndlr) pour savoir si son acquisition risque des problèmes de fraude, de blanchiment ou de corruption qui pourraient impacter la valeur de son investissement. Au Luxembourg, on est surtout sur des sujets AML avec parfois des aspects corruption et des aspects de fraude, les trois étant souvent liés, avec un aspect réglementaire. Aujourd’hui les dues diligences existantes sont insuffisantes devant pour cacher les bénéficiaires finaux. Notre rôle est d’aller chercher plus loin, pour déterminer l’origine des fonds, et c’est là que nous sommes amenés à travailler du cabinet, y compris sur des aspects réglementaires.

Pouvez-vous répondre à une demande directe de la CSSF?

«Non, j’interviens par l’intermédiaire de nos clients, représentés par leur conseil (avocats). Ils peuvent être sommés de fournir des éléments probants aux régulateurs. Ici, ce sera la Commission de surveillance du secteur financier, le Commissariat aux assurances, et la Police judiciaire, mais cela peut également provenir d’un ou plusieurs régulateur(s) étranger(s), par exemple le Parquet français, l’autorité de la concurrence, le Département de la Justice américain…

Le Luxembourg a la réputation d’avoir une compliance forte et robuste. Est-ce un avantage concurrentiel?

«Oui, absolument. Les sujets sont transnationaux par nature. Aujourd’hui, si une entreprise veut devenir sous-traitante d’un groupe anglo-saxon et qu’elle n’est pas ‘compliant’ sur les lois anticorruption, elle n’a aucune chance d’être sélectionnée sur les appels d’offres. Aux États-Unis, un fonds d’investissement qui fait une acquisition sans avoir fait un maximum de diligence sur la responsabilité corruption hérite de la responsabilité pénale dans la société acquise. Certains investisseurs exigent que les sociétés gestionnaires mettent en place des procédures anticorruption avant d’investir chez elles. Pour le cabinet, comme pour le Luxembourg, c’est donc indéniablement un avantage concurrentiel de développer une expertise Forensic pragmatique qui s’apparente à une documentation approfondie du process décisionnel, couplée à une forte exigence de compliance des avocats dans ce domaine.

Les sanctions prises contre les entités russes vont-elles intensifier votre travail d’investigation?

«Il y a des avoirs russes partout dans le monde… Certains seront facilement identifiables, d’autres moins, pas forcément illégalement d’ailleurs. Mais si l’Europe exige de geler tous les actifs russes, il va y avoir forcément un travail plus poussé de recherche de bénéficiaires finaux à faire. Certains de nos clients voudront s’assurer qu’il n’y ait pas d’actifs cachés qui échappent aux sanctions.»

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous bimensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.