Lentement, Matteo Ressa déplie son tablier blanc de cuisinier. Comme un Philippe Etchebest impatient d’aller en découdre dans Top Chef ou de remonter les bretelles de restaurateurs dans «Cauchemar en cuisine», le Milanais fait les cent pas. Le même visage rond, le même crâne lisse, la même énergie inépuisable. L’ancien développeur d’Amazon bout comme une marmite d’eau dans laquelle il serait temps de plonger des gnocchis.
Le CEO de ChefPassport a à peine montré la photo de sa grand-mère, les mains dans la farine, que l’image polaroïd en noir et blanc dessine un sourire sur les lèvres des cinq membres du jury. «Elle s’appelait Armanda et elle a vécu jusqu’à 97 ans! Et elle a cuisiné jusqu’au dernier moment», explique-t-il avec tendresse. Partie il y a deux ans, la nonna a laissé en héritage son goût pour la cuisine dans le cœur de ce gamin tout le temps fourré dans ses jupons.
«J’ai été développeur pendant 20 ans et je me suis toujours dit que j’aurais ma propre start-up!» Il y a trois ans, finies les lignes de code indigestes pour les projets des autres, le matheux se lance dans son idée folle de show culinaire à distance. «Aujourd’hui, un an après le début de la pandémie, qu’y a-t-il d’autre pour apporter du bonheur aux gens?», se questionne-t-il à voix haute dans le Village by CA, qui accueille .
Le karma lui apporte… le Covid-19. Sa solution est officiellement lancée en février 2020, le virus met le monde à l’arrêt le mois suivant. Celui qui dirige aussi le Founder Institute au Luxembourg opère un choix stratégique. Préférer les clients professionnels aux clients individuels. Les émissions culinaires et les lives en streaming pullulent, Airbnb, en mal de liquidités, lance son nouveau produit, les «Expériences», où n’importe qui peut payer 10, 20 ou 50 euros pour voir un anonyme dérouler sa recette.
ChefPassport, c’est autre chose. Tout commence par un projet d’entreprise, comme réunir une équipe ou ses équipes autour d’une activité. Du team building qui ne passerait pas par des billes de peinture de paintball en mode hormonal survitaminé, mais par de la convivialité autour de la gastronomie.
«Sur le site, tu as 120 recettes de toute la planète. Pour créer une activité, il faut choisir. L’entreprise va dire combien de personnes participent à l’événement. En dessous de 40, tu peux vraiment avoir une session interactive, où tout le monde pourra interrompre le chef pour demander ceci ou cela. Entre 40 et 200, le streaming permet aussi les questions, mais plus de la même manière. Et au-delà, c’est un streaming sans questions. Dans tous les cas, nous avons un ou plusieurs modérateurs pour permettre au chef, filmé sous trois angles, de cuisiner ou d’interagir avec l’audience», explique l’entrepreneur.
La recette choisie, chacun des participants est invité à se procurer les ingrédients et le matériel de la recette. «Il faut que tout le monde soit en capacité de suivre vraiment l’aventure», précise-t-il.
De la cinquantaine de chefs qui ont rejoint l’aventure, des free-lances payés deux fois le prix du «marché», huit ont rejoint une élite. Le club des «top chefs» «est composé de gens qui ont des soft skills utiles pour bien communiquer avec nos clients. C’est important qu’ils puissent nouer des contacts, même autour de la réalisation d’une recette.»
La mayonnaise – pourtant peu utilisée dans la cuisine italienne… – prend. Google, Amazon et Procter & Gamble, par exemple, se laissent séduire par l’aventure.
Comme beaucoup de ces jeunes entrepreneurs, ce chef d’orchestre des chefs cuisiniers va avoir besoin d’argent pour poursuivre son développement. Il rêve d’une levée de fonds d’un million et demi l’an prochain. Et de nouveaux partenariats autour des placements de produits de chefs au cours de leurs prestations.
Meetic, le leader européen des sites de rencontre, a déjà commencé à préparer des événements pour ses célibataires. Ils ne se rencontreront pas autour d’une assiette, mais d’une recette à distance. Covid oblige.