Olivier Murru s’est directement adressé au Premier ministre. (Photo: Cabexco)

Olivier Murru s’est directement adressé au Premier ministre. (Photo: Cabexco)

Olivier Murru, associé-gérant de la fiduciaire Cabexco, a adressé une lettre ouverte au Premier ministre Xavier Bettel pour attirer son attention sur le désarroi des indépendants. Ils sont des milliers à se considérer comme totalement oubliés par l’État.

Pourquoi avoir rédigé cette lettre ouverte, l’avoir envoyée au Premier ministre  (DP) et diffusée via les réseaux sociaux?

Olivier Murru. – «Car j’ai évidemment énormément de retours du terrain de la part de ces indépendants et ils ont tous le sentiment d’être injustement oubliés. Pour le moment, je fais même plus de psychologie que de comptabilité! J’essaye de les soutenir, mais je crois que de très nombreux indépendants ne tiendront pas le choc.

Pourtant des aides sont accessibles.

« L’aide de 5.000 euros, par exemple, est accessible aux indépendants dont les commerces ont dû fermer sur décision du gouvernement: restaurants, cafés… Mais quand on est opticien, on n’y a plus droit, car on pourrait rester ouvert. Et quid de ces indépendants qui ont plus de neuf personnes employées, mais pas 30 ou 40, ce qui offre une autre taille critique et d’autres moyens? 

«L’indépendant n’y a pas droit. Mon opticien, par exemple, peut évidemment en faire profiter ses employés, mais lui ne peut pas. Or, ces indépendants-patrons paient aussi des cotisations sociales pour eux, comme pour leurs employés. Ils sont un peu dégoûtés: ils cotisent mais quand ils devraient être aidés, ils ne le sont pas. Je ne cache pas que beaucoup m’ont dit qu’ils en tireraient les leçons et ne reprendraient peut-être pas leurs activités par la suite, leurs employés resteront au chômage. 

Et les reports de charges?

«On ne cesse de répéter que ce ne sont que des reports. Il faudra payer à un moment ou un autre. Et pendant ce temps-là, beaucoup charges fixent courent puisque rien n’est fait, par exemple, au niveau des loyers. Demander des aides ou emprunter pour survivre, c’est bien, mais il faudra payer à un moment. Mais on ne sait pas quand l’activité va reprendre, comment, à quel rythme… Beaucoup de mes clients ne souhaitent pas s’endetter sans savoir s’ils pourront ensuite assumer les créances, et mettre leur patrimoine privé en jeu. Beaucoup d’indépendants préféreront la faillite.

Il ne faut pas croire que les indépendants roulent tous sur l’or. Beaucoup gagnent l’équivalent d’un salaire moyen. Alors oui, c’est très dur.

Olivier Murruassocié-gérant de la fiduciaire Cabexco

Certaines situations sont donc dramatiques?

«Il ne faut pas croire que les indépendants roulent tous sur l’or. Beaucoup gagnent l’équivalent d’un salaire moyen. Alors oui, c’est très dur. Un exemple: un de mes clients a un restaurant. Il emploie son épouse, au salaire social minimum. Elle est au chômage provisoire puisque cela prévaut sur le congé familial. Lui, en tant qu’indépendant, n’a droit à rien. Pour ce ménage, les rentrées professionnelles sont nulles et il n’y a plus qu’un salaire minimal qui entre: même la vie quotidienne est devenue compliquée.

Vous sentez donc que le désespoir grandit?

«Et surtout la colère. La première semaine, il y avait une forme de compréhension. On était au début de la crise. Maintenant, le ton est beaucoup plus agressif. Certains sont effondrés. C’est notamment le cas des professions libérales dans le domaine de la santé, les plus délaissées de tous sans doute. Et l’administration n’aide pas non plus toujours… L’Adem a refusé des milliers de dossiers. Mais les dossiers ‘papier’ n’étaient pas adaptés aux demandes électroniques. Les gens ont reçu un mail de refus jeudi à 18h les invitant à recommencer la procédure via le nouveau formulaire. De quoi passer un week-end dans le stress en se demandant ce qui allait advenir.

Quelles sont les attentes des indépendants?

«Simplement qu’on prenne conscience qu’ils existent, qu’ils sont un maillon important de l’économie du pays et qu’ils doivent être aidés. ‘On oublie que nous aussi nous avons une famille’: c’est un message que j’entends souvent ces derniers jours.»