Pour la présidente de la CCDH, Noémie Sadler, le champ d’application de la nouvelle directive européenne sur le devoir de vigilance «est beaucoup trop limité, et surtout tout le secteur financier est exclu.» (Photo: Maison Moderne/archives)

Pour la présidente de la CCDH, Noémie Sadler, le champ d’application de la nouvelle directive européenne sur le devoir de vigilance «est beaucoup trop limité, et surtout tout le secteur financier est exclu.» (Photo: Maison Moderne/archives)

La présidente de la Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH) depuis le 7 mars, Noémie Sadler, fait le point sur la directive européenne sur le devoir de vigilance adoptée le 24 mai, et évoque son nouveau rôle qui s’ajoute à son métier d’avocate.

La directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité , la CCDH a estimé qu’il y avait des lacunes à combler au niveau national, c’est-à-dire?

Noémie Sadler. – «Ce texte est une avancée, et une étape significative pour une meilleure protection des droits humains, de l’environnement et du climat, parce que cela faisait des années qu’on essayait de la faire adopter. Il y avait beaucoup d’oppositions, surtout des secteurs économiques. Certaines entreprises sont obligées d’identifier ou d’atténuer leur impact négatif sur les droits humains et l’environnement, mais cela concerne très peu d’entreprises au final (le texte concerne les entreprises et les sociétés mères européennes qui emploient plus de 1.000 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 450 millions d’euros à l’échelle mondiale, ainsi que les franchises dans l’UE réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 80 millions d’euros, si au moins 22,5 millions ont été générés par des redevances, ndlr).»

Combien d’entreprises sont concernées au Luxembourg?

«On parle d’une quarantaine d’entreprises, la directive ne concerne que les très grandes entreprises. Et là encore, il y a des critères. Donc nous trouvons que le champ d’application est beaucoup trop limité, et surtout tout le secteur financier est exclu. Les institutions financières ne seront en principe pas tenues d’examiner les impacts des investissements, des prêts, des assurances ou d’autres services financiers sur les droits humains et l’environnement.

Alors qu’au Luxembourg, le secteur financier représente environ 25% de la valeur ajoutée totale de l’économie…

«Oui, et il y aurait des choses à faire. Si on avait élargi un peu plus le champ d’application, il est clair que davantage d’entreprises seraient obligées d’être plus vigilantes par rapport aux droits fondamentaux.

Le Luxembourg, ne prendra pas, je pense, le risque de cibler ses institutions financières, cela reste un gros bémol pour nous.
Noémie Sadler

Noémie SadlerPrésidenteCCDH

Si le gouvernement le souhaitait, en transposant la directive en droit national, il pourrait aller plus loin?

«Oui, les États membres peuvent toujours adapter le texte de base des directives européennes, qui provoquent des mesures souvent minimales. Les pays ont toujours l’autorisation d’aller plus loin, mais le Luxembourg, par rapport à sa réputation de Place financière, ne prendra pas, je pense, le risque de cibler ses institutions financières, donc cela reste un gros bémol pour nous. C’est dommage, mais les directives européennes sont toujours des documents de compromis, beaucoup de pays européens doivent y adhérer. Le texte de base était plus avant-gardiste, mais il a été transformé en un texte moins efficace.

Faudrait-il mettre en place des lois ou des projets plus contraignants?

«Oui, nous avons eu une entrevue très intéressante avec des défenseurs des droits fondamentaux et des droits de l’environnement du Mexique, du Brésil et de l’Afrique du Sud début mai, avec des représentants des populations indigènes également. En leur parlant, on voit vraiment l’impact que ces multinationales ont sur leur quotidien, sur leur environnement de vie. L’eau est polluée, leurs terres disparaissent, ils sont expropriés. Ils essaient de faire des recours, de lutter contre ça, mais cela ne sert à rien, car ils sont trop petits. Eux vivent l’impact, ce n’est pas quelque chose de théorique, tout l’impact que ces multinationales ont sur ces populations à travers le monde, et aussi les dégâts environnementaux.

Avez-vous l’impression qu’au Luxembourg, on se dit que ces problèmes-là sont loin?

«Oui, je pense qu’on n’est pas assez conscients de l’impact que cela a sur nos vies. Et si ces entreprises ont davantage d’obligations, leurs produits deviennent plus chers et là, on voit l’impact au quotidien. Des aliments ou des vêtements Fairtrade respectent les droits fondamentaux mais ont un impact sur le porte-monnaie parce qu’ils sont beaucoup plus chers. Donc cela dépend toujours du pouvoir d’achat des personnes.

Vous avez été élue présidente de la CCDH en mars dernier, vous étiez auparavant vice-présidente, pourquoi avoir postulé pour ce poste de présidente?

«C’était la suite logique des choses, l’intérêt pour les droits fondamentaux, pour les droits humains, leur protection et le poste de président permet d’avoir plus de visibilité et de faire avancer la protection mais également ses propres idées. Tout en sachant que la commission est un organe consultatif mais qu’il y a quand même une certaine liberté d’agir par rapport au poste de président qu’on n’a pas en tant que membre.

Vous êtes la première présidente, et la première en activité?

«Oui, jusque-là c’était des présidents retraités, la présidence demande quand même un travail assez intense, les heures de travail sont importantes et donc il faut gérer ça à côté de son travail journalier. Malheureusement d’un point de vue visibilité, je ne pourrai pas être aussi présente que Gilbert Pregno, mon prédécesseur, car j’exerce le métier d’avocate à plein temps, mais j’essaie de faire de mon mieux et je prends plus appui aussi sur les vice-présidents qui sont deux, et aussi sur les juristes et le secrétariat pour la représentation, pour la rédaction d’avis etc.

Y’a-t-il des axes nouveaux sur lesquels vous voulez insister?

«On va bien sûr travailler dans la continuité parce que la présidence ce n’est pas toute la CCDH, nous avons trois juristes, une secrétaire générale et deux assistants administratifs qui sont salariés, et on a 21 membres de la commission qui eux sont bénévoles, donc le fait de changer de président ne va pas changer fondamentalement la commission. Mais j’incarne forcément un autre style je dirais, une autre manière de penser, d’agir. Sur les sujets principaux, je n’ai pas d’autres positions que mon prédécesseur. Par exemple par rapport à la professionnalisation du poste de président, au rattachement de la CCDH à la Chambre des députés (comme l’Ombudsman et l’Okaju, ndlr) et non au ministère d’État comme c’est le cas actuellement, ce sont des sujets que Gilbert Pregno avait fait avancer, donc on va continuer dans cette ligne.»

* Cette interview a été réalisée le 27 juin 2024.