Après des semaines d’échanges et de négociations aimables mais fermes, c’est OK: le contrat, tout propret, est enfin signé. CDI en poche, salaire conforme à ses aspirations et dernières peccadilles, comme le droit de quitter une heure plus tôt les mercredis après-midi, réglées et consignées noir sur blanc, Madame X doit intégrer la société Y à compter du 1er juin. Difficile d’imaginer meilleur CV, elle a le profil idéal pour le poste proposé. Poste qu’il est d’autant plus urgent de pourvoir que l’équipe que s’apprête à compléter Madame X évolue depuis plusieurs semaines en infériorité numérique du fait du départ de son prédécesseur. Et qu’une grogne se fait entendre dans les rangs. La charge de boulot, en effet, est allée en s’accentuant ces derniers temps.
Sauf…
Sauf que le 1er juin, pas de recrue à l’horizon. Volte-face. Madame X s’est comme volatilisée. Sans donner de nouvelles. Elle n’honorera jamais son contrat pourtant dûment paraphé.
S’il n’est ni récent ni généralisé, le phénomène du «no-show» à l’embauche n’est pas une rareté pour autant. Souvent, le faux-bond d’un candidat est vécu tel un désaveu pour les équipes RH de l’entreprise concernée. Désaveu qui se double de complications en matière d’argent et de temps perdus. Mais aussi de démotivation des équipes en place, à qui l’on avait promis l’arrivée d’un renfort… qui ne se montrera jamais.
Managed services director depuis l’an dernier , Kristel Wiliquet, ancienne cadre RH au List, chez Brown Brothers Harriman, Adecco, Ajilon et Delphi, notamment, y a déjà été personnellement confrontée dans ses fonctions. «Psychologiquement, c’est difficile», reconnaît celle qui s’est penchée sur la question des «no-shows», aux côtés de Lorraine Chéry (Arendt & Medernach) et (LHH), dans le cadre de travaux présentés par le réseau HRcommunity.lu, dont elle est membre du conseil d’administration. Pour elle, les employeurs doivent interroger leurs techniques dans le processus de recrutement. «Il n’y a pas de recette miracle», prévient Kristel Wiliquet, mais…
De quand date ce phénomène?
Kristel Wiliquet. – «Ce ne sont pas des choses qui émergent maintenant, on les voyait déjà dans les années 2004-2006. Depuis la période post-Covid, en revanche, c’est tous secteurs confondus. Moi, j’ai été confrontée au problème à deux reprises depuis le mois de septembre. Et dans mon poste précédent, au List, cela m’est arrivé trois fois.
Avec quelles explications données par ces candidats qui n’ont finalement jamais pointé?
«Sur les deux cas les plus récents que j’ai évoqués, une personne a fait part de raisons familiales. Elle n’a pas trouvé de quoi se loger. N’a pas osé nous en informer. Et puis, acculée, le dernier jour, elle a envoyé un message à 10h du matin pour nous prévenir… Alors que l’on était en contact avec elle. Mais je suis convaincue qu’elle a fait tout ce qu’il fallait pour trouver une solution. Quant à la seconde personne, on ne sait pas. C’était un jeune profil, qui se trouvait déjà au Luxembourg et qui était déjà dans le domaine. Cette personne a disparu de la surface de la Terre. Elle a même disparu des réseaux sociaux.
Et les trois histoires précédentes?
«Au List, j’ai eu deux situations de contre-offre. C’est pareil, on attend le dernier moment. La troisième personne, elle, est partie chez un autre employeur. À 500m de là on se trouvait…
Un ‘no-show’ désorganise et démotive les équipes.
Compte tenu de la nature de son marché du travail et du niveau de vie sur place, les «no-shows» sont-ils plus fréquents au Luxembourg qu’ailleurs?
«Non, il s’agit d’un phénomène présent partout. En Belgique, les statistiques sont assez importantes sur le sujet. Cela inclut le service, tout ce qui est tertiaire et intérimaire. Avec des personnes qui ne se présentent pas sur leur lieu de travail. Sur un chantier par exemple. Ou des femmes de ménage qui ne sont pas là le matin alors qu’elles sont attendues.
Une recrue qui disparaît, quelles sont les conséquences?
«Psychologiquement, pour le recruteur, c’est difficile à vivre. Et c’est un phénomène sur lequel on n’ose pas parler. Parce que c’est vécu comme un échec. Le candidat a accepté, il a signé, il a dit qu’il allait venir… et là, il ne vient pas. On se sent trompé.
Il y a ensuite un impact sur l’organisation et sur les employés. Quand on recrute une nouvelle personne, c’est soit parce qu’il y a une augmentation d’activité, soit parce qu’il y a un départ dans l’équipe. Dans ce dernier cas, celle-ci est en souffrance parce que la volumétrie de travail a augmenté en raison de l’absence d’un salarié. Son remplaçant est donc attendu avec impatience. Et lorsqu’en définitive il ne se présente pas, c’est compliqué en termes d’engagement. Car la volumétrie de travail, elle, ne diminue pas. Cela désorganise et cela démotive.
Tout est à nouveau de la faute de la gen Z?
«Non, non, ce n’est pas une question d’âge. Le côté responsabilité éducationnelle, il est effectivement à prendre en compte avec les nouvelles générations. Mais je pense que c’est davantage une responsabilisation globale au niveau de la société.
Quelle est la part de responsabilités des employeurs?
«Un recrutement ou l’onboarding d’une personne, c’est un win-win. C’est tout bénéfice pour le candidat qui va trouver un job. Et tout bénéfice pour l’employeur qui va trouver son candidat. Donc ça doit être un vrai partenariat. Et à partir du moment où l’on parle de partenariat, il y a inévitablement une responsabilité. Quand échec il y a, il faut se poser et faire son introspection quant au processus de recrutement. On l’a faite, nous, quand des cas de ‘no-show’ se sont présentés.
Qu’est-ce qu’on a raté? Lorsque c’est une situation personnelle qui explique l’absence de la nouvelle recrue, on ne peut rien faire. À part peut-être offrir d’autres options. Mais pour cela, il faudrait déjà être au courant. Les leçons à en tirer, c’est donc qu’il faut créer un climat de confiance, garder le lien avec le consultant, couvrir toutes les questions possibles et imaginables, et de manière proactive, améliorer les processus d’onboarding, dans les limites de ce qui est légal, afin que la recrue se sente déjà appartenir à l’organisation alors même qu’elle n’y est pas encore… Plein de petites choses que l’on peut faire pour brander la société et pour, déjà, créer un lien fort avant que le contrat commence. Quand on est un employeur, on connaît les problématiques des candidats. Se pose la question du temps à y consacrer, mais on doit les anticiper beaucoup, beaucoup, beaucoup plus.
Difficile de détecter quoi que ce soit.
L’employeur ne peut pas se protéger contractuellement contre un «no-show»?
«Il est possible de fixer cela dans le contrat de travail, si. En disant: ‘Si vous ne nous rejoignez pas, des pénalités pourront être appliquées.’ Mais ce n’est pas, ou très peu, pratiqué. Il y a la réglementation d’un côté, et les faits pragmatiques de l’autre. Car c’est bien beau d’appliquer de telles pénalités financières, mais comment va-t-on récupérer l’argent? Qu’est-ce que cela va coûter à la société de mettre en place cette clause? Cela demande encore du temps, et de l’énergie. Mais ne sera-ce pas une perte supplémentaire d’énergie?
Mais un candidat recruté qui ne se présente pas, n’est-ce finalement pas un mal pour un bien? Cela évite une désillusion, non?
«Je ne parviens pas à la même conclusion que vous. Si un candidat ne se présente pas parce qu’il a reçu une contre-offre, c’est qu’en théorie il était bon, non?
Avec votre expérience, quels sont les indices laissant à penser à des signes avant-coureurs de «no-show»?
«Les choses que l’on repère dans un processus de recrutement, c’est lorsque la personne ne va pas répondre rapidement aux messages, ou qu’elle le fera un petit peu à la légère, ou qu’elle arrive en dilettante, ou qu’elle n’a pas bien préparé son entretien de recrutement. Pour le reste… Difficile de détecter quoi que ce soit. Non, ce qu’il faut, c’est garder le lien continuellement.»