Yves Baguet - CIO, Clearstream (Photo: David Laurent/Wide)

Yves Baguet - CIO, Clearstream (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Baguet, aujourd’hui, les établissements financiers reposent largement sur leur système d’information. Cela suppose que, de par son activité, Clearstream doit avoir une infrastructure particulièrement solide…

«Oui, et ce d’autant plus que la stratégie IT n’est rien d’autre que le reflet de la stratégie générale de l’entreprise. Ceci dit, chez Clearstream, le fait est que la technologie est au centre de notre activité. C’est elle qui nous permet de réussir l’implémentation de notre offre commerciale. L’enjeu informatique est donc de réussir à délivrer ce qui est défini dans la stratégie, de le transformer en réalité opérationnelle.

Nous sommes une entreprise qui doit gérer de nombreux flux, qui correspondent à des mou­vements financiers. Nous devons les gérer de la manière la plus efficace, la plus rapide et la moins coûteuse. En plus des défis opérationnels clas­siques, nous avons d’autres défis qui se posent à nous, comme l’évolution de la législation européenne sur la régulation des marchés financiers. Le nombre de directives et de règles va en augmentant.

Il y a ensuite un projet européen qui s’appelle Target2Securities (T2S). Il s’agit d’une initiative de la Banque centrale européenne (BCE) qui veut centraliser les opérations de règlement-livraison domestique pour l’Union européenne. Or, c’est une partie importante de notre activité, et donc une certaine part de nos revenus. Nous sommes en effet un dépositaire central domestique pour l’Allemagne, et international à partir du Luxembourg.

Le but de T2S est honorable: il s’agit de ramener le prix des transactions au niveau de ce qu’elles sont aux Etats-Unis… soit dix fois moins chères que pour l’Europe aujourd’hui! Mais c’est donc une perspective pleine d’enjeux pour nous, comme d’ailleurs pour notre concurrent Euroclear. Nous devons être prêts pour l’utiliser et avoir mis en place d’autres produits: nous voyons aussi T2S comme une opportunité pour une organisation comme la nôtre, qui a déjà un portefeuille diversifié de produits et services. Et le délai n’est pas si long que cela. Récemment, nous avons entendu que ce projet européen devrait être terminé en 2015.

La crise a-t-elle mis la pression sur la société et, par extension, sur les projets IT à mener à bien?

«Il y a une pression claire sur les coûts. La crise, dont je pense d’ailleurs que le marché n’est pas encore sorti, exige une efficacité et une efficience encore plus grandes. Clearstream, en tant que partie du groupe Deutsche Börse, représente pour nos clients un safe haven. En effet, nous nous sommes montrés robustes et avons soutenu nos clients en ces périodes de turbulence. Ce qui représente aussi une certaine pression.

Mais nous revenons tout simplement à ce que j’ai dit auparavant: nous avons une stratégie et nous souhaitons tout simplement travailler, dans le service IT, à la mettre en œuvre. En étant capables de nous intégrer à T2S, en facilitant la vie de nos clients et en créant de nouveaux produits, notamment dans le domaine du collateral management et des fonds d’investissement pour tous nos clients actuels et futurs.

Où en êtes-vous, concrètement, dans vos chantiers en cours?

«Nous avons en ce moment cinq grands programmes informatiques en cours de développement. A cette échelle-ci, nous ne parlons plus de projets, mais de programmes. Tous sont menés en parallèle, pour nous permettre d’être prêts et en ligne pour un lancement en 2014… Le but est d’avoir la technologie à même de créer et supporter ces services à haute valeur ajoutée.

Il nous faut faire les développements avec une discipline très rigoureuse, mais sans rien faire qui puisse déranger ce qui est actuellement en production, sans y créer de remous! Nous utilisons notamment des méthodes de programmation agile, qui nous permettent plus de souplesse et de rapidité.

Sur le plan strictement technologique, nous sommes basés sur des systèmes ouverts. Nous sommes sur Linux Red Hat, sans oublier l’adoption intensive de la virtualisation, avec VMware. Le tout dans l’optique future d’un internal private cloud. Hors de question bien entendu d’être ouverts vers l’extérieur, nos données sont trop précieuses pour risquer des pertes ou des intrusions. Nous ne pouvons pas prendre de risques de ce point de vue et nous mettons en place le maximum de garde-fous.

Le fait est que nous sommes une société technologique. Nous devons développer nos compétences pour le bien de notre activité et nous sommes maintenant aussi un prestataire de services IT réputé mais, ma foi, un peu spécial.

La fusion en cours entre la Deutsche Börse, votre actionnaire, et NYSE-Euronext, est-elle de nature à changer quelque chose pour Clear­stream, au moins sur le plan informatique?

«Tout n’est pas encore finalisé, loin de là, mais nous avons d’ores et déjà commencé à travailler ce dossier. Les différents obstacles devraient être franchis d’ici à la fin de l’année. Il faudra alors réfléchir à comment nous positionner et apporter au groupe une valeur ajoutée pertinente. Et Clearstream a clairement des forces à faire valoir.

NYSE-Euronext s’est développé et a créé une véritable division technologique, qui se positionne comme un prestataire IT à côté d’autres. Cette démarche est comparable à celle démarrée au Luxembourg il y a environ quatre ans. Nous l’avons fait après analyse de nos forces et nos faiblesses. Nous ne sommes pas forts partout. Nous avons donc noué des partenariats avec d’autres sociétés, de manière ouverte. Si sur les infrastructures nous n’avions besoin de personne, dans tout ce qui touche au fonctionnel, nous avons opté pour des partenariats. Les questions de logiciels sont tellement spécifiques. Pour les petites banques, nous avons ainsi des packages très pertinents, notamment avec des sociétés comme Callataÿ & Wouters et BSB, ou d’autres encore. Nous sommes clairs sur ce point: nous n’avons pas d’exclusivité avec un partenaire ou un autre.

Les équipes comptent beaucoup, elles et leurs compétences…

«Le fait est que dans l’informatique, la chose la plus importante est le capital humain. Il est chez nous exceptionnel. Nous avons des équipes dédiées à leur travail, loyales et compétentes… Je crois que je ne pourrai jamais dire combien nous ne serions rien sans elles. Les quelque 470 personnes du département IT, sans oublier la soixantaine qui travaille à Prague, sont essentielles à notre fonctionnement et à notre croissance.

Comment éviter les erreurs? Comment chasser les bugs, qui chez vous coûteraient très cher?

«Dans notre secteur, la clé est la gestion des tests et de la transition. Nous avons bien entendu adopté les techniques classiques, avec des tests réalisés par des robots, des développements selon le cycle en V, le tout avec un maximum d’automatisation.

Nous faisons également beaucoup de répétitions générales. Ce sont des simulations grandeur nature, pendant les week-ends la plupart du temps. Cela nous permet de tester les nouvelles applications dans des conditions proches du réel, quelquefois d’ailleurs avec certains de nos clients. Nous le faisons avec les équipes de développement, mais aussi avec les véritables équipes ‘business’ qui seront appelées à vivre avec les solutions une fois déployées. Nous avons ensuite différents critères d’acceptation de nos développements. Comme nous couvrons une surface fonctionnelle importante, avec des technologies variées, nous avons plusieurs centaines de critères que nous nous obligeons à respecter. Nous faisons également des recovery tests, en provoquant des situations anormales. Par exemple, nous provoquons des crashs de nos bases de données. Nous testons alors comment le système réagit, et le temps nécessaire à nos équipes pour assurer un retour à la normale. Tout cela avant la mise en production définitive.

Enfin, dans certains cas très particuliers, nous faisons fonctionner en parallèle deux générations de solutions. D’un côté, l’ancienne, qui est stable, et de l’autre côté, la nouvelle. Les deux sont alimentées par les véritables opérations, et nous vérifions si le delta d’amélioration que nous attendions est bel et bien là. Nous utilisons alors les conditions réelles pour mesurer les apports des nouvelles fonctions. Le testing est un travail énorme, et qui coûte cher… Mais ce coût n’est rien comparé au risque d’un incident.

Que pourrait coûter un temps d’arrêt de vos systèmes?

«Nous avons un métier dans lequel nous sommes ce que l’on appelle liable, responsables. Si l’on rate quelque chose, si des erreurs surviennent, nos clients sont alors en droit de déposer des réclamations et nous devons leur payer des pénalités. Une telle erreur pourrait non seulement plomber nos résultats, mais également ruiner notre réputation. Nous ne pouvons pas nous le permettre. C’est la raison pour laquelle j’appelle toujours nos équipes à avoir une véritable paranoïa de la qualité.

Le fait est que le risque zéro n’existe pas. Notre boulot, c’est que son niveau soit aussi bas que possible. Notre état d’esprit, c’est qu’il va y avoir un problème. Le défi, c’est de savoir quoi faire lorsqu’il survient, s’il survient. C’est un processus, un réflexe, qu’il a fallu créer il y a longtemps. Et qu’il faut entretenir. Nous devons anticiper les problèmes!»

 

Parcours - Enthousiasme compensateur

Alors qu’il vient de passer le cap des 50 ans, Yves Baguet n’a pas perdu son enthousiasme pour ce qu’il fait. Ingénieur civil de formation, diplômé de la Faculté polytechnique de Mons, il commence sa carrière chez Euroclear, où il reste neuf ans. Il rejoint ce qui est alors Cedel au milieu des années 90. «J’ai été approché par un chasseur de têtes pour refaire toute l’informatique de la société. Le président d’alors voulait procéder à un véritable re-engineering complet de la société… pas seulement sur le plan technologique, mais également sur le plan du modèle économique.» Cette mission, qui reste son plus beau souvenir professionnel, a d’après lui permis de «complètement réécrire et réinventer Cedel. C’était un projet magnifique».
Et ce d’autant plus que des choix faits à l’époque sont encore pertinents et utiles aujourd’hui: «Tout avait été fait en programmation orientée objet… C’est ce qui nous permet aujourd’hui de véritablement faire du composant, d’être en avance pour certains développements.» Et l’enthousiasme n’est pas à la baisse: «J’adore cette entreprise, j’aime le groupe. La fusion avec NYSE m’enthousiasme, car elle apporte à la société une nouvelle dimension, dont le pays pourra profiter.»