Anne Leclercq constate un besoin de plus en plus évident pour des profils qualifiés.  (Photo: Mike Zenari)

Anne Leclercq constate un besoin de plus en plus évident pour des profils qualifiés.  (Photo: Mike Zenari)

Madame Leclercq, Manpower vient de fêter ses 50 ans au Luxembourg. Pouvez-vous nous rappeler comment a grandi la société?

«En 1965, nous avons été la première société de travail intérimaire à s’implanter au Luxembourg. À l’époque, il n’y avait d’ailleurs pas encore de loi sur l’intérim. À son lancement, cette entité a été placée sous la responsabilité de Manpower France, qui affiche une croissance très importante et prend une place conséquente au niveau du groupe. Elle a donc aussi grandi rapidement, même si, au Luxembourg, la pénétration de l’intérim par rapport aux autres contrats de travail est plus faible. En 2009, le groupe a toutefois décidé de faire bénéficier le Luxembourg d’un management plus proche et l’a rattaché à la filiale belge. Une situation qui correspondait mieux à la réalité des échanges entre pays.

On peut imaginer qu’il y a un demi-siècle, l’idée du travail intérimaire n’était pas encore très répandue.

«En fait, c’est Manpower qui a inventé le concept en 1948. Depuis, la firme s’est développée uniquement par croissance interne. Au Luxembourg, nous sommes arrivés avant que la première législation ne soit mise en place et nous nous sommes adaptés au fur et à mesure. Sur l’ensemble de ces années, un des grands changements a été l’évolution dans les types de contrats. Au départ, l’intérim était utilisé pour assurer des pics de production et des remplacements. À un moment, le concept s’est déplacé de l’industrie vers le secteur tertiaire. Ensuite, il est clairement devenu un canal de recrutement. Dans la mesure où la recherche des bons profils devient de plus en plus difficile, les entreprises font appel aux sociétés d’intérim pour résoudre ce problème.

En tant que directrice de la filiale luxembourgeoise, comment définissez-vous votre rôle?

«Je dois tout d’abord transmettre la stratégie de Manpower Group vers Manpower Luxembourg et faire en sorte que chaque agence applique la stratégie pour obtenir les résultats attendus par le groupe. Mais je suis aussi le garant des valeurs véhiculées par Manpower. Mon rôle consiste donc à coordonner et emmener l’ensemble de l’équipe vers un objectif commun qui correspond aux attentes du groupe. À côté de cela, j’assume aussi la gestion journalière.

Le Luxembourg a toujours été plus frileux vis-à-vis de l’intérim.

Anne Leclercq, director Manpower

Vous êtes intégrés dans un groupe américain d’envergure mondiale. Bénéficiez-vous quand même d’un certain degré d’autonomie?

«Oui, déjà parce que le marché dépend de la législation nationale sur le travail. Ça se voit notamment quand le groupe mène une négociation avec un client international. Même si le client demande un prix pour chaque pays, au final, c’est l’entité locale qui doit remettre un prix correspondant au marché légal. Au niveau du groupe, on attend aussi beaucoup des gens, on leur demande une large autonomie. Notre volonté, c’est que les gens apportent de la valeur ajoutée par eux-mêmes et pas nécessairement qu’ils suivent des règles. On préfère les voir bousculer des règles avec de la valeur ajoutée que de suivre un canevas bien précis et défini en haut. Nos valeurs sont people, knowledge et innovation. On compte donc sur les personnes pour développer des connaissances et se montrer innovantes. C’est un métier passionnant mais difficile, quelle que soit la fonction au sein de l’entreprise. Parce que chaque employé dispose d’une autonomie réelle et étendue. On est orienté sur un objectif, des résultats, sur une stratégie pour y arriver, mais la personne est autonome dans la réalisation de ses objectifs.

Au Luxembourg, selon le Retel, le travail intérimaire ne représente que 2% de l’ensemble des emplois. C’est un niveau qui est dans la moyenne internationale?

«Non, c’est un pourcentage relativement faible. La Belgique et la France, pour ne citer que ces pays, sont à des niveaux plus élevés. Mais, historiquement, le Luxembourg a toujours été plus frileux vis-à-vis de l’intérim. Au sein de notre fédération, Fedil Employment Services, nous travaillons énormément à la valorisation de l’image de l’intérim. Dans cet objectif, nous tentons donc de renforcer les relations avec le ministère de l’Emploi, avec l’Adem et avec les entreprises en général. Ceci dit, l’image est déjà nettement meilleure qu’avant. Un gros travail a été fourni et il se poursuit. Mais il faut aussi voir que le droit du travail luxembourgeois est plus souple que celui des pays frontaliers. Les entreprises recourent donc moins à des solutions d’intérim dans la recherche de flexibilité.

Le contexte luxembourgeois est donc différent?

«Ici, l’intérim a toujours été utilisé par rapport à des pics de production et pour des solutions de remplacement. On développe aussi petit à petit des pratiques de recrutement, non pas pour éviter des lois du travail, mais parce que, au niveau du marché grand-ducal, les entreprises connaissent des problèmes pour recruter. Elles élargissent donc leurs possibilités de recrutement en faisant appel à des intermédiaires qui sont experts dans ce domaine. Depuis ces dernières années, j’ai vraiment vu évoluer le type de profils recherchés. Qu’il s’agisse de profils ouvrier ou employé. On n’est plus du tout dans l’idée de l’ouvrier non qualifié que l’on change tous les deux-trois jours. On cherche des profils qualifiés pour des missions en vue d’engagements. Et même dans les cas de remplacement ou de pics de production, les qualifications sont aussi devenues extrêmement importantes. Et quand ces qualifications ne sont pas techniques, elles sont d’ordre personnel. Ténacité, précision, engagement dans le travail, éducation, motivation, etc.

Quels sont les secteurs qui font le plus appel à l’intérim?

«Historiquement, c’est l’industrie et le bâtiment. Mais, avec le temps, le secteur tertiaire prend une part de plus en plus importante. Et au niveau de l’industrie et du BTP, on passe aussi à des profils plus qualifiés.

Et ces bons candidats, vous devez les traquer là où ils sont?

«La valeur d’une société d’intérim, c’est la capacité qu’elle a à trouver les bons profils. Pas nécessairement les clients, d’abord les candidats. Comme le marché devient de plus en plus tendu par rapport aux profils qualifiés, quand on a repéré les personnes intéressantes, on trouve les clients qui les cherchent. Nous consacrons donc beaucoup de temps à chercher les candidats et à faire du vrai recrutement professionnel. On n’attend plus que le candidat pousse la porte.

Vous avez récemment confirmé un accord avec l’Adem. Dans la pratique, ça fonctionne comment?

«Nous avons un objectif commun, c’est de faire en sorte que le plus de monde possible trouve du travail. Nous avons donc signé un nouvel accord qui spécifie à nouveau les engagements de chacun dans notre collaboration. Ce à quoi les sociétés d’intérim qui font partie de notre association voudraient vraiment arriver, c’est de disposer d’une digitalisation plus importante des candidatures et des échanges avec l’Adem. Nous avons une obligation de déclarer tous les postes ouverts et c’est eux qui nous adressent les candidatures. Mais il n’existe pas une base de données des candidatures où les sociétés d’intérim pourraient placer directement leurs demandes et aller chercher des candidats. Ceci dit, il y a longtemps que nous travaillons ensemble et on voit que les choses évoluent dans le bon sens.

Vous vous êtes aussi donné une mission de formation des demandeurs d’emploi...

«Oui, effectivement, nous avons créé le Fonds social des intérimaires (FSI) auprès duquel chaque agence d’intérim cotise. Ce budget nous permet d’assurer la formation de certains intérimaires pour les amener au niveau requis.

L’intérim reste-t-il une bonne porte d’entrée vers un emploi plus stable?

«Oui, débuter une carrière par de l’intérim, même en tant qu’étudiant, c’est toujours une opportunité d’acquérir de l’expérience. C’est valorisant et ça permet d’être confronté avec le marché de l’emploi. Depuis trois ans, les étudiants peuvent passer par des missions d’intérim.

Et beaucoup le font?

«C’est assez nouveau, il faut faire changer les pratiques. La première année, peu d’étudiants ont frappé à la porte. Mais ça commence à bien fonctionner. Auparavant, les sociétés, surtout les plus importantes, avaient leurs propres structures pour le recrutement des étudiants. Je pense que ça va encore évoluer. Il y a en tout cas une forte demande des étudiants luxembourgeois, voire même des étudiants frontaliers, pour trouver un travail de vacances au Luxembourg.

Dans la mesure où le Luxembourg fait appel à une vaste main-d’œuvre frontalière, est-ce qu’au niveau de Manpower vous collaborez avec les agences des pays voisins?

«Manpower étant un groupe international, nous collaborons d’abord sur des clients communs. Ensuite, les agences travaillent entre elles en fonction de profils, de demandes particulières. Ça peut être le cas d’un client belge qui s’établit au Luxembourg, d’un client luxembourgeois qui a un chantier en France… Il y a des échanges en permanence avec le réseau Manpower des autres pays et ça fonctionne au cas par cas. On pousse à la collaboration entre les agences. C’est plus une question d’opportunités et de relations entre les agences. On fait aussi appel à nos collègues quand on ne trouve pas certains candidats. Nous plaçons des annonces sur leurs sites, regardons dans leur base de données…

Chaque employé dispose d’une autonomie réelle et étendue.

Anne Leclercq, director Manpower

D’après une enquête que vous avez menée à l’occasion de vos 50 ans, les employeurs peinent à trouver les talents qu’ils recherchent. Comment les aidez-vous concrètement dans cette recherche?

«D’abord, pour répondre aux particularités du marché luxembourgeois, nos équipes sont multilingues. Dans le secteur des services notamment, c’est un point essentiel dans la recherche des talents. Ensuite, nous employons des consultants qui sont de réels professionnels du recrutement. Leur véritable travail, c’est de lire derrière le CV. Parvenir à voir si la personne va être motivée, si elle correspond aux attentes et valeurs du client. Ce sont les soft skills qu’on ne peut maîtriser qu’après une certaine pratique du recrutement. Enfin, nous ne nous plaçons plus de barrières. Aujourd’hui, nous recrutons régulièrement via Skype des gens qui peuvent venir de tous les horizons. Nous avons vraiment glissé vers une dimension plus globale. Les gens sont attirés par le Luxembourg, c’est un pays cosmopolite. Il y a des candidats à qui ça ne fait plus peur de faire des interviews par Skype avant de quitter leur pays pour rejoindre le Grand-Duché.»

Parcours
Semer et récolter
Entrée chez Manpower en 2003, après avoir «placé des plantes dans tous les bureaux du Luxembourg», Anne Leclercq se concentre depuis trois ans sur la filiale luxembourgeoise en tant que director Manpower.

Originaire de la région liégeoise, après des études en économie, elle a d’abord travaillé à l’Université de Liège en tant que chercheuse et assistante. Elle préparait parallèlement une thèse de doctorat sur le marché de l’art. «Mais, à l’époque, l’économie ne s’intéressait pas à l’art et les artistes ne se montraient pas non plus réceptifs à l’économie. Je me sentais donc un peu seule», constate-t-elle rétrospectivement. Après trois ans de vie académique, en 1997 elle rejoint donc la société Rentokil Initial au Luxembourg, en tant que responsable de la division «plantes tropicales». Une expérience de sept ans qu’elle juge «formatrice» parce qu’elle l’a mise en contact avec de nombreux dirigeants de la Place. «Ils aiment choisir personnellement la décoration de leurs bâtiments.» C’est d’ailleurs chez un de ses clients, Manpower Belgique, qu’elle atterrit en 2003 alors qu’elle était devenue sales manager Belgique-Luxembourg. Elle démarre en tant que responsable pour une partie de la Wallonie et grimpe les échelons pas à pas pour, en 2011, gérer tout le sud de la Belgique et le Grand-Duché. «En 2012, j’ai fait le choix de gérer uniquement le Luxembourg en direct, il y avait beaucoup de défis à relever», explique Anne Leclercq, désormais à la tête d’une équipe de 25 personnes et d’un réseau de huit agences.