L'ouvrage expose la fréquence, l'étymologie, la localisation et l'évolution de plus de 2.600 noms de famille luxembourgeois. (Photo : Patricia Pitsch)

L'ouvrage expose la fréquence, l'étymologie, la localisation et l'évolution de plus de 2.600 noms de famille luxembourgeois. (Photo : Patricia Pitsch)

C’est le résultat de trois années de travail qu’ont présenté lundi Peter Gilles, professeur en linguistique à l’Institut de langue et de littératures luxembourgeoises, et Cristian Kollmann, chercheur en langues romanes et germaniques à la Maison des sciences humaines du campus Belval. Avec la doctorante Claire Muller, ils ont endossé le projet de recherche «Atlas des noms de famille luxembourgeois» confié par le Fonds national de la recherche à l’Université.

L’atlas en lui-même avait été mis en ligne en 2012 et un premier ouvrage collectif, «Les noms de famille entre la Meuse et le Rhin», avait été publié en 2014.

«Le livre luxembourgeois des noms de famille», publié aux éditions De Gruyter, se présente comme une déclinaison plus accessible de ces recherches, sous la forme d’un dictionnaire reprenant plus de 2.600 noms de famille.

«Il est assez rare de publier un livre issu de travaux de recherche, mais celui-ci est facilement compréhensible et s’adresse autant aux chercheurs qu’au grand public», souligne Peter Gilles. «C’est d’ailleurs un sujet qui intéresse beaucoup de monde, qui renvoie à l’identité luxembourgeoise et à nos origines.»

La recherche est enfin prise au sérieux.

Peter Gilles, professeur de linguistique à l'Université du Luxembourg

Le projet de recherche en lui-même s’inscrit dans une tendance européenne, celle d’un regain d’intérêt pour l’étymologie et l’origine des noms de famille. «Depuis 10 ans, on observe une renaissance de ce sujet alors qu’avant il était laissé à la généalogie populaire, sans perspective scientifique», commente Peter Gilles. «La technique moderne le permet maintenant», ajoute Cristian Kollmann. «De plus en plus d’archives sont numérisées, cela facilite les recherches, car on peut aisément lancer une recherche automatique dans des documents anciens.»

Enfin, l’Université doit s’aligner sur ses consœurs. «Le Luxembourg est une nation jeune, avec une langue relativement jeune et une recherche tout aussi jeune – il y a un phénomène de rattrapage par rapport à cela et la recherche est enfin prise au sérieux», se réjouit Peter Gilles.

Il a fallu un véritable travail de fourmi pour aboutir à ce dictionnaire plutôt agréable à feuilleter. Ne disposant d’aucune base de données exhaustive renseignant les noms de famille des résidents, les chercheurs se sont appuyés sur l’annuaire d’Editus de l’année 2009. Résultat: 36.326 noms différents… «C’était beaucoup trop, nous avons donc choisi de ne garder que les noms existant avant 1880», indique Peter Gilles. Un recensement avait en effet eu lieu en 1880, fixant les noms usités à l’époque. Surtout, cette date précède le 20e siècle et ses vagues de migrations successives, en particulier italiennes et portugaises, qui ont introduit de nouveaux noms de famille dans le paysage luxembourgeois.

2.656 noms et plusieurs influences

Il restait encore plus de 8.500 noms à examiner après ce filtrage, aussi les chercheurs ont décidé de ne retenir que les noms les plus fréquents – ceux qui revenaient au moins 15 fois dans l’annuaire. Au final, 2.656 noms ont obtenu le droit d’apparaître dans l’ouvrage final.

Pour chaque nom, les chercheurs et leurs collaborateurs, W. Amaru Flores Flores et Britta Weimann, ont détaillé ses variantes, son étymologie, son évolution dans le temps ainsi que sa répartition géographique au Luxembourg, mais aussi dans la Grande Région - «notre histoire culturelle est très fortement empreinte par nos voisins et nous constatons l’influence des langues française, wallonne, flamande et de plusieurs dialectes allemands», rappelle Peter Gilles.

Quant à la signification des noms, «certains ont une étymologie évidente, comme les noms de métier. Pour d’autres c’est plus compliqué». L’analyse de documents anciens et la collaboration avec des sociétés de généalogie comme Luxracines ont ainsi mis au jour certaines origines surprenantes, comme ces noms que la Renaissance a latinisés par effet de mode pour leur adjoindre la terminaison –ius (Bisenius, Wiltzius…). Le nom Wolter amène également des interrogations, puisqu’il est très répandu au Luxembourg, comme ses variantes Welter et Walter, mais quasiment absent en Allemagne, sauf dans le nord du pays. Un «lien étrange» probablement dû à une migration, note Cristian Kollmann.

C’est une partie de notre histoire.

Peter Gilles, professeur de linguistique à l'Université du Luxembourg

Certaines variantes sont très localisées comme Schiltz, concentré sur le Grand-Duché et la région de Trèves, alors que Schmit ou Schmitz se retrouvent dans plusieurs pays et même en France. Le nom Wanderscheid a des origines allemandes mais aussi wallonnes, voire picardes. Morn, Schanen ou encore Johans se retrouvent fréquemment dans le nord du Luxembourg et nulle part dans le sud. Le top 10 des noms les plus fréquents: Schmit, Muller, Weber, Hoffmann, Wagner, Thill, Schmitz, Schroeder, Reuter et Klein.

Autant de subtilités à découvrir au fil des pages de ce dictionnaire singulier ou sur l’atlas en ligne qui permet de visualiser l’implantation de chaque nom au Grand-Duché et chez ses voisins. «Cela ouvre aussi de nouvelles possibilités de recherches plus poussées sur le nom des villages et des lieux, sur la grammaire historique, sur l’étymologie», souligne Cristian Kollmann. «Ce projet de recherche a demandé beaucoup de temps, des compétences très spécialisées en langues germaniques, mais aussi romanes – mais c’était important de le faire parce que c’est une partie de notre histoire», plaide Peter Gilles.