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Existe-t-il, au Luxembourg, une jurisprudence concernant le "domain grabbing"?

Thierry Reisch: En matière d'attribution de noms de domaines, l'usage obéit à l'heure actuelle à la règle: «Premier arrivé, premier servi». Les deux facteurs essentiels déterminant la possession d'un nom de domaine sont en l'occurrence la rapidité et la diligence avec laquelle on réserve ce nom de domaine. Une fois attribué un nom de domaine, dans une zone géographique déterminée, tout tiers, même propriétaire d'une marque correspondant au nom de domaine en question, aura des difficultés à faire valoir un quelconque droit sur le nom en question.

On parle de «Domain Grabbing», quand des cyber-squatteurs occupent,  pour ainsi dire illégitimement un nom de domaine. Il est évident qu'il s'agit là d'une activité moralement et juridiquement condamnable qui vise à monnayer un nom de domaine préalablement enregistré et inexploité, auprès d'une société titulaire d'une marque ou d'une autre dénomination sociale qui souhaite exploiter un site.

Les deux principaux facteurs qui ont rendu possible le cybersquatting sont l'opportunisme et la rapidité de celui qui a enregistré le nom de domaine en question et d'autre part, le défaut de diligence de la personne physique ou morale qui, dans sa naïveté ne s'est pas précipitée à déposer elle-même son nom de domaine.

A l'heure actuelle, il n'existe à notre connaissance aucune jurisprudence luxembourgeoise en la matière. Chez nos voisins français par contre, les Tribunaux ont déjà à plusieurs reprises eu l'occasion de trancher des affaires de ce genre. Ainsi dans un litige entre la société FRAMATOME1 ayant enregistré le nom de domaine www.framatome.fr, les juges ont dû intervenir contre une association qui avait enregistré le nom du domaine www.framatome.com. L'affaire s'est finalement soldée par un arrangement.

Dans une autre affaire, la société SNC Alice, titulaire de la marque «Alice» déposée en classe 35 pour désigner des services de publicité avait assigné en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale la SA Alice, société qui d'après ses statuts exerçait ses activités dans le domaine de l'édition de logiciels, sous prétexte que celle-ci avait déposé auprès de NIC France le nom de domaine «alice.fr». A cette occasion il a été jugé2 à juste titre que: «Les activités d'édition de logiciels, qui sont présentés sur le site Internet de la SA Alice, ne sont ni identiques ni similaires aux services désignés par la marque «Alice» de la SNC Alice qui sont relatifs à la publicité. Que dans ces conditions et faute par la SNC de justifier de la notoriété de la marque, les faits de contrefaçon de marque ne sont pas établis».

Citons encore l'exemple de l'affaire où la commune de Saint-Tropez avait eu recours à des prestataires de services pour la création de son site à l'adresse www.nova.fr/saint-tropez. Ces derniers ne sont cependant pas contentés de créer le site pour la commune, mais ont cru devoir exploiter un site propre à l'adresse www.saint-tropez.com.

Constatant cette exploitation concurrente par son partenaire, la commune l'a assigné au fond3 pour faire valoir son dépôt de la marque Saint-Tropez dans la classe des télécommunications.

Du fait qu'une mention distinctive, précisant que le site en question n'est pas celui de la commune, ne suffit pas à écarter la contrefaçon, le tribunal fait interdiction à la SA EURO VIRTUEL d'utiliser la marque Saint-Tropez dans la dénomination de son adresse Internet, ainsi que toutes celles liées à l'exploitation d'un site d'hébergement sur ce logiciel.

Aux Etats-Unis, les tribunaux ont jugé à de nombreuses reprises que l'enregistrement à titre de noms de domaines de la marque d'un tiers constituait un acte de contrefaçon. Faute d'une législation harmonisée, il restera évidemment très difficile de faire valoir ses droits à l'échelle mondiale.

Pour finir, il est important de préciser qu'une personne rachetant à un cybersquatteur de mauvaise foi un nom de domaine pourrait, si elle le désire, songer à dénoncer son contrat de rachat. En effet, la validité de cette opération pourrait être contestable sur le fondement de «l'absence de cause», principe prévu par le Code Civil. Un tel contrat pourra le cas échéant être déclaré comme nul par un juge.

1) Ordonnance de référé, TGI de Paris, 25 avril 1997, Framatome c/ Association internaute, légalis.net.

2) TGI Paris, ord. réf. 12 mars 1998.

3) TGI de Draguignan, 1ère ch, 21 août 1997, Commune de Saint Tropez c/ Euro Virtuel et autres n° 641-III-558