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Le Luxembourg est un marché de distribution et non pas un marché de production. Pas la peine d'être hautement diplômé en études marketing pour faire le constat que l'activité du pays tourne essentiellement autour de marques et produits importés, qu'il est plus ou moins facile de décliner à la sauce luxembourgeoise, voire, le cas échéant, belgo-luxembourgeoise".

"Il a toujours été un grand mystère pour moi de constater qu'il n'y a que deux ou trois vraies marques luxembourgeoises, remarque Raoul Thill, Directeur de l'agence Bizart. Le pays dispose pourtant d'une densité de médias incomparable qui permet de toucher un pourcentage élevé de la population, le soir, via RTL ou le Wort". La particularité géo-sociologique du Luxembourg en fait ainsi, incontestablement, un terrain privilégié pour qui voudrait créer et développer une marque.

Evidemment, vu de l'étranger, la petitesse du marché luxembourgeois n'incite guère à investir neurones et espèces sonnantes et trébuchantes. Il faut donc compter sur les entrepreneurs locaux pour développer de bons concepts de branding, c'est-à-dire les actions marketing ou publicitaires visant à travailler sur la notoriété et l'image d'une marque.

Ces actions varieront, évidemment, selon que la marque à promouvoir est plutôt grand public ou orientée B2B, ciblée vers des jeunes ou des moins jeunes; ou bien qu'il s'agisse d'un produit de grande consommation, un produit de niche, ou bien encore un service? A chaque cas de figure sa stratégie propre. Et pas la peine de demander une recette "passe-partout". "Il n'y a évidemment pas UNE approche garantissant le succès, rappelle Jeannic Lecomte, Directeur général associé de l'agence Repères Communication. On a l'habitude de dire: 'Comme on fait son lit on se couche'! Cet adage s'applique parfaitement aux cas qui peuvent se présenter. En effet si au départ l'agence n'a pas fait le travail préalable d'une bonne analyse de départ en se posant les bonnes questions, les bons outils ou moyens ne pourront pas être mis en oeuvre".

Pol Goetzinger, Directeur de l'agence Concept Factory (à qui on doit, notamment, le développement des produits Zebra de la Banque et Caisse d'Epargne de l'Etat), reconnaît volontiers que le brand marketing, c'est son grand dada. Il identifie quatre étapes importantes dans la mise en oeuvre de tout le processus: "Le briefing de départ, la définition de l'architecture de la marque, puis de la stratégie de marque et enfin la mise en place en elle-même. Il convient de rassembler toutes les forces vives, avec des techniques d'animation et de projection, car il faut aussi tenir compte de la structure opérationnelle de l'entreprise: où et comment elle compte évoluer dans le futur".

Il y a, évidemment, mille et une façon de décliner une marque. Un nom, bien sûr, mais aussi un slogan, un élément visuel ou sonore (ou les deux), une forme ou encore une couleur, ce dernier critère n'étant sans doute pas aussi anodin qu'il peut y paraître.

Dans la communication financière B2B, par exemple, des teintes allant vers le bleu seront davantage privilégiées: "Les décideurs de la finance se retrouvent plus dans ces tons-là, explique Bob Hochmuth, président et directeur commercial de l'agence Advantage. On n'utilisera pas, en revanche, de rouge flamboyant. Cela fait partie des réflexes de base". Une analyse que complète Serge Estgen, directeur du développement et des relations publiques d'Advantage: "Ces notions de goût et de couleur sont naturellement très différentes selon les cibles et il peut arriver qu'un client nous dise 'je n'aime pas telle ou telle couleur'. Mais il ne faut pas que ce client oublie que la campagne ne s'adresse pas à lui! Il ne faut pas 'faire comme'. Il faut être".

Plus qu'un nom, une philosophie

Tous les coups sont bien sûr permis, dans le seul but de faire en sorte que la marque en question marque? les esprits et devienne, à la longue, incontournable. C'est elle qui donnera un réel sens au produit (ou au service et, par extension, à l'entreprise).

Elle se présente vers le consommateur final comme une promesse devant l'inciter à mettre le prix pour l'acquérir. Il suffit pour s'en persuader de considérer, en grande surface, des produits tels que les lessives qui, à la base, sont bien souvent identiques, mais commercialisées soit sous des marques réputées, soit sous l'enseigne du distributeur.

Mais une marque, c'est évidemment bien plus qu'un simple nom, dessin ou logo. "Lorsque l'on crée une marque, le plus important est de dégager une véritable philosophie, explique Raoul Thill. Il ne s'agit pas de poser un nom sur une boîte. Cette philosophie, elle devra accompagner le produit à chaque instant de son existence". Ce qui n'empêche, pas, bien sûr, d'être également capable, sur une longue période, d'évoluer avec l'air du temps et de savoir repositionner le produit en adéquation avec un environnement en mouvement perpétuel.

Le positionnement? l'un des mots clefs pour un produit, un service ou une entreprise, dans l'élaboration et la conception d'une stratégie marketing. Car c'est évidemment à l'entreprise de décider quel doit être le positionnement de son produit ou service: pas question que ce soit le marché qui décide pour elle et, à plus forte raison, la concurrence, qui pourrait, alors, complètement fausser les données! "Une fois ce positionnement défini, il convient de s'y tenir et de suivre la ligne, moyennant quelques adaptations ponctuelles, prévient Jean-Luc Mines, président du Comité de direction de l'agence Mikado-Publicis. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il est raisonnable de se lancer dans la campagne image et la campagne produits".

L'acceptation d'une marque par la cible recherchée (qu'il faudra évidemment prendre soin d'identifier) est forcément un travail de longue haleine. "Un branding réussi, c'est une marque qui prend des parts de marché, précise M. Mines. Mais on sait très bien qu'on ne prendra pas tout de suite 50% de ces parts!".

Reste que pour réussir un bon branding, il faut s'en donner les moyens, ce qui implique, au commencement, d'en disposer! C'est sans doute là que le bât blesse au Luxembourg. "Par rapport à la recherche d'idées, de conception, de campagne, on sait aussi bien faire, au Luxembourg qu'ailleurs, et sans doute même mieux, rapporté à notre taille, estime Jean-Luc Mines. Mais il demeure le problème de la réalisation technique: les agences du pays n'ont pas toujours les moyens de faire appel à une production TV ou un photographe de niveau international. Parfois, le coût de la simple réalisation équivaut à un budget complet de campagne. Notre volonté est donc de faire aussi bien avec moins".

Sans compter qu'une campagne, réalisée par exemple avec un budget d'un million d'euros (ce qui, à l'échelle du pays, correspond déjà à un très gros investissement), n'aura pas nécessairement un impact triple par rapport à une campagne disposant de 300.000 euros de budget. La couverture médiatique restera sensiblement la même: une télé, une ou deux radios, trois ou quatre journaux et, le cas échéant, le cinéma.

Quantité et qualité

Si les moyens financiers peuvent être prépondérants en aval du processus, il ne le sont pas moins en amont, au moment où doit être réfléchie la réalisation d'études préalables. Deux grandes catégories cohabitent et se complètent: les traditionnelles études quantitatives (les sondages d'opinion) auxquelles on adjoint, de plus en plus, des études qualitatives.

Les premières permettront de déterminer combien de personnes sont attirées par un produit ou un service donné; les secondes défini ront les raisons de cette attirance ce qui permettra, le cas échéant, de rectifier le tir lors du développement d'une marque.

Exemple concret avec Pol Goetzinger: "Lorsque nous avons eu à élaborer une architecture de communication pour l'armée luxembourgeoise, on nous disait, lors des briefings, que les jeunes citoyens voyaient dans l'engagement la possibilité de faire du social et de l'humanitaire. Or les études qualitatives que nous avons réalisées par la suite n'ont pas du tout montré cet état de fait, ce qui nous a obligé à revoir la façon de faire passer le message".

Au Luxembourg, deux grandes entreprises dominent le marché dans leurs créneaux respectifs: l'ILReS pour ce qui est de l'aspect quantitatif et Quest ? une initiative commune aux agences Binsfeld Communication, Concept Factory et Mikado-Publicis, ainsi qu'à la société de conseil en marketing Exxus (voir aussi paperJam 02.2003 page 12) ? pour ce qui est du volet qualitatif.

"Les études quantitatives donnent une vue d'ensemble assez objective et font bien ressortir les principales données du marché dans leur contexte socio-économique, explique Carlo Dickes, directeur de l'agence Comed. Les études qualitatives, elles, vont plus en profondeur et mettent à jour les motivations et les sentiments par rapport à un produit, une marque ou des idées. Ainsi, l'étude qualitative peut-être très importante par exemple pour connaître l'acceptation psychologique?.

Une étude qualitative ne se justifie pas toujours, mais elle permet néanmoins de mieux savoir ce que pensent les gens et ce qu'ils attendent. Une entreprise débarquant sur un créneau pourra, de la sorte, avoir une image plus détaillée du marché. Une entreprise renommée désireuse, quant à elle, de lancer une nouvelle marque saura exactement où elle en est en terme de notoriété et d'image générale. Et là, gare aux surprises, car il peut arriver que la notoriété d'une entreprise ne corresponde pas exactement à ce que ses dirigeants croient!

"Idéalement, il faudrait réaliser les deux sortes d'études, estime M. Dickes. A l'étranger, cela se fait quasiment toujours, mais au Grand-Duché les budgets manquent souvent. C'est dommage, car les études nous permettent d'aborder un marché d'une façon beaucoup plus objective et plus professionnelle. Mais il faut dire aussi que l'expérience et le feeling d'une agence sont très importants. Dans le passé, nos propres analyses étaient le plus souvent très proches de ce qui est ressorti plus tard dans les études".

A charge, également, pour l'entreprise qui souhaite confier le développement d'un produit ou d'une image à une agence spécialisée, d'être le plus complet possible dans son briefing initial. Car si l'entreprise est supposée maîtriser parfaitement son produit, pour lequel elle vit en permanence, l'agence, elle, ne dispose que de quelques semaines pour en assimiler toutes les finesses...

 

Rosport
Avec ou sans bulles?

Entre les Sources Rosport et l'agence Binsfeld, la complicité ne date pas d'hier? Elle n'a eu cesse de se bonifier, comme le bon vin. C'est donc tout naturellement que les deux parties ont planché, ensemble, sur l'ensemble de la stratégie liée au lancement des deux marques Rosport Blue et Viva.

La 1ere source, gazeuse, avait été découverte en 1955 et c'est quatre ans plus tard que le premier soutirage eut lieu. La Rosport Classic était née. Il fallut ensuite attendre 1993 pour que vienne la Rosport Medium, "légèrement pétillante" et 1996 pour que débarque la fameuse Rosport Blue. "N'étant disponible dans le secteur Horeca qu'en 25 et 75 cl, le produit Rosport perdait de la vitesse, explique Marc Binsfeld. Sur la base du même produit que le Rosport Medium, vert, nous avons imaginé le Rosport Blue, en format 50 cl'. L'idée était de différencier un produit qui n'était alors disponible qu'en restauration, avec un design et une étiquette reflétant toute sa plus-value. Le succès fut au rendez-vous et beaucoup de gens ont imaginé qu'il s'agissait d'une "nouvelle" eau.

Pour Viva, la problématique était un peu différente, puisqu'il s'agissait effectivement d'une nouvelle eau (une source non-gazeuse découverte en 1993) et non pas une eau dégazéifiée. "Cela impliquait de trouver un nom qui soit différent, tout en gardant la référence à Rosport, comme gage de qualité", explique M. Binsfeld, qui explique aussi avoir privilégié l'efficacité de l'information contenue dans le message plutôt que le design en lui-même. Sur la centaine de noms imaginés, celui de VivA a assez rapidement pris le dessus. "Un nom compréhensible dans toutes les langues, évoquant la vie, la vitalité, pour une eau de tous les jours, facile d'accès, conviviale".

Pendant près d'un an et demi, études de marché, blind tests et études d'image se sont succédés pour arriver au lancement officiel de la marque en mai 2001, en présence de LL.AA.RR. le Grand-Duc Henri et la Grande-Duchesse Maria Teresa.

En 2002, 2,5 millions de litres de VivA ont été vendus, soit une croissance de 80% par rapport à 2001. La marque, aujourd'hui, entre progressivement dans les moeurs.

 

Raoul
Ca roule!

Quand Raoul roule, il ne boit pas. Pour la quatrième année, l'ombre de Raoul planera sur vos soirées en discothèque ou au restaurant. Prolongement naturel de la campagne plus ancienne "Chauffeur fir den owend' (un chauffeur pour la soirée), le concept de Raoul, développé par Bizart, se veut fédérateur, chacun étant susceptible de s'identifier à ce personnage joyeux, sexy, éloigné de l'image du "bon gars" qui se morfond dans un coin pendant que ses copains s'éclatent. "Il était important que la personne qui ne boit pas ne soit pas assimilée à un plouc, à un imbécile qui n'a pas d'amis", explique Raoul Thill, Directeur de l'agence Bizart.

Lors des trois premières années d'existence de Raoul, la campagne s'est surtout attelée à faire le lien avec le "Chauffeur fir den owend' déjà existant et de ne pas se tromper de message. "Le but n'est pas de dire 'ne buvez pas', mais au contraire 'amusez-vous, à condition d'opter pour la vie en laissant une personne sobre vous ramener", précise M. Thill.

Initialement menée avec des marques d'eaux (Rosport, Gerolsteiner, ?), Bizart s'est tournée, pour des raisons stratégiques, vers Bofferding. "On s'était rendu compte qu'on était à côté des réalités, explique Raoul Thill. Il était important de responsabiliser aussi les producteurs d'alcool'.

La campagne s'est donc développée selon un large plan mix-média: panneaux routiers, sous-bocks, affiches dans le réseau Bofferding, chez les médecins, dans les écoles, sans compter les opérations "sur le terrain' avec limousine (ayant appartenu à Barry White en personne) et figurants. Un nouveau spot cinéma, réalisé en interne, doit également être diffusé à compter de fin février, sans oublier, évidemment, une couverture "presse" minutieuse, à base de conférences et de communiqués.

Initialement, l'idée d'une campagne couplée avec le Bob belge avait été étudiée, mais se heurta à des problèmes "techniques": la marque "Bob", en Belgique, appartenait non pas à la Sécurité routière, mais à? Interbrew, concurrent direct de Bofferding?

Si le personnage luxembourgeois partage le même prénom que le directeur de Bizart, ce n'est pas uniquement dû au hasard. Mais Raoul n'en a pas moins été mûrement réfléchi: "C'est un nom que l'on peut prononcer dans toutes les langues et qui peut rappeler le bruit du moteur d'un véhicule. Et puis il y a plusieurs expressions populaires qui le reprennent".

C'est assurément dans cette popularité que se mesure la réussite d'un branding. Raoul n'est pas loin d'avoir gagné son pari? Quant à Bizart, elle en tente un autre, début mars, avec l'avènement de chocolats et eau de vie sous le label ?Bizart Food Premium': une intiative destinée à véhiculer autrement le message lié au nom de Bizart...