Vincent Romiguière, HR manager, Delphi CTC Europe (Photo : David Laurent/Wide)

Vincent Romiguière, HR manager, Delphi CTC Europe (Photo : David Laurent/Wide)

M. Romiguière, d’où viennent les employés de Delphi au Luxembourg ?

« Notre premier vivier professionnel, c’est l’Allemagne et la France. Cela correspond en fait aux projets que nous avons avec nos clients. Autrement dit, même si l’anglais est la langue universelle, les clients préfèrent parler leur langue avec nos équipes. Lorsqu’ils posent une question en allemand, ils préféreront une réponse en allemand. Idem en français. C’est la raison pour laquelle nous constituons nos équipes en fonction des langues de travail.
Sur les 630 employés que nous avons aujourd’hui, environ 85 % sont ‘techniques’, c’est-à-dire qu’ils sont ingénieurs ou techniciens. C’est un personnel très qualifié, mais difficile à trouver au Luxembourg. Dans le secteur, il y a – pour les plus grands – nous, IEE et enfin Goodyear. Nous nous connaissons, nous nous rencontrons, nous discutons entre nous de nouveaux problèmes et difficultés communes.

Cette connaissance mutuelle, d’ailleurs, a d’autres avantages. Par exemple, en 2010, lorsque nous avons dû nous séparer d’un certain nombre d’employés pour des raisons économiques, nous avons partagé les profils avec d’autres sociétés du secteur. C’était un moment où certaines recherchaient des compétences, et où nous étions en excédent. La proximité peut avoir du bon.

Il reste 15 % des salariés, qui représentent en fait tous les services de support. On y trouve les ressources humaines, la finance, des services qui peuvent venir en soutien de différents sites et activités dans différentes régions. Il y a en effet plusieurs usines qui sont partiellement pilotées à partir d’ici, en France, en Italie, en Hongrie, en Pologne ou en Roumanie.

Est-ce qu’il est difficile de gérer des RH, alors que l’on fait partie d’un grand groupe américain ?

« Dans le domaine de la gestion des ressources humaines, il y a un certain nombre de processus et de pratiques qui sont directement initiées aux États-Unis. Notre rôle, c’est de les suivre et de les adapter selon les spécificités luxembourgeoises et européennes. Le degré d’adaptation évolue bien entendu en fonction de la problématique sur laquelle se porte ce point. L’exemple le plus évident est lorsqu’il y a une implication légale, fiscale ou salariale dans le processus.

Il y a d’autres processus qui peuvent être plus surprenants. Par exemple, et c’est un reflet de l’origine américaine de l’entreprise, Delphi est très sensible aux problèmes de fraude et d’éthique. Il existe ainsi aux États-Unis un numéro de téléphone que les employés peuvent appeler lorsqu’ils ont vu un de leurs collègues avoir une pratique jugée non éthique. Ce système, n’importe où en Europe, n’est pas applicable tel quel. Ce que nous avons conservé, c’est la mise en place d’une ligne téléphonique dédiée à tous les problèmes que les salariés peuvent rencontrer. Autre exemple : nos méthodes d’évaluation du personnel sont très directement inspirées de la politique américaine. La manière de fixer les objectifs, de les revoir en cours d’année, et enfin d’évaluer la performance en fin d’année, fonctionne bien. Nous n’avions pas besoin de les changer, il n’y avait pas de raison.

Vous avez connu des moments difficiles, en 2009 notamment…

« Nous avons été à la une avec la mise en place d’un plan social. Le fait est que la crise n’avait pas attendu cette année pour nous frapper. Dès 2008 le problème était là. Nous avions déjà mis en place des mesures de prévention et de planification pour éviter au maximum les licenciements. Maintenir l’emploi a toujours été pour moi primordial, c’est la raison pour laquelle nous avons joué sur le maximum de leviers à notre disposition, comme les départs à la retraite, les départs volontaires, le non renouvellement des contrats à durée déterminée, et l’arrêt du recours à l’intérim. Tout cela avait déjà été fait, mais la crise nous ayant impactés encore plus lourdement, cela ne suffisait plus.

Je préfère toujours jouer la transparence. J’ai une très bonne relation avec les syndicats, même si bien évidemment, nous ne sommes pas toujours d’accord ! La délégation a ainsi toujours été tenue au courant de nos difficultés. Ici encore le soutien des autorités publiques, qui je pense est spécifique au Luxembourg, a été très utile et très important.

Nous avons ainsi mis en place un système de chômage partiel en 2009. Le fait est que ces pratiques étaient pensées en priorité pour des ouvriers. La manière de le mettre en place pour des ingénieurs ne peut pas être la même. Mais à nouveau l’objectif était identique : préserver l’emploi. Tout le monde a été mis à contribution, moi y compris. Nous avons également essayé au maximum d’organiser un redéploiement des équipes. Le problème est qu’un jour ou l’autre toutes ces solutions ne suffisent plus. On arrivait véritablement aux limites de tous les systèmes évitant des licenciements directs.
Nous avons donc dû organiser et négocier un plan social. Mais ce qui est sorti dans la presse ne reflétait pas la réalité. C’était une négociation, tout le monde s’est retrouvé à la même table, à discuter et échanger.

Quel a été le résultat de ces négociations ?

« Alors que le plan initial était calibré pour 110 départs, nous sommes redescendus à 70 personnes, qui ont été informées en une semaine. Le fait de le faire le plus rapidement possible, en apprenant son sort aux personnes concernées le jour même, était volontaire. Nous avons eu une discussion directe avec chacun le jour de son départ. Nous avions également mis en place une cellule d’outplacement, gérée par un prestataire externe. Directement après l’annonce du licenciement, des salles étaient réservées sur le site pour que les salariés licenciés puissent avoir un contact direct avec l’entreprise, et une prise en charge psychologique immédiate.

Je reconnais que tout n’a peut-être pas été ‘parfait’ mais dans un contexte aussi difficile que celui-là, nous avons pris le temps, nous avons mis les moyens, même si cela coûtait quelques nuits blanches.

Qu’est-ce qui a été le plus dur ?

« Ce qui était difficile, c’est qu’à peine ce premier plan social terminé, en 2010, ma direction m’a annoncé que, suite à des décisions stratégiques au niveau du groupe, nous devions réorganiser certaines équipes avec pour conséquence la suppression d’une quarantaine de postes.
Nous avons donc remis en marche le même circuit de décision, avec la construction d’un plan de maintien de l’emploi. Nous avons lancé l’opération en juillet 2010, sur quatre mois. Encore une fois, nous avons travaillé à assurer le meilleur redéploiement interne possible. Les retraites, les préretraites, le chômage partiel pour les catégories de personnel visé et le volontariat.

À l’arrivée, nous avons eu à faire un plan social, mais qui n’a concerné que sept personnes, en reprenant les mêmes conditions que pour le premier plan, et en y ajoutant quelques éléments.

La tendance est-elle meilleure aujourd’hui ?

« Oui ! Après ces épisodes plutôt mouvementés, la société est repartie, et elle est à nouveau en croissance aujourd’hui. Le fait est que nous avons réussi à décrocher un certain nombre de grands projets sur les domaines diesel et thermique.

Depuis le printemps 2011, nous avons recommencé à recruter. Nous n’avons pas pu le faire plus tôt, faute de visibilité à long terme. Le fait est que le recrutement est un autre défi, beaucoup plus intéressant, mais qui n’est pas pour autant très simple.

Quelles sont les principales caractéristiques de vos ingénieurs ?

« Nos équipes sont passionnées par leur travail. Lorsqu’il y a des visites, et que j’accompagne des groupes dans un tour de laboratoire, j’ai une remarque qui revient très régulièrement : ‘mais les gens sont passionnés et passionnants !’ Lorsqu’un ingénieur explique comment fonctionne sa cellule de tests de durabilité, il aime ce qu’il fait, sait comment le raconter, et il passionne son auditoire.

Il est important pour ces personnes-là d’avoir de bonnes conditions de travail, d’avoir les bons outils, notamment informatiques. Après quelques difficultés, nous avons fait des mises à jour en matériel et des renouvellements récemment. À côté de ça, il y a les grands éléments de motivation classiques, la valorisation de la performance, la reconnaissance.

Mais la principale source de motivation reste encore et toujours l’intérêt que l’on trouve dans son travail. Ici, il est possible de travailler à la fois sur les technologies que l’on trouve déjà sur la route, mais également sur certains sujets qui ne sont pas encore entrés en production, pour lesquels il faudra encore attendre quelques années. Nous travaillons également quelquefois sur des projets qui n’ont pas encore de clients directs à court terme. Nous sommes alors véritablement sur des technologies de pointe, en avance, dans une sorte de prospection technologique qui se transformera en prospection commerciale. De manière générale, nous travaillons sur des technologies safe, green et connected. »

 

Parcours - Injection directe

Âgé de 39 ans, Vincent Romiguière vient du sud-ouest de la France, de l’Aveyron. Après un master de droit à l’université de Toulouse et à Trèves, il rejoint directement Delphi au Luxembourg : « Le marché de l’emploi était plutôt saturé à l’époque à Toulouse, donc j’ai envoyé un certain nombre de CV vers l’étranger. Delphi a répondu et j’ai été embauché. Cela fait maintenant 12 ans. J’ai commencé en tant qu’assistant RH, puis coordinateur RH, puis responsable recrutement, et enfin, depuis 2006, directeur des ressources humaines. En 2011, en plus de ma responsabilité de DRH pour le site luxembourgeois, je couvre également l’activité ‘Thermal’ pour l’Europe. Ce qui peut paraître paradoxal, c’est que j’ai baigné toute ma jeunesse dans le milieu syndical : mon père était délégué syndical… Je pense que cela me permet non seulement de mieux appréhender les relations sociales avec les partenaires sociaux, mais également d’avoir véritablement au cœur de mes préoccupations les individus et leurs conditions de travail, ainsi que le maintien de l’emploi. »