La saga de la cession de la participation détenue par Fortis Luxembourg dans Luxair n’est pas à proprement parler un vaudeville, mais elle en a tous les ingrédients. Avec, certes, un peu plus de protagonistes que le traditionnel triptyque mari/femme/amant (ou maîtresse), mais avec son lot de finesses, de subtilités et de rebondissements.
A l’origine, début juin, un courrier de l’ex-BGL – qui détient 12,15% de la compagnie aérienne – faisant part aux autres actionnaires (L’Etat possède 23,1%, la BCEE 13,4%; Dexia BIL 13,1%, Lufthansa 13% et Panalpina 12,1%, le solde étant détenu en propre par Luxair et quelques petits porteurs) de son intention de céder ses parts, indiquant même qu’elle avait trouvé un acheteur, en l’occurrence BIP Investment Partners, dont elle possède toujours un quart du capital. Le tout pour un montant de quelque 20 millions d’euros, ce qui valorise Luxair à moins de 170 millions d’euros, un montant jugé comme étant largement sous-estimé par certains membres de la direction de Luxair.
«Mais nos analystes se sont basés sur les prix du marché, nous a expliqué Carlo Thill, le président du comité de direction de Fortis. Lufthansa propose par exemple 65 millions pour racheter 45% de Brussels Airlines. Sans compter que les actions Luxair sont totalement illiquides». Et M. Thill de juger opportun de «présenter», aux autres actionnaires, un partenaire financier crédible.
BIP, pour sa part, semblait sûr de son coup, lors de la présentation de ses résultats semestriels, le 11 juillet, affichant sa confiance dans le fait que les autres actionnaires ne feraient pas valoir leur droit de préemption, au prorata de leurs participations respectives. «Nous défendons avec vigueur une solution privée. Si l'Etat augmentait son contrôle dans la compagnie, ce serait un signe clair qui aurait des conséquences qui iraient bien au-delà de ce simple dossier», indiquait alors Marc Faber, le directeur général de BIP.
Mauvaise pioche. Le 27 juillet, l’Etat actionnait son droit de préemption et annonçait que la BCEE en faisait de même, éjectant du même coup BIP du circuit. Techniquement, les deux partenaires étatiques vont donc prendre 23,1% et 13,4% des 12,15% cédés par Fortis. Le solde a été remis sur le marché pour un «second tour» dans lequel l’ensemble des actionnaires aura à se prononcer sur ses intentions d’ici à la fin du mois d’octobre.
LUFTHANSA SE PROFILE
«La décision de l’État de faire jouer (...) son droit de préemption a pour toile de fond l’intention du gouvernement de conclure avec succès dans les prochains mois les discussions entamées visant la cession d’une grande partie de ce paquet à un partenaire stratégique et industriel compatible avec les intérêts de la société Luxair», indiquait le communiqué du ministère des Transports.
Traduction plus que tentante: les titres sont désormais bien au chaud pour le jour où Lufthansa voudrait augmenter sa participation. Même si la compagnie allemande, qui a récemment pris le contrôle de Swiss, a tout de suite démenti l’information dans un entretien accordé au Tageblatt, son intérêt affiché par ailleurs pour des compagnies telles qu’Austrian Airlines ou Brussels Airlines rendrait logique la volonté de tisser un peu plus sa toile autour de son territoire national, après avoir déjà pris, en 2005, les commandes de Swiss.
Une autre piste se profile également en arrière plan et mène tout droit à la compagnie de fret Cargolux, dont Luxair est le principal actionnaire (34,88%), les deux sociétés partageant, en outre, le même président du conseil d’administration, Marc Hoffmann. Actuellement sous le coup – comme une vingtaine d’autres compagnies – d’une enquête «anti cartel» lancée par la Commission européenne, Cargolux a déjà dû provisionner 155 millions de dollars mais ne sait pas encore ce qui l’attend vraiment, d’autant plus que la justice américaine pourrait également sévir.
En prenant une part conséquente dans Luxair, Lufthansa (qui a déjà joué les repentis dans l’enquête en cours et risque donc moins gros que les autres) mettrait aussi le pied dans la porte de l’un de ses concurrents les plus directs sur le segment du fret...