Nico Simon, Joy Hoffmann, Jean-Paul Thilges et Luc Nothum célèbreront, le 15 décembre prochain, le 20e anniversaire du 1er cinéma Utopia au Limpertsberg. Une saga 100% luxembourgeoise, où la passion alliée à l'esprit d'entreprise a transformé une aventure de cinéphiles amateurs en une entreprise rentable, désormais côtée en Bourse de Luxembourg. Preuve s'il en est que les utopies peuvent faire recette. Utopia S.A. est le seul exploitant de salles de cinémas et de multiplex qui opère sur les trois pays du Benelux, ainsi qu'en région frontalière française.
Pour fêter dignement l'événement, Utopia propose quelques réjouissances avec, en apothéose, le 18 décembre, la fête officielle qui se tiendra au Cercle Municipal, avec présentation d'un film d'une vingtaine de minutes sur l'histoire d'Utopia et la sortie d'une plaquette souvenir.
En plat de résistance, Utopia offre 4 avant-premières: "The Dreamers", de Bernardo Bertolucci (08/12); "In the Cut", de Jane Campion (11/12); "Lost In Translation', de Sofia Coppola (16/12) et "The Last Samouraï" de Edward Zwick (19/12). En dessert est également prévue une nuit des bandes-annonces dont la date reste encore à fixer.
La saga Utopia démarre quand la bande de cinéphiles décida d'ouvrir son propre ciné-club pour y montrer son cinéma préféré dans de bonnes conditions de visionnage. Les quatre fondateurs et leurs nombreux amis retapèrent un garage du Limpertsberg et ouvrirent ainsi la première salle baptisée Utopia, gérée en asbl.
"Le cinéma, c'était un hobby pour nous, explique Nico Simon. J'étais enseignant, tout comme Joy Hoffmann. Jean-Pierre Thilges était courtier et Luc Nothum, opticien. L'équipe comptait un artiste peintre, un menuisier, un électricien, un comptable, des traductrices, des cheminots". Leur première utopie se concrétisa grâce au soutien du ministère des Affaires culturelles. "Le but n'était pas d'en faire une activité rentable. Nous voulions nous faire plaisir et montrer les films qu'on aimait dans les meilleures conditions. On a ainsi constaté qu'il est faux de dire que le cinéma n'est pas rentable", ajoute Nico Simon.
La première salle Utopia connût très vite le succès, à tel point que deux ans plus tard, les jeunes exploitants s'agrandissèrent et construisirent une deuxième salle. Devant leur succès, les autres exploitants se plaignirent de concurrence déloyale. L'équipe dirigeante créa alors une société à responsabilité limitée en 1989.
"Nous avons voulu ouvrir notre petit ?artplexe? car nous craignions que d'autres investissent", précise Nico Simon. Avec Utopia et ses 5 salles, ils furent les premiers à offrir des salles tout confort, avec la technologie sonore dernier cri, le son THX inventé par Georges Lucas. Le succès fut encore au rendez-vous et les distributeurs de films leur réservèrent même des exclusivités.
"Nous avions alors la même semaine à l'affiche le dernier Jean-Luc Godard et le dernier Arnold Schwarzenegger! Cela faisait mauvais genre", s'amuse M. Simon, avec un clin d'?il. Pour lui, le bon cinéma se trouve n'importe où et il déteste le distinguo opéré entre le cinéma commercial et le cinéma d'art et d'essai.
En 1996, Utopia accueillait pas moins de 430.000 spectateurs alors qu'elle est conçue pour en recevoir 200.000. L'équipe d'utopistes cinéphiles, passés exploitants professionnels, monta alors le projet d'Utopolis avec le concours d'un partenaire particulièrement précieux en gestion de multiplex, le groupe belge Kinepolis, devenu actionnaire, mais aussi grâce à des capitaux luxembourgeois, ceux d'Audiolux, filiale de Luxempart (groupe Le Foyer), devenue également associée financier.
C'est par l'entrée du groupe Kinepolis que Boudewijn Muts, aujourd'hui co-administrateur délégué d'Utopia, fit son entrée dans la famille Utopia. Depuis lors, Kinepolis s'est retiré d'Utopia, mais Boudewijn Muts, lui, est resté. Il supervise désormais les développements du groupe en Belgique, en Flandre et aux Pays-Bas. "Le succès immédiat d'Utopolis en a surpris plus d'un, précise-t-il.
À l'instar de son mentor, Kinepolis, Utopia S.A. décide son entrée en Bourse, à Luxembourg, en 1999, pour récolter de nouveaux capitaux. On ne peut qu'ajouter un bémol a cette dernière orientation donnée à l'entreprise, car le cours de l'action Utopia n'a cessé de baisser. Du niveau initial de 52,50 Euro, le cours a connu une chute constante jusqu'à 16 Euro, pour remonter et atteindre aujourd'hui un peu moins de 24 Euro. Compte tenu du contexte global, et de l'effondrement du marché boursier, ce n'est cependant pas une des situations les plus dramatiques vécues sur la Place.
Les fonds récoltés par l'entrée en Bourse ont été consacrés au rachat des Cine city belges (12 salles à Mechelen, 5 à Aarschot, 5 à Lommel, 8 à Turnhout), à la création d'Utopolis à Longwy (7 salles et 1.300 sièges) et à la fusion en 2002 avec le groupe néerlandais Polyfilm. Aux Pays-Bas, le marché est très différent de celui du Belux ou du reste de l'Europe et n'a pas connu la même évolution.
"Nous avons plusieurs projets en construction, dont un complexe de 6 salles (800 sièges) à Den Helder, explique Boudewijn Muts. En septembre 2004, nous ouvrirons le nouveau Utopolis Almere, un multiplex de 8 salles qui comptera en tout 2.500 sièges. Nous avions racheté au départ un cinéma de 4 salles que nous allons fermer. Quand j'ai quitté Kinepolis pour Polyfilm, j'ai repris plusieurs projets sur lesquels je travaillais déjà. N'oublions pas que le développement moyen d'un projet de construction de multiplex prend quelques années, 8 en moyenne".
Et la croissance d'Utopia ne s'arrête pas là: n'oublions pas le projet de multiplex à Belval. Mais là, top secret... "Sur Belval, nous n'en dirons pas plus, car nous nous sommes déjà trompés plusieurs fois sur les dates", s'excuse, prudent, Nico Simon. Ce qui est sûr, c'est que le nouveau complexe sera plus petit qu'Utopolis.
Certains week-ends, trop souvent, Utopolis est effectivement complet. C'est spécifique au cinéma : "Plus de 50%, parfois même jusqu'à 70%, de notre chiffre d'affaires se réalise le week-end, explique Nico Simon. C'est donc très compliqué à gérer. Nous estimons en outre qu'avec la nouvelle autoroute du Nord, la clientèle que nous perdrons au profit de Belval, nous allons la récupérer grâce à cette rapidité d'accès au Kirchberg. Celui qui habite à Differdange ou à Esch vient peut-être tous les deux mois au Kirchberg. S'il a un cinéma tout à côté, il ira plus souvent. Pour nous c'est déjà une augmentation de 100% s'il va au cinéma tous les mois plutôt que tous les deux mois. Plus les salles sont proches de la population, plus le taux de fréquentation est élevé. C'est mathématique. Il faut évaluer correctement ce qu'on va générer avec le nouveau projet à Belval'.
Quant à la concurrence, elle se réduit à peau de chagrin, seules subsistent des petites salles subventionnées, dont Utopia soutient d'ailleurs la remise en état. "Pour nous, ce n'est pas de la concurrence, rétorque Nico Simon. J'ai toujours été convaincu que si nous voulions commercialement tirer un profit du cinéma, il fallait que l'habitude d'aller au cinéma persiste, et pas seulement ici, où nous sommes implantés, mais aussi dans les régions. Cette expérience doit être bonne pour donner aux gens le goût d'y aller".