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Jan Pieter De Nul (Jan De Nul Group)<br/>Photo: DR/Jan De Nul Group 

Vendredi 11 juin, 16h, chantier naval de Sestao, à quelques encablures de Bilbao. Alors que la bouteille d’une bonne cuvée de vin rouge espagnol vient de se fracasser contre la coque parée du pavillon luxembourgeois, le Charles Darwin glisse lentement dans les flots. Un monstre d’acier, un concentré de technologies de pointe, se meut alors avec une grâce étonnante. Le moment est intense, magique. La satisfaction brille dans les yeux de Jan Pieter De Nul, entouré, sur le ponton, du «clan» familial. L’homme n’en est pourtant pas à sa première mise à l’eau. Loin s’en faut. Le chairman et CEO du groupe familial Jan De Nul est aujourd’hui à la tête d’une flotte en incessante expansion, qui comptera 61 navires fin 2011. Le groupe fondé en Belgique et désormais basé au Luxembourg (où il vient de se faire livrer un nouveau bâtiment de 5.000 m2 à Mamer, voir paperjam avril 2010) s’est lancé dans un vaste programme d’investissement pour les années 2007 à 2011, portant sur plus de 2 milliards d’euros et 27 navires. Objectif: disposer à court terme de la flotte de dragage la plus moderne et la plus technologique du monde.

Redémarrage dans un an

Un pari réussi, pour une entreprise employant près de 5.000 personnes dans le monde et qui a su conserver un actionnariat 100% familial. Pour M. De Nul, avoir les coudées franches, notamment en période de crise, sans subir les pressions d’un actionnariat rendu plus timoré par la situation économique, est un atout indéniable pour son groupe. «Nous poursuivons notre programme d’investissement tel qu’il avait été défini au départ, explique-t-il. Nos concurrents ont grandi par les acquisitions successives de sociétés de travaux maritimes – elles étaient 28 en Europe il y a 30 ans, il n’y en a plus que quatre aujourd’hui –, tandis que notre stratégie repose sur la croissance interne.» 

Une croissance qui se poursuit donc sans accros, malgré le ralentissement de l’activité cette année. «Il serait malvenu de ma part de dire que je suis en plein marasme, indique Jan Pieter De Nul. L’an passé, nous avons eu un excellent résultat. Cette année, ce sera un peu moins bien, mais je suis convaincu que l’activité redémarrera très fort dès la moitié de l’année prochaine.»

Si les travaux de dragage et de remblai représentent la part principale de l’activité du groupe, les travaux de génie civil représentent tout de même 11% du chiffre d’affaires (en 2009) et sa filière Envisan, spécialisée dans l’assainissement et les travaux environnementaux, 2%. «Pour certains types de contrats, ce sera sans doute plus long à reprendre, dans les secteurs du tourisme et de l’immobilier notamment. Il y a 18 mois, toutes les quinzaines, un contrat déjà signé était arrêté, faute de financements. Mais j’ai déjà beaucoup de signes positifs de reprise, pour tout ce qui relève des développements portuaires et industriels, ainsi que dans les infrastructures off-shore (pétrole et gaz, ndlr.).»

Le groupe, qui a réalisé les fameux «palmiers» (îles artificielles) de Dubaï, s’active notamment sur les marchés du Moyen-Orient (Sultanat d’Oman, Irak…), en Asie du Sud-Est, il poursuit des projets faramineux en Amérique centrale et du Sud (écluses du canal de Panama, concession à long terme sur le Rio Parana et le Rio de la Plata), ainsi qu’en Australie (troisième terminal conteneur à Port Botany) et en Russie.

S’il se déclare confiant dans une reprise rapide au niveau international, Jan Pieter De Nul est plus réservé quant au développement des activités en Europe: «J’ai quelque craintes en ce qui concerne les contrats avec les pays de l’Union européenne. Assainir les finances publiques, cela revient très souvent à cesser les investissements. Il suffit de regarder ce qui se passe en Grèce, en Espagne, au Portugal.»

Bien qu’il maintienne une petite flotte sous pavillon belge (7 navires), essentiellement destinée à travailler sur les chantiers conclus avec les autorités publiques, le groupe De Nul a inscrit l’essentiel de ses navires sur le registre maritime luxembourgeois. Il en dénombre actuellement 37, auxquels vont se rajouter 13 navires faisant partie du programme d’investissement. «Tous armateurs confondus, nous comptons près de 230 navires inscrits à l’heure actuelle», indique Marc Siuda, le représentant du Commissariat aux Affaires maritimes lors de la mise à l’eau du Charles Darwin. «Nous sommes membres du cluster maritime luxembourgeois et il est important pour nous de participer aux efforts de promotion du pavillon au lion rouge», explique David Lutty, manager business development & government affairs. «Ce que nous tâchons de montrer, c’est que ce pavillon ne concerne pas uniquement des yachts amarrés dans le sud de la France. Le secteur maritime luxembourgeois, c’est une activité industrielle à part entière qui porte nos couleurs et notre know-how dans le monde entier.»

Prêts à partir

Une mission que le Charles Darwin ne devrait pas manquer d’assurer… dès lors que son affectation sera décidée. «Pour l’heure, six à neuf mois de travaux de finition seront encore nécessaires, explique son capitaine, Rudy Maerevoet, qui bourlingue depuis douze ans sur les navires du groupe De Nul. L’entraînement de l’équipage, soit 37 personnes, va bientôt démarrer et nous devrions être totalement opérationnels à partir de février.»

Le navire – une drague autoporteuse à élindes traînantes d’un montant de 175 millions d’euros – va rejoindre dans le port industriel de Sestoa le Léiv Eiricsson, sorti lui aussi récemment de ces chantiers navals auxquels les commandes du groupe De Nul ont redonné vie, au début des années 2000. Le 24 juin, c’est à Pula, en Croatie, qu’une autre mise à l’eau a été réalisée, celle du Fernao de Magalhaes (Fernand de Magellan). Dans quelques semaines, quelques mois, ces navires qui portent tous le nom d’explorateurs ou de grands «découvreurs», soigneusement choisis par Jan Pieter De Nul, prendront le large pour rejoindre des chantiers en Amérique du Sud, en Russie ou à Singapour. Ou, à défaut, pour simplement se positionner dans les zones stratégiques.

«Nous veillons à avoir des bateaux un peu partout dans le monde, pour réduire les coûts de déplacement, ce qui nous donne un avantage compétitif sur nos concurrents et nous permet d’être rapidement opérationnels», explique David Lutty. Deux à trois semaines après la signature d’un contrat, les navires peuvent se mettre à l’œuvre pour attaquer un chantier. Une flexibilité et une «vision d’avance» qui sont également les moteurs de la puissance du groupe maritime luxembourgeois.