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En 100 ans, l'artisanat a su évoluer au gré des mutations sociologiques et économiques et se porte bien, selon Norbert Geisen, le président de la Fédération des Artisans.

C'est ce vendredi 1er juillet que sera célébré, à Luxexpo, le 100e anniversaire de la Fédération des Artisans, l'organisation professionnelle de l'artisanat du Grand-Duché de Luxembourg, en présence de S.A.R. le Grand-Duc Henri et de Jean-Claude Juncker qui sera redevenu, depuis quelques heures, simple Premier ministre du Luxembourg, ayant passé le relais à Tony Blair pour la présidence de l'Union européenne.
La Fédération des Artisans regroupe pas moins de 51 fédérations professionnelles, réparties dans les métiers de l'alimentation, de la mode et de l'hygiène, de la santé, de la mécanique, ou encore de la construction et de la fermeture de Bâtiment.

En un siècle, l'artisanat a, évidemment, évolué et, même s'il souffre toujours, aujourd'hui, d'un certain déficit d'image, il n'en demeure pas moins le premier employeur du pays, avec, en 2004, plus de 4.100 entreprises employant plus de 58.000 personnes, soit près de 30% de la population active du pays, pour un "poids" estimé à 10% de la valeur ajoutée totale dans l'économie nationale. En 1980, le chiffre de l'emploi total était inférieur de moitié, pour un nombre d'entreprises pourtant pratiquement identique...

En 2003, le commerce et l'artisanat ont fait état de plus de 100 millions d'euros en investissements et ont bénéficié de subsides accordés par l'état. "L'artisanat évolue bien et les gouvernements successifs, y compris l'actuel gouvernement, ne l'ont pas abandonné, comme le démontrent notamment les récentes décisions de la SNCI relatives aux crédits", rappelait le Premier ministre à l'occasion de la déclaration gouvernementale sur la situation économique, sociale et financière du pays d'avril 2004. Jean-Claude Juncker ne manqua pas d'insister sur le fait qu'un emploi créé sur trois au Luxembourg l'était dans le secteur de l'artisanat.

"D'une manière générale, la santé de l'artisanat est bonne et florissante, mais il faut être vigilant et ne surtout pas se reposer sur ses lauriers, prévient Norbert Geisen, président de la Fédération des Artisans depuis 1996. Il faut continuer à observer, rester compétitif, s'organiser, se structurer, travailler plus intensément et se retrousser les manches pour parvenir à conserver tous les acquis. Sur le total des faillites enregistrées chaque année, seuls 6% proviennent du secteur de l'artisanat. Avec toutes les structures d'aides existantes, on peut faire en sorte d'arriver à ce que ce secteur ait un bel avenir".

La mutation majeure observée ces dernières années, au cours desquelles l'artisanat a dû s'adapter aux mutations de son environnement, concerne la taille des entreprises. "Au commencement, et pendant de longues années, on avait des entreprises employant une à quatre personnes, explique M. Geisen. Aujourd'hui, une entreprise artisanale occupe en moyenne 14 ouvriers. Un patron a, aujourd'hui, d'autres responsabilités d'administration et de gestion qu'auparavant".

"Le moteur de l'emploi"

L'un des principaux maux dont souffre l'artisanat, à ce jour, est la concurrence des autres secteurs d'activité. Beaucoup de jeunes ayant terminé leur cycle d'apprentissage se dirigent vers une autre voie, "en particulier le secteur public et les banques où il n'y a pas de concurrence", note M. Geisen, qui ne peut que constater la grande difficulté de recruter dans certains secteurs de l'artisanat. "Dans le bâtiment, qui représente les trois quarts de l'emploi artisanal, 80% des salariés sont des étrangers. Cela peut être considéré comme une force, mais on a aussi le problème qu'il nous est impossible de payer les mêmes rémunérations que les autres secteurs. Pourtant, un ouvrier qui s'établit à son compte peut, s'il gère bien son affaire, bien mieux gagner sa vie... C'est cette possibilité de devenir son propre patron qui rend l'artisanat intéressant".

Aux yeux de M. Geisen, l'artisanat demeure "le moteur de l'emploi", la base cérébrale de toute économie. Mais il souffre encore d'un manque d'attractivité relayé, selon lui, par des principes inculqués dès le plus jeune âge. "Nous sommes d'avis que l'orientation du pays ne se fait pas d'après la demande sur le marché de l'emploi. C'est un vrai problème de société! Dans les familles, les enfants se mettent déjà dans la tête d'aller travailler pour l'Etat, dans un travail sans risque. à l'école, une grande partie des instituteurs disent la même chose à leurs élèves".

Ce problème de visibilité et de communication fait partie des chantiers actuels mis en oeuvre par la Fédération des Artisans pour mettre en avant la créativité et l'innovation propres à ce secteur. Problème: le climat social actuel n'est guère favorable. "Les discussions entre patronat et syndicats sont mal menées, regrette M. Geisen. Rien n'avance. Nous sommes d'avis, compte tenu de la façon dont tourne l'économie aujourd'hui, qu'il faut se battre pour préserver les acquis sociaux. Les syndicats, eux, veulent toujours avoir plus. Or, nous ne pouvons pas mettre plus..."

Conséquence directe: le bien nommé "esprit d'entreprise" a, pour beaucoup, du plomb dans l'aile. Mais le président de la Fédération des Artisans ne voit pas la chose sous un oeil aussi noir. "Je dis au contraire que l'esprit d'entreprise n'est pas mauvais. Les chefs d'entreprise font plus de travail social en une semaine, dans leur entreprise, que tous les présidents de syndicats pendant une année. Il y a un réel décalage entre leur vision et la réalité du terrain. Quand on voit que les syndicats se satisfont d'un rassemblement de quelques centaines de personnes Place Guillaume, alors que 40.000 salariés sont concernés..."
à l'heure actuelle, sur les 17 contrats collectifs qui sont en vigueur dans les différents secteurs de l'artisanat, pas moins de 14 sont bloqués dans leur phase de renouvellement. Et certains le sont sur la base de blocages tellement profonds que l'intervention de l'Office national de conciliation a été demandée...

Charges administratives trop lourdes

Evidemment, en proie à ces discussions parfois stériles, les dirigeants d'entreprises artisanales et de PME ont déjà de quoi s'occuper activement. Mais ils souffrent également d'une surcharge administrative qui, selon Norbert Geisen, "augmente de jour en jour". Entre 1999 et 2004, en tous les cas, le volume des charges administratives a progressé de 34%, selon une étude publiée par la Chambre des Métiers, en septembre 2004. On pouvait encore y lire que le coût moyen de ces charges administratives par an et par personne occupée représente pas moins de 1.728 euros, ce qui signifie que le coût annuel supporté par l'artisanat en matière de charges administratives dépasse les 100 millions d'euros. "Il s'agit là d'un réel problème, s'inquiète le président de la Fédération des Artisans. La gestion du personnel d'une entreprise, par exemple, coûte de plus en plus cher, sans oublier les obligations de publication de statistiques. Celui qui a pris la voie de l'artisanat, au départ, a plutôt choisi de travailler avec ses mains et non pas remplir des formulaires".

Le gouvernement a conscience du problème et Jean-Claude Juncker, lors de sa déclaration gouvernementale d'avril 2004, a indiqué prendre "très au sérieux" les nombreuses critiques formulées à l'égard de la lourdeur des charges administratives et a promis la mise en oeuvre d'un processus d'allègement, visant, en particulier, les charges normatives et régulatrices introduites par le ministère des Finances et ses administrations affiliées.

C'est ainsi qu'a été créé le Comité national pour la simplification administrative en faveur des entreprises, impliquant directement deux commissions de la Chambre des députés, onze ministères, les chambres professionnelles, l'ABBL, les artisans, les industriels, l'Horesca, le Statec et l'Union des entreprises luxembourgeoises. C'est Marc Hostert, transfuge du secrétariat général du ministère de l'Economie, qui s'est vu confier la présidence de ce comité, épaulé par Pierre Rauchs, représentant du ministère de l'Economie et du Commerce extérieur. Sa première mission consiste en l'établissement d'un "hit-parade" des dix plus importantes entraves administratives, point de départ de l'élaboration d'un plan d'action plus complet. Un rapport doit être remis en ce sens, au plus tard dans 18 mois, aux ministres de l'Economie et des Classes moyennes.

La création de ce comité entre dans la suite logique du paquet de réformes du cadre légal et réglementaire des classes moyennes présenté en mai 2003 par le ministre Fernand Boden. Outre cette notion de simplification administrative, il avait également été évoqué une adaptation de la liste des métiers (métiers principaux et secondaires répartis en cinq groupes) qui a conduit à la publication du règlement grand-ducal du 4 février 2005 établissant une nouvelle liste et déterminant le champ d'activité de ces métiers principaux et secondaires. "Avec cette nouvelle liste, l'artisanat est plus ouvert et il devrait être plus facile de s'établir", espère M. Geisen, pour qui l'ouverture est plus qu'un leitmotiv. "Par le passé, on était bloqué par l'obligation de possession d'un brevet de maîtrise. Aujourd'hui, nous sommes plus ouverts aux équivalences, mais aussi sur la concentration de certains métiers. Auparavant, par exemple, pour faire un toit, il fallait pas moins de trois brevets: celui de charpentier, de ferblantier et de couvreur. Désormais, on est en train de faire en sorte qu'une seule entreprise puisse exercer tous ces métiers", conclut-il.