Lakshmi Mittal: «Le groupe est sorti plus fort des difficiles conditions financières que nous venons de vivre»  (Photo: David Laurent/Wide/archives)

Lakshmi Mittal: «Le groupe est sorti plus fort des difficiles conditions financières que nous venons de vivre»  (Photo: David Laurent/Wide/archives)

Après cinq ans d’existence, ArcelorMittal n’a pas flanché. En dépit de la crise mondiale de 2008 et de sa réplique en cet été 2011, le groupe établi au Luxembourg maintient le cap et son statut de leader mondial incontesté de la sidérurgie.

Certes, avec un chiffre d’affaires de 78 milliards de dollars, un revenu opérationnel de 3,6 milliards et un résultat net de 3 milliards, le tout pour une production d’acier de 90,5 millions de tonnes (données pour 2010), ArcelorMittal est encore en deçà de ses performances précédant le coup de grisou de la fin de l’été 2008.

Mais le groupe n’en a pas moins, en un quinquennat, jeté des bases très solides qui lui permettent d’absorber tant bien que mal les soubresauts conjoncturels et cycliques. «Cinq ans, cela peut sembler un temps très court dans un siècle de fabrication d’acier, mais au cours de cette période, nous nous sommes imposés comme le leader mondial sidérurgique et minier, se réjouit Lakshmi Mittal, CEO du groupe, interrogé par paperJam. Nous avons des activités dans plus de 60 pays et nous comptons plus de 270.000 collaborateurs dans le monde (265.000, en fait, en se basant sur les chiffres du dernier rapport semestriel publié fin juillet, ndlr.). Cela nous impose évidemment des responsabilités importantes que nous prenons évidemment très au sérieux.»

Ce leadership mondial ne s’est pas non plus maintenu par l’opération du Saint-Esprit. Compétitivité, rationalité, réponse à la crise… le groupe, qui comptait encore 303.500 salariés fin 2008, s’est imposé une cure d’amaigrissement qui a touché quelque 15% de ses effectifs sur ces deux dernières années. Et dans la perspective d’une fin d’année délicate, en écho au ralentissement économique de ces dernières semaines, il y a fort à supposer que la tendance n’est pas sur le point de s’inverser, quand bien même M. Mittal reste résolument optimiste au sujet des performances de son groupe: «La seconde moitié de 2011 sera en effet plus lente que le premier semestre. Mais nous ne prévoyons pas que ce ralentissement soit aussi prononcé que celui observé l’année dernière. La performance globale du groupe en 2011 sera meilleure qu’en 2010.»

Adaptation

Cela passera-t-il par de la «casse sociale»? ArcelorMittal a toujours plaidé pour un dialogue social fort, privilégiant mobilité interne et reclassements, plutôt que licenciement pur et dur. En juin dernier, la «tripartite sidérurgique» qui s’est penchée au chevet d’ArcelorMittal Schifflange & Rodange, site en grandes difficultés économiques (37,5 millions d’euros de pertes en 2010 et 15,3 millions pour le seul premier semestre 2011, contre 12 millions d’euros un an plus tôt) en a d’ailleurs donné un exemple concret: les 262 équivalents temps plein concernés par l’adaptation des effectifs ont été répartis, pour moitié, sur les sites de Differdange, Belval et Dommeldange et, pour l’autre moitié, au sein de la cellule de reclassement.

Au-delà du seul cas du Luxembourg, où le groupe est toujours, et de loin, le premier employeur privé (6.070 salariés au 1er janvier 2011 selon la dernière estimation du Statec, «et de 47 nationalités différentes», précise le CEO), ArcelorMittal aime à rappeler l’implication permanente de son comité d’entreprise européen, créé en avril 2007. Il concerne environ 130.000 salariés au sein de l’Union européenne et s’est réuni à 34 reprises lors de l’année 2010. «Nous y discutons, sur une base régulière, des enjeux actuels et des projets futurs, avec les représentants des salariés de nos opérations européennes, rappelle M. Mittal. Cela s’est avéré être un excellent modèle, apprécié tout autant par les équipes du management que par les dirigeants syndicaux.»

Cela n’empêche pas quelques «dérapages» isolés, comme en mai 2009, en marge de l’assemblée générale annuelle, lorsqu’un millier de salariés avaient tenté de pénétrer en force dans le «château», l’ancien siège historique de l’Arbed, où se tiennent les assemblées générales du groupe. Une tentative qui avait donné lieu à des scènes de quasi-guérilla urbaine, peu courantes au Luxembourg, où les policiers anti-émeute ont dû répliquer aux fumigènes face aux barres métalliques et divers projectiles envoyés par le camp d’en face. Quelques vitres du bâtiment de l’avenue de la Liberté en firent les frais… A l’intérieur, pourtant, l’assemblée générale en elle-même se déroula dans un calme absolu qui contrasta singulièrement avec l’agitation extérieure.
La question du maintien d’une réelle activité industrielle sidérurgique dans le pays revient régulièrement. Elle s’étend même au-delà des frontières, à l’heure du nouvel arrêt du haut fourneau P3 de Florange (déjà stoppé pendant plus d’un an, il avait été relancé en février 2010, avant d’être de nouveau fermé en juin dernier, sans perspective de réouverture d’ici à la fin de l’année) ou de la fermeture annoncée du site belge de Fontaine-L’Evêque. Autant de décisions délicates à prendre, dans un environnement macro-économique difficile, mais qui ne sont pas de nature à remettre en cause l’existence même de cette activité industrielle. Et encore moins à l’heure de fêter le centenaire d’Arbed. «Il y a 100 ans, les usines sidérurgiques luxembourgeoises ont commencé à se consolider, rappelle Lakshmi Mittal. Très tôt, les sidérurgistes dans le pays ont appris à s’adapter à un monde changeant, et ont évolué par des expansions ou d’autres consolidations. C’est pourquoi je suis confiant dans le fait que le Luxembourg continuera à avoir une industrie sidérurgique, dont il peut être fier.»

L’héritage dans les racines du pays

Une industrie plus que centenaire, fortement ancrée, donc, dans les racines du pays, et dont ArcelorMittal revendique évidemment l’héritage. «Ce qui me fascine au Luxembourg, c’est que pratiquement chaque personne que vous rencontrez a un membre de la famille qui a travaillé dans la sidérurgie. Il est clair qu’ici, les gens se soucient vraiment de cette industrie et d’ArcelorMittal. Il n’y a de toute façon pas d’avenir sans passé. Nous nous engageons à tenir notre promesse de transformer l’avenir et nous croyons dans les capacités de l’acier en tant qu’élément de base de l’infrastructure du monde moderne.»

Le CEO du groupe imaginait-il, en 1999, être au cœur des festivités marquant le centenaire de la création de l’Arbed? C’est cette année-là qu’il a, pour la première fois de sa vie, mis les pieds au Grand-Duché. Il y cherchait, pour le compte de la société Ispat International qu’il dirigeait alors, un emplacement stratégique pour le développement de ses opérations européennes. «Nous avions trouvé des bureaux à quelques pas du siège de l’Arbed, avenue de la Liberté, se souvient-il. Le Luxembourg était alors, et est toujours, un très bon endroit pour faire des affaires et pour gérer une entreprise mondiale. Nous avons accès non seulement à un important bassin de travailleurs qualifiés, mais nous y avons aussi un environnement favorable aux affaires.»

Les affaires, aussi difficiles soient-elles ces derniers temps, n’en restent pas moins porteuses, selon M. Mittal, de formidables potentiels de développement… à condition de conserver une certaine flexibilité et une compétitivité sans cesse remise sur l’ouvrage. «Il est important d’identifier et de s’adapter aux changements qui s’opèrent autour de nous. Je pense justement que le groupe est sorti plus fort des difficiles conditions financières que nous venons de vivre. Nous sommes plus efficaces et mieux préparés pour ces changements.»

Savoir-faire luxembourgeois

Cette confiance inébranlable passe aussi par la certitude que le groupe peut s’appuyer sur une arme lourde: son haut niveau en termes de recherche et développement. «Aujourd’hui, la compétitivité des économies développées réside dans l’innovation et dans la R&D. Dans ce domaine-là, le Luxembourg excelle, affirme Lakshmi Mittal. Nous avons un centre spécialisé pour les produits longs à Esch-sur-Alzette, et à Differdange nous produisons les poutrelles qui sont propres au pays. Ce sont ces poutrelles qui ont servi dans la construction de la Freedom Tower de New York (qui s’érigera en lieu et place du World Trade Center, ndlr.) ou du Burj Khalifa de Dubaï (la plus haute tour du monde, culminant à 739 mètres, hors antennes, ndlr.). Cela doit constituer une source de fierté pour le Luxembourg.»

Une fierté qui est autant due aux bâtisseurs du «monde moderne» de demain qu’aux pionniers d’hier et d’avant-hier. Ces Tesch, Metz, Barbanson, Laval et autres Mayrisch qui, il y a un siècle, avaient déjà compris qu’unir les forces constituait un formidable tremplin de développement. Des esprits en fusion qui en ont inspiré tant d’autres ensuite…

 

Florange - Extinction de hauts fourneaux!

Au moment où se bouclait cette édition de paperJam, la nouvelle tombait, inquiétante pour le site de Florange-Hayange, en Lorraine. La direction d’ArcelorMittal annonçait la fermeture du P6, le second haut fourneau mosellan, à partir d’octobre. Michel Wurth avait répondu à nos questions sur, notamment, les sites lorrains et luxembourgeois du groupe. Mais n’avait pas évoqué les mesures drastiques à suivre…

Le second haut fourneau de Florange ne tournait déjà plus qu’à 70 ou 80% de ses capacités depuis plusieurs semaines. Suite à l’extinction du haut  fourneau P3, début juillet, la direction avait déjà averti que l’activité avait ralenti, que le carnet de commandes était peu rempli. Mais avec l’annonce de l’arrêt du P6, c’est, d’un coup, toute la Lorraine et son poumon d’acier qui se sont arrêtés de respirer. «Le groupe prévoit la mise en stand-by d’une grande partie du site. Rien que du noir pour notre avenir», disait à chaud un tract syndical. Les premières manifestations, la mauvaise humeur, la colère, les interpellations politiques, ont suivi. Signes clairs de la crainte, aussi, de voir à nouveau ce coin à l’est de la France, nourri aux usines, frappé de plein fouet par un géant d’acier. Attente de jours meilleurs, restructuration ou brutale fin d’une filière? Le site mosellan emploie environ 3.000 salariés…