Steph Meyers voit les Rotondes comme un chantier permanent, qui oblige au questionnement. (Photo: Sven Becker)

Steph Meyers voit les Rotondes comme un chantier permanent, qui oblige au questionnement. (Photo: Sven Becker)

Monsieur Meyers, après l’année culturelle 2007, le CarréRotondes et les Rotondes, postuler à la succession de Robert Garcia était-il une évidence?

«J’avais la possibilité de rester dans cette structure, de continuer à la soutenir et de proposer des nouvelles choses. En même temps, cela veut dire une rupture dans mon travail, qui était très créatif depuis 2005, pour prendre en main un autre aspect de la chose, changer un peu de perspective de travail, et cela toujours dans l’optique de travailler pour les Rotondes.

Comment voyez-vous l’évolution des Rotondes depuis 2007 et la façon dont ce lieu, ce programme, cette équipe se sont insérés dans la scène culturelle luxembourgeoise?

«On partait de la ‘contrainte’ d’établir un lieu pour la Capitale européenne de la culture. Ensuite, il y a eu le besoin et la volonté de pérenniser cela, avec l’obligation de déménager à Hollerich, le site n’étant pas utilisable en l’état, qui a été une nouvelle contrainte, nous obligeant à repenser notre travail en fonction des nouvelles possibilités qu’offrait le CarréRotondes. Finalement, le retour aux Rotondes est aussi marqué par des contraintes, notamment pour la rotonde 2 qui est en jachère. Mais on se rend compte que des contraintes naissent la créativité, les nouvelles idées. Ici, il faut jouer avec le cadre existant dans son jus. C’est ce qui donne un potentiel et un charme énormes au lieu. Il y a une part de hasard qui est très stimulante.

Au point de vue de la programmation, vous avez rempli une niche – le jeune public et le public jeune – qui était assez délaissée. Comment est-ce né?

«Le piège serait de se dire: ‘Je fais ce que j’ai envie de faire et le public suivra.’ Je trouve que c’est assez prétentieux. Il est salutaire d’avoir des doutes et de se remettre en question. C’est comme ça que l’on fonctionne: se poser des questions, voir et analyser ce qui sonne bien et ce qui ne sonne pas bien, dans quelle situation culturelle se trouve le pays, où sont les manques et où sont les tares. C’est de ça que le CarréRotondes est né, avec une programmation qui correspond à une demande. Mais, je ne vais pas non plus programmer des choses dont je n’ai pas envie parce qu’il y a un public pour. Par exemple, on pourrait faire beaucoup plus de locations de salles. Mais ce n’est pas dans notre cahier des charges, même s’il est normal qu’on génère nous-mêmes une partie de nos revenus, et ce serait dommageable pour la programmation. C’est un équilibre à trouver: amener un nouveau public qui ne viendrait probablement jamais aux Rotondes sans ces événements, mais aussi trouver une complémentarité par rapport à d’autres salles et par rapport à d’autres institutions. Quand les choix sont clairs et assumés, on peut aller vers des directions qui sont un peu plus osées, où l’on se dit qu’il y a un potentiel.

Ça revient à réfléchir à l’ADN des Rotondes... Quelles valeurs orientent les choix?

«Pour moi l’essentiel est la pluridisciplinarité. Nous défendons des aspects culturels, artistiques, mais aussi socioculturels, voire des événements qui sont à la frange de tout ça. Un concert, un spectacle de cirque, une exposition attirent des publics différents, auxquels on ajoute des événements qui sont un peu à la périphérie de la culture et qui créent de la vie et des interférences. Par exemple, on a longtemps parlé de faire un marché couvert ici, ça se justifie donc d’avoir un cycle de marchés dans notre programme. Avoir une définition nette et claire de ce que sont les Rotondes, c’est un challenge de tous les jours pour la communication, mais moi ça ne me dérange pas. Notre baseline, qui est ‘explorations culturelles’, correspond bien à cela.

Ce terme d’«explorations culturelles», c’est quand même très flou...

«Toute autre terminologie serait trop restrictive par rapport à tout ce qu’on veut faire. On a la possibilité de faire beaucoup de choses, dans différentes salles de taille, avec une structure très polyvalente, alors autant en profiter.

Comment va évoluer la programmation? Selon quels axes?

«En ce moment, la programmation fonctionne bien comme elle est, même si après un certain temps, il faut pouvoir se demander si ça vaut la peine de faire le festival X ou Y pour la 24e édition. On a peut-être fait le tour de la chose, peut-être qu’avec ces ressources-là, on pourrait faire quelque chose de neuf, quitte à ne pas attirer le même public. Il faut rester pragmatique par rapport aux ressources et à l’équipe dont on dispose. C’est mon premier axe de réflexion: voir ce qui peut évoluer, ce qui pourrait être laissé de côté. Ensuite, c’est le site qui va apporter des réponses en fonction de son évolution et des possibilités qu’il offre. Les idées arrivent au fur et à mesure, de nouveaux recrutements sont en cours et ces nouveaux profils vont aussi apporter de nouvelles idées.

Par rapport au site lui-même, en particulier à la rotonde 2, quels travaux sont envisagés et quand?

«Il y a deux chantiers. Le premier, celui de la rotonde 2, on peut le voir à travers la fenêtre. Il est là en permanence, tout le monde le sait et le voit. Mais il n’y a pas grand-chose à dire en tant que tel parce que c’est en attente…

En attente de quoi?

«C’est en discussion, ça ne va pas se faire du jour au lendemain, pour des questions budgétaires évidentes. Nous, notre travail à nous, c’est de pousser la chose, tout le temps poser des questions. Encore une fois, c’est une friche avec les possibilités et difficultés que cela suppose. Je ne me dis pas qu’on se donne cinq ans et puis que tout sera bouclé pour continuer pendant 50 ans sur la même voie. Le fait qu’il y ait un prochain chantier, je trouve ça plutôt stimulant.

Cela ouvre de nouveaux possibles et de nouvelles questions. Il n’y a pas de refus des politiques par rapport à ces projets, parce qu’eux aussi conçoivent qu’il y a un potentiel et qu’il y a un intérêt, notamment architectural. Je trouve intéressant qu’il y ait une rotonde qui ait été surrestaurée, et l’autre qui soit plus brute. J’espère que j’aurai mon mot à dire par rapport à la future restauration, que j’espère très légère. On présente toujours les deux rotondes comme le même bâtiment, mais pour moi ce n’est pas le cas: il y en a une qui est sur le plateau, l’autre qui est enfoncée dans le rocher, ce qui est très différent pour la lumière et l’accès. Ce rapport de force entre les deux est très intéressant et instille forcément des programmations différentes.

Vous disiez deux chantiers. Quel est le second?

«Il est lié à notre situation géographique qui est une sorte d’enclave, entre le chemin de fer et la rocade. On est coincé entre deux quartiers qui n’ont pas nécessairement trouvé leur chemin jusqu’ici, la gare et Bonnevoie.
Il y a un public qui vient du quartier, mais ce n’est pas encore assez naturel parce qu’on a ces deux frontières. Il nous faut construire des ponts qui ne sont pas des ponts physiques, mais vraiment des ponts de l’esprit pour rendre la proximité par rapport à ces deux quartiers plus évidente. Ce n’est pas un chantier architectural, mais un chantier dans la programmation, la communication, le quotidien de la vie du site. Pour amener ce public-là, le rapprocher du lieu.

Où en est le projet de transformer l’asbl des Rotondes en établissement public?

«C’est en dehors de nos compétences, la décision ne nous appartient pas et englobe beaucoup d’autres institutions en dehors de celle-ci, y compris des institutions qui ne sont pas dans le domaine culturel.

Est-ce quelque chose que vous souhaitez?

«On a très bien réussi à fonctionner en tant qu’asbl jusqu’ici. Honnêtement, je n’ai pas l’expérience d’un établissement public, il va falloir que je me renseigne pour voir si ça peut être quelque chose d’intéressant pour nous.
Il est vrai que, par rapport à l’envergure du site, une asbl est un peu sous-dimensionnée. En même temps, l’établissement public risque d’être trop lourd. Il y a un juste milieu à trouver, peut-être sur le modèle français des établissements publics de coopération culturelle.

Dans le communiqué sur votre nomination, on pouvait lire «convergence de programmation entre les différents pôles d’activité». Vous pouvez expliciter?

«C’est vrai que les termes ‘convergence’ et ‘synergie’ sont sur toutes les bouches sans savoir comment les appliquer concrètement. J’envisage ces termes comme des points d’un cahier des charges. Quand on a un projet, il faut voir s’il y a des possibilités d’établir des convergences en interne, dans la programmation d’autres manifestations existantes ou par rapport à d’autres disciplines, pour amener un nouveau public, pour amener plus de richesse au projet…

Mais ça ne doit pas être quelque chose de forcé, sinon les projets n’ont plus d’identité. C’est la même chose par rapport aux synergies: pourquoi faire un projet tout seul s’il y a déjà des réflexions, des avancées dans d’autres lieux?

Comment fonctionnent ces partenariats?

«Pour faire simple, il y en a 60% qui fonctionnent très bien, 30% qui fonctionnent assez bien, et 10 qui ne fonctionnent pas bien. Ceux-là, on les fait une fois, peut-être deux, mais après on arrête les frais. Mais ces partenariats permettent une prise de risque assez minime, un apport financier moindre, des mises en commun de compétences, de logistique, de budgets. On apprend beaucoup quand on voit comment les autres travaillent.»