Les experts jugent le projet flou quant à la rétroactivité de ses principes. (Photo: Licence CC)

Les experts jugent le projet flou quant à la rétroactivité de ses principes. (Photo: Licence CC)

Dotés d’un cadre légal depuis 1999, les régimes complémentaires de pension se sont frayé un chemin sur le marché luxembourgeois, même si la générosité du premier pilier – un pensionné perçoit 72% de son salaire moyen, contre 40 à 45% pour les retraités allemands ou belges – explique leur part réduite. Les actifs totaux sous gestion se limitaient à 3,6% du PIB fin 2015, loin de la moyenne de la zone euro (16,5%) et de l’UE (25%).

«Le secteur attend une refonte depuis un certain temps», souligne Jérôme Wiwinius, fondé de pouvoir et responsable clientèle grandes entreprises et relations internationales chez La Luxembourgeoise-Vie, qui avait lu avec espoir le programme de la coalition gouvernementale promettant une «révision de la loi de 1999» au motif que «l’extension des régimes complémentaires de pension aux professions libérales et indépendantes, ainsi qu’à certaines catégories de salariés non affiliés à un régime d’entreprise s’avère nécessaire».

Le gouvernement a finalement profité de la transposition de la directive européenne de 2014 relative à l’acquisition et à la préservation des droits à la pension complémentaire pour réformer le cadre légal. Mais pas dans le sens voulu par le secteur: celui-ci trouvait déjà contraignante la limitation de la déductibilité fiscale à 20% du revenu annuel. Le projet de loi ajoute un deuxième plafond, fixé à 23.983 euros par an. «Cette limitation n’a pas de sens, surtout si on veut attirer de grands cadres de l’étranger au Luxembourg», réagit Claudia Halmes-Coumont, directrice de Lalux-Vie. «Cela devient un frein au développement de la Place, au moment où des sociétés britanniques envisagent de s’installer au Luxembourg. C’est contre-productif.»

Le projet de loi demeure également vague sur la rétroactivité de ses principes, plongeant les entreprises dans un flou juridique néfaste.

Et si le gouvernement a, comme promis, ouvert aux indépendants la possibilité de se constituer une pension complémentaire, il leur impose également ce plafond d’environ 1.200 euros mensuels.

Cela devient un frein au développement de la Place.

Claudia Halmes-Coumont, directrice de Lalux-Vie

«Il ne prend pas en compte la forte volatilité, d’une année à l’autre, du revenu net des indépendants – qui n’est en outre connu qu’avec une année de retard», notait Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce, sur son blog en juillet. «Les indépendants devront prendre une certaine marge» pour ne pas risquer de dépasser le plafond, estime Jérôme Wiwinius.

Quant aux salariés dont l’employeur ne propose aucun régime complémentaire, ils n’apparaissent pas dans le projet de loi. «De nouveaux plafonds [ont été] fixés pour l’abattement en matière d’assurance-vieillesse dans le cadre de la récente réforme fiscale», rétorque Romain Schneider, ministre de la Sécurité sociale.

Simplification administrative ratée

Autre mesure qui ne passe pas: l’abolition pure et simple du rachat des droits acquis, autorisé jusqu’à présent pour les salariés de plus de 50 ans, les montants réduits et les salariés étrangers. Un système en partie dû à la taxation à l’entrée de 20% et visant à éviter que le salarié, en transférant son argent dans un plan de pension à l’étranger, n’y subisse une nouvelle imposition.

«Le régime complémentaire de pension étant par nature un instrument de prévoyance vieillesse, le but recherché par les nouvelles dispositions (…) consiste à recentrer le rachat sur des cas exceptionnels», argumente Romain Schneider. De quoi engendrer de nombreux coûts pour les employeurs et les assureurs, qui devront garder contact avec les salariés ayant quitté l’entreprise pour les retrouver à la fin de leur carrière lorsque leurs primes devront leur être versées. «Le secteur des assurances est certes très digitalisé, mais la protection des données commence à prendre tellement de poids que nous n’avons plus le droit de recevoir des informations sur les nouvelles adresses des personnes», avertit Jérôme Wiwinius. «Et gérer de petits montants n’est pas non plus facile et aura un coût.»

Des critiques largement relayées par les chambres patronales et l’Association des compagnies d’assurances. Au final, le projet de loi sous examen, «au lieu d’apporter une simplification administrative, en ajoute une couche», résume Mme Halmes-Coumont. Le secteur réclame une table ronde entre l’Inspection générale de la sécurité sociale, le ministère des Finances et l’Administration des contributions directes afin de retravailler le projet de loi à la lumière des avis délivrés. En espérant aussi que le Conseil d’État penchera de son côté, et ce dans un délai assez court, puisque la directive doit être transposée au printemps au plus tard.