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Franchira? Franchira pas? L’année 2009 dépassera-t-elle la barre symbolique des 100.000 m2 de prise en occupation sur le marché de l’immobilier de bureaux luxembourgeois? Les paris sont ouverts. Mais qu’il s’écrive avec cinq ou six chiffres, le take-up à venir au 31 décembre restera un des plus faibles de ces dernières années. Il sera plutôt proche de celui que l’on pouvait observer à la fin du siècle dernier, à une époque où le stock disponible était autrement moins important.

S’il est un adage qui veut que «quand l’immobilier va, tout va», il en est un autre qui pourrait être aussi «quand rien ne va, l’immobilier ne va pas très bien non plus». La crise économique et financière a touché de plein fouet l’ensemble des secteurs d’activité du pays, notamment entre la fin 2008 et le début de l’été 2009. Loin d’être encore idyllique, la situation s’est, depuis, quelque peu améliorée. «On a passé le stade du gros pessimisme où personne ne savait trop où il allait à un peu plus de réalisme», résume Olivier Bastin, managing director de Jones Lang LaSalle au Luxembourg. Nous avons senti, à l’amorce des dernières vacances estivales, que l’esprit était différent dans le marché. Les sociétés ont de nouveau des projets, les discussions sont de nouveau ouvertes. Mais tout est plus lent. On parle vraiment ‘d’arracher’ une décision. Tout prend plus de temps et nécessite davantage de réflexion. Je me rappelle de la phrase prononcée par un CEO en 2007, qui disait en substance qu’en période de croissance, l’erreur est permise. Quand tout va bien, il est plus facile de prendre certains risques. La croissance est tolérante. Aujour­d’hui, ce n’est plus du tout le cas.» Il n’en reste pas moins vrai que le volume des transactions a reculé de quelque 40% par rapport à 2008. ``

Travailler plus pour gagner moins

Activité cyclique par excellence, l’immobilier vit en permanence ces successions de hauts et de bas. Mais après le faste de ces dernières années, qui ont eu vite fait de faire oublier les péripéties de l’éclatement de la bulle Internet ou des lendemains du 11 septembre 2001, le retour sur terre n’en est pas moins brutal, à l’image du choc vécu sur l’ensemble de la planète. Du coup, c’est le métier même des professionnels de l’immobilier qui s’en trouve perturbé.

«Comparée aux années précédentes, notre activité est bien plus conséquente, constate Laurent Correman, administrateur délégué de CB Richard Ellis au Luxembourg. Le travail est double, voire triple, mais la situation fait que le produit de cette activité n’est que la moitié, voire le tiers de ce qu’il devrait être. Quelque part, c’est un juste retour des choses. Après les cycles extrêmement positifs des années précédentes, il fallait que le balancier repasse de l’autre côté.»L’immobilier vit aussi, généralement, en décalage. Un projet, entre sa conception initiale et la livraison des clés à l’occupant final, peut s’étaler sur trois ou quatre ans. Ainsi, les immeubles livrés cette année et les deux prochaines années ont pour point commun d’avoir été engendrés à une époque où la croissance était au rendez-vous et que le marché s’inquiétait plutôt d’une pos­sible asphyxie, faute d’une offre susceptible de répondre à la demande.

L’engouement était tel que bon nombre d’investisseurs ont acheté des immeubles qui n’étaient encore qu’à l’état de plans sur papier. «Le problème, constate Jean-Pierre Lequeux, managing director de DTZ Luxembourg Office, est que toute une série d’immeubles ont été vendus sur base de critères qui étaient pertinents à l’époque, mais plus maintenant. Aujourd’hui, ces immeubles sont là, disponibles, prêts à être occupés, mais il n’y a personne dedans. Nous, agents, présentons des locataires, en leur disant que l’on peut négocier avec les propriétaires, mais ce n’est pas si vrai que ça, tant le décalage est grand entre ces critères définis il y a deux ou trois ans et la réalité du mar­ché d’aujourd’hui. Un promoteur-développeur qui s’occupe de la commercialisation d’un immeuble conçu avec un loyer de base de 40 euros au mètre carré n’a d’autre choix que de trouver un locataire qui va signer un bail à ces conditions-là.»

D’où une situation parfois bien étrange. Dans le cas où une garantie locative est assurée, le propriétaire est, d’un côté, certain de toucher un loyer, même si l’immeuble est vide. Il aura donc tout le loisir de refuser des concessions à un locataire intéressé et dont les propositions seraient trop éloignées de ces conditions ini­tiales. Mais d’un autre côté, un immeuble sans locataire est un immeuble mort et surtout un immeuble sans réelle valeur. Le propriétaire peut alors être amené à lâcher un peu de lest, surtout à l’approche de la fin de cette période de garantie locative. Même en conservant une valeur faciale identique pour le loyer, les «à-côtés» peuvent alors être nombreux et variables. Ils portent généralement sur des périodes de gratuité pouvant aller au-delà d’un an – voire davantage encore – ou des aides à l’aménagement des locaux.

Dans deux ou trois ans, le stock sera absorbé

Les années 2009 et 2010 sont plutôt «riches» en termes de livraison d’immeubles (voir pages 72 et 74). L’offre «explose» à un moment où la demande stagne. Première conséquence: le taux de vacance s’envole. De moins de 2%, récemment encore, il atteint actuellement près de 5% et devrait dépasser les 7% en 2010. La peur du vide va-t-elle gagner le marché? Tout est relatif. Surtout qu’il y a vide et vide.

«Les vieux bâtiments qui étaient déjà vides il y a deux ans et dans lesquels jamais aucun investissement n’a été fait ne sont pas à jour techniquement. Ils resteront vides, indique Marc Baertz, partner, head of investment chez Property Partners. Il y a ensuite des grands espaces vides, vendus par des promoteurs en général avec une garantie locative. Ils peuvent facilement tenir 18 mois, même sans locataire. Les marges seront diminuées, mais ils s’en sortiront. Enfin, il y a beaucoup de surfaces qui reviennent sur le marché, proposées en sous-location (voir encadré page 52, ndlr.). Ce type de vide est nouveau.»

Ce taux de vacance de 7% qui se profile est, à l’échelle du Luxembourg, un taux «anormalement» élevé. Mais il reste encore largement en deçà de ce que connaissent les marchés immobiliers dans les autres capitales européennes. «Le marché, ici, reste encore dynamique», constate Martin Heyse, administrateur délégué de BNP Paribas Real Estate.

«Nous enregistrons un taux de prise en occupation qui avoisine les 3,3% du stock total existant, poursuit-il. Ce taux est nettement plus bas dans d’autres marchés voisins. Bruxelles, par exemple, tourne en moyenne avec à peine 2%, contre 6-7% pour une année correcte. Les taux de vacance à Londres, Bruxelles ou Francfort sont proches ou supérieurs à 10%. On peut estimer qu’au Luxembourg, ça va moins mal qu’ailleurs. En comptant un take-up annuel normal de 120.000 m2, on n’a finalement qu’un an et demi de stock devant nous.»

Il faut dire, aussi, que certains projets ont été retardés pour éviter, justement, un afflux trop impor­tant de surfaces vides dans les 18 prochains mois. «En 2010, il est prévu plus ou moins 100.000 m2 et en 2011 à peine 60.000. Ainsi, en deux ou trois ans, le stock sera absorbé. Il ne faut surtout pas faire la même erreur que dans les années 2000 et relancer trop vite trop de projets. Faire une pause n’est pas gênant en soi. Il faut juste qu’elle ne dure pas trop longtemps.» Pas de quoi, donc, affoler plus que de raison les professionnels. «Il faut démystifier cette peur du vide», prévient Olivier Bastin (Jones Lang LaSalle)

En tout état de cause, les agents immobiliers se voient donc, aujourd’hui, dans l’obligation de redéployer tous leurs talents et de remettre sur le devant de la scène leur réelle valeur ajoutée. «Etre encore plus professionnel dans les temps difficiles, c’est logique, estime M. Lequeux (DTZ). Il n’y a clairement plus de place pour ceux qui ne comprennent pas les problématiques des occupants et qui n’arrivent pas à mettre en adéquation offre et demande. Et cela vaut autant pour les activités de location que pour l’investissement.»

Une demande à aller chercher

«Il est facile, dans un marché avec un taux de vacance à 2%, d’attendre que le téléphone sonne, reconnaît M. Correman. Ce n’est plus possible à 6%. Il faut être proactif et c’est de toute façon ce qu’attendent aussi les promoteurs et les locataires.» Pour l’agent, l’heure est donc désormais à la mise en place de stratégies consistant, de manière efficace, à aller chercher par différents moyens la demande, puisque la demande ne vient pas spontanément à eux. «Certaines réflexions globales stratégiques sont menées avec des objectifs d’optimisation à moyen ou long terme plutôt que pour l’immédiat.»

Cette «valeur ajoutée» peut s’exprimer, notamment, au travers de l’utilisation d’outils de comparaison, techniques ou financiers, permettant à l’occupant de prendre les meilleures décisions. «Ce sont des outils qui étaient moins utilisés en période de croissance, reconnaît Gérald Merveille, l’autre administrateur délégué de CB Richard Ellis. Il était toujours possible de développer tout un tas de matrices, mais au final, le choix était dicté par une offre réduite. Ici, le choix est réel et il est davantage possible d’optimiser des coûts d’occupation, de revoir sa manière de travailler sur un plateau. Les occupants ont l’occasion de prendre en mains leur destin. Il faut qu’ils en profitent, car ça ne durera pas cinq ans. Une fois que tout le monde sera entré dans ce processus, les prises en occupation repartiront à la hausse et le taux de vacance à la baisse. La main repassera de nouveau aux propriétaires et ce sera trop tard pour les locataires.» Evidemment, les principaux agents de la Place ne sont pas actifs, exclusivement, dans le seul domaine des transactions (location ou vente).

Et c’est dans des contextes plus difficiles tels que ceux vécus actuellement que cette diversification d’activité prend une importance tout autre. «Ce que nous perdons d’un côté, nous le récupérons de l’autre, notamment avec notre activité ‘property management’ qui nous donne un coussin nous permettant de couvrir pas mal de nos frais annuels, observe Martin Heyse (BNP Paribas Real Estate Luxembourg). Nous sommes aussi présents sur le segment du ‘project management’, qui permet de suivre des projets sur de nombreuses années, bien au-delà du seul aspect de l’aménagement.»

Un œil sur le business model de la place financière

Certains sont contraints, aujourd’hui, de se diversifier pour survivre. D’autres avaient anticipé le mouvement, ce qui leur a permis de «limiter la casse» en ces temps plus délicats, y compris sur le plan social. «Le volet transactionnel représente, en quelque sorte, la partie émergée de l’iceberg, explique Olivier Bastin (Jones Lang LaSalle). Plutôt que de mettre le paquet sur un métier qui, c’est vrai, génère de la marge, nous avons préféré étendre la gamme de nos services. Le ralentissement actuel est une bonne occasion pour se poser les bonnes questions en matière d’immobilier et envisager, pourquoi pas, de se reloger dans un environnement davantage en adéquation avec son activité. N’oublions pas que jusqu’à une période très récente, au Luxembourg, un locataire n’allait pas nécessairement là où il avait envie d’aller, mais là où il était encore possible d’aller. Il est possible de faire beaucoup de choses, comme des opérations de sales and lease back (cession d’un bien suivi d’une relocation, ndlr.).»

La «gestion du vide» passe aussi par la sécurisation de certaines positions de propriétaires avec leurs locataires. «Il y a des attentes pour une gestion très saine, très serrée des charges locatives, constate pour sa part Vincent Bechet, senior partner et managing director de Property Partners.

La façon dont l’économie luxembourgeoise en général, et la place financière en particulier, redressera la barre après avoir essuyé les derniers gros grains, donnera le signal d’une reprise plus ou moins rapide à tous les niveaux, à commencer par l’immobilier. «Ce que nous venons de vivre est le résultat de l’évolution du business model de la place financière luxembourgeoise, estime Vincent Bechet. Dans cette évolution, on subit, entre autres, les conséquences du sauvetage par les Etats de différentes banques étrangères par rapport au Luxembourg, où l’on sent pertinemment qu’il y a, de la part des Etats où résident les sièges de ces banques, une volonté de se payer sur la bête et de mettre le Grand-Duché sous pression d’une façon ou d’une autre.» Un constat complété par Marc Baertz: «Beaucoup de clients avec qui nous avions été assez loin ont, à la dernière minute, été arrêtés par leur direction à l’étranger et n’ont plus rien fait du tout.»

La grosse inconnue reste aussi et surtout l’inconnue «sociale». De nombreux plans sociaux ont déjà été signés et d’autres sont sur le point de l’être. Or, la réduction des effectifs d’un certain nombre de sociétés actives au Luxembourg ne sera certainement pas un élément moteur pour la redynamisation du marché de l’immobilier. Bien au contraire.