La CJUE a reçu plus de 1.600 nouvelles affaires en 2017, selon le bilan officiel présenté lundi par les magistrats européens. (Photo: Lala La Photo)

La CJUE a reçu plus de 1.600 nouvelles affaires en 2017, selon le bilan officiel présenté lundi par les magistrats européens. (Photo: Lala La Photo)

À bientôt 70 ans, la CJUE ne se prive pas de battre encore des records, enregistrant encore l’an dernier plus de 1.600 affaires introduites. Signe de sa crédibilité et des attentes qu’elle suscite en matière d’interprétation d’un droit européen de plus en plus complexe.

L’année 2017 aura été riche en actualités avec la poursuite de la profonde réforme touchant le Tribunal de l’UE, organe de première instance, en première ligne sur les litiges opposant des personnes (physiques ou morales) à une institution de l’UE. Voué à compter 56 juges – soit deux par pays membre –, le Tribunal a absorbé les compétences du Tribunal de la fonction publique, traitant les litiges entre les fonctionnaires européens et les institutions. 24 nouveaux juges sont arrivés en 2016 et encore deux en 2017.

Record de 730 affaires entrantes à la Cour

«Fin décembre, la Cour a livré un rapport avec ses pistes de réflexion sur l’avenir», souligne François Biltgen, juge à la Cour de justice depuis 2013. «Une idée serait de confier des recours en manquement au Tribunal.» À savoir les recours d’une institution, généralement la Commission, contre un État membre qui n’aurait pas rempli ses obligations (transposition d’une directive, etc.). Autre piste: une meilleure gestion des pourvois – lorsqu’une partie conteste la décision prise par le Tribunal et la renvoie devant la Cour. 10% des décisions du Tribunal sont actuellement dans ce cas, pour un taux d’annulation effective de la décision du Tribunal par la Cour de justice de 2 à 3%. «Nous cherchons comment mieux gérer les pourvois qui n’ont pas de chance d’aboutir», précise M. Biltgen.

Côté Cour de justice, le nombre d’affaires introduites a atteint un record de 730, «même si 40 sont des affaires liées, notamment plusieurs affaires en droits des passagers», note M. Biltgen. Et malgré la clôture de près de 700 affaires l’an dernier, elle dépasse aujourd’hui les 1.000 affaires pendantes.

Du voile à la coopération fiscale

Dans le trio de tête des domaines dans lesquels elle a été sollicitée l’an dernier: la fiscalité, l’espace de liberté, de sécurité et de justice et la propriété intellectuelle et industrielle. Avec encore l’an dernier des affaires emblématiques liées à l’interprétation de la charte des droits fondamentaux, du port du voile au travail à la protection des données passagers dans l’accord PNR entre l’UE et le Canada, en passant par le cas Uber en Espagne et en France. La CJUE a également consacré la loi allemande sur la cogestion des salariés et renforcé la notion de solidarité mise en cause par la Slovaquie et la Hongrie au sujet de la relocalisation des réfugiés décidée par le Conseil à l’été 2015. Le Luxembourg se souvient aussi de l’arrêt Berlioz, occasion de rappeler que le contribuable a aussi des droits fondamentaux à faire valoir.

Les consommateurs n’ont pas été en reste avec un arrêt sur la dénomination erronée du lait de soja – qui ne contient pas de lait –, l’ouverture à un éventuel lien entre vaccin de l’hépatite B et sclérose en plaques en l’absence de données scientifiques décisives et la délimitation des droits des passagers aériens à une indemnisation dans certains cas particuliers.

Côté Tribunal, 2017 aura été l’année de la stabilisation après l’arrivée massive de nouveaux juges l’année précédente – quasiment la moitié de son effectif – «ce qui représente un challenge pour maintenir le cap côté qualité et cohésion interne», souligne Marc Jaeger, président du Tribunal. Avec 917 affaires introduites pour 895 clôturées en 2017, mission accomplie. «Et le plus important pour le justiciable: les délais sont descendus à 16,3 mois en moyenne.»

Des réfugiés aux rescrits fiscaux

«Le Tribunal intervient dans des matières extrêmement diverses – une quinzaine de domaines sont répertoriés dans le rapport 2017», souligne Dean Spielmann, juge au Tribunal depuis 2016, après une décennie à la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg. Parmi les affaires marquantes de 2017: la saisine par des réfugiés arrivés en Grèce et refusant leur relocalisation en Turquie, synonyme de retour dans leur pays d’origine, à la faveur de l’accord UE-Turquie. Le Tribunal s’est déclaré incompétent puisque le texte n’est pas un acte de l’UE à proprement parler.

Il s’est également penché sur plusieurs cas de députés européens dont le Parlement européen a ponctionné les moyens, afin de compenser les frais indus au profit d’assistants parlementaires en réalité salariés dans leur parti – Le Pen père et fille notamment pour le FN. Le Tribunal a aussi estimé que le monitorage de la Landeskreditbank de Baden-Württemberg relevait de la Banque centrale européenne et non de la banque nationale allemande au vu du caractère systémique de l’établissement financier. De quoi illustrer la justice à «360 °» côté Tribunal, qui planche toujours sur trois affaires d’aides d’État basées sur des rescrits fiscaux – Apple en Irlande, Fiat et Amazon pour le Luxembourg.

Reconnaissable de loin avec ses deux tours dorées sur le plateau du Kirchberg, la CJUE devrait inaugurer sa troisième tour dans les délais, à savoir en juin 2019, et ainsi pouvoir réunir ses 2.200 collaborateurs sur un site unique. Cette année encore, elle ouvre ses portes au public avec au programme la visite des locaux et la présentation de ses activités aux citoyens. Rendez-vous le samedi 5 mai.