Doris Woltz va diriger à partir du 1er janvier 2016 le Service de renseignement de l’État. (Illustration: Éric chapuis)

Doris Woltz va diriger à partir du 1er janvier 2016 le Service de renseignement de l’État. (Illustration: Éric chapuis)

Les attentats du 13 novembre à Paris ont donné aux paroles livrées 11 jours plus tôt par Patrick Heck, le patron du Service de renseignement de l’État jusqu’à la fin de l’année, un éclairage singulier. Après cinq ans à la tête du Srel et les deux années chaotiques entre 2012 et 2013, il «n’a plus envie», a-t-il admis au micro de la radio 100,7. Patrick Heck est pressenti pour prendre la direction de la Défense, fonction qui requiert un certain degré de testostérone, de courage et d’énergie.

Le directeur du service (qui changera son appellation en SRE, une fois la réforme votée) qui capitule ainsi publiquement, alors que le Luxembourg a placé le curseur sécuritaire au niveau 2 d’alerte, sur une échelle de 4 – ce qui signifie qu’il existe une «menace réelle» d’attentats bien qu’elle reste abstraite –, et que le flux des réfugiés venant d’Irak, de Syrie ou d’ailleurs, en dehors du programme officiel d’accueil, réveille des réflexes identitaires, cela relève de la faute professionnelle, ou à tout le moins d’un certain amateurisme.

Guère mieux, l’impression laissée par la procédure de nomination de Doris Woltz, qui doit lui succéder le 1er janvier prochain: la magistrate a été désignée le 30 octobre, deux semaines avant que l’annonce de recrutement soit publiée.

Les confidences de Patrick Heck sont arrivées au plus mauvais moment. L’enquête judiciaire, visant trois ex-agents du renseignement, dont le précédent «patron des espions» Marco Mille, ferait du surplace. Personne n’a encore été inculpé formellement après deux ans d’enquête. Certaines écoutes du Srel prétendument illégales ne le seraient pas et le fameux CD crypté d’une conversation entre l’ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker et le Grand-Duc Henri au Palais restera sans doute aussi mystérieux que le sont les commanditaires.

Souffler n’est pas jouer

Les anciens «parias» du Srel, auxquels l’enquête parlementaire de 2013 a fait porter une partie de la responsabilité des dysfonctionnements, ne se gênent plus désormais pour souffler sur les braises, mettant en cause l’inertie du service.

Frank Schneider, l’ancien chef des opérations du Srel, ne s’est pas fait prier en se faisant offrir par RTL une tribune au lendemain des attentats de Paris, dans laquelle il accuse le trio Alex Bodry (LSAP), François Bausch (Déi Gréng) et Xavier Bettel (DP), d’avoir en quelque sorte émasculé le service. «Aujourd’hui, a-t-il commenté, à cause de la stratégie de Bodry-Bausch-Bettel, nous avons un service de renseignement qui ne fonctionne plus. Le SRE, tel qu’on le nomme maintenant pour le différencier du Srel, doit remplir plus de formulaires pour ses gens, mais ne peut pas faire ce pour quoi il a été créé: le renseignement.» Et d’appeler, par son prénom, le chef du renseignement à se réveiller et à accueillir son offre de services: «Je suis là pour toi, si tu as besoin d’aide et naturellement aussi pour Madame Woltz.»

André Kemmer, lui, a eu les honneurs de la Revue. Les deux hommes, rompus à la barbouzerie, mais ayant quitté le Srel par la petite porte, se cherchent une nouvelle légitimité. Avec quel autre agenda que celui de retrouver leur honneur?

Il n’y a aucune chance que la procureur d’État adjointe, Doris Woltz, qui prendra le relais de Patrick Heck le 1er janvier 2016, saisisse la perche tendue par l’ancien chef des opérations du Srel.

D’abord parce que l’image brouillée qu’il veut donner du Service de renseignement et de son efficacité n’est sans doute qu’apparente. Car moins on parle du service, mieux c’est. Ensuite parce que le cadre légal du service aura été réformé et ne laissera aucune place à l’improvisation ni aux expéditions telles qu’elles furent initiées sous les mandats de Charles Hoffmann, ancien officier de l’armée, ou de Marco Mille, issu du ministère des Affaires étrangères, qui lui avait succédé en 2003.

Redorer le blason

Le choix de Doris Woltz, 53 ans, est ce qui peut arriver de mieux au SRE et à ses 65 agents officiels, pour redorer un blason terni auprès de la population et des principales institutions du pays, à commencer par la justice.

Doris Woltz connaît les ressorts et anciens réflexes du service par cœur. Lorsqu’elle dirigeait le cabinet d’instruction, de 2000 à 2010, et même depuis le début des années 1990, lorsqu’elle a rejoint le cabinet d’instruction, elle a eu affaire aux agents du renseignement qui ont défilé dans son bureau, entre confidences, interrogatoires, mensonges et prises de tête, notamment dans le cadre du dossier Bommeleeër, l’enquête sur les poseurs de bombes à la fin des années 80.

Ce sont surtout ses relations conflictuelles avec Charles Hoffmann, l’ancien patron du service de sûreté, que l’histoire retiendra sans doute, ainsi que la première perquisition que la magistrate ordonna en 2003 dans les locaux du Srel.

Outre l’affaire du Bommeleeër, Doris Woltz a instruit les très médiatiques dossiers du Castel, nom d’un ancien bordel de la capitale fréquenté par le Tout-Luxembourg, et de «Panama Charlie», le patron d’une fiduciaire condamné à 20 ans de prison pour avoir tenté d’assassiner l’industriel autrichien Gaston Glock en 1999.

«On ne la lui fait plus; elle a tellement l’habitude des gens qui mentent», signale l’avocat et ancien juge d’instruction directeur André Lutgen, qui a travaillé avec Doris Woltz dans les années 90. Il décrit son «fort caractère» et son «énergie» teintée d’une certaine brusquerie: «Ils auront de quoi faire avec elle.»

C’est une grande professionnelle. Elle fut une très bonne juge d’instruction. Elle sera une excellente cheffe là où elle sera.

Me François Prum, avocat et futur bâtonnier

«C’est une grande professionnelle. Elle fut une très bonne juge d’instruction. Elle sera une excellente cheffe là où elle sera, relève pour sa part l’avocat et futur bâtonnier Me François Prum. Je la vois très bien à sa place à la direction du Service de renseignement. Et ce n’est pas un petit coup de vent qui la fera tomber», poursuit-il.

L’autorité n’est donc pas ce qui lui manque. Depuis qu’elle a rejoint le Parquet en 2010, on dit que c’est elle qui dirige la maison, alors qu’officiellement, le patron s’appelle Jean-Paul Frising. «Sans en avoir le titre, elle était procureur», confirme un proche sous couvert de l’anonymat. Son avancement dans la magistrature semblait bloqué après la nomination de Jean-Paul Frising d’abord, puis plus récemment (juillet 2015) de Martine Solovieff comme procureur général d’État.

S’imposer dans la magistrature comme Doris Woltz l’a fait ne lui garantit pas pour autant qu’elle saura s’adapter à son nouvel environnement où elle devra manager une «entreprise» en rebranding de plus de 65 personnes. Les paradigmes vont changer: si la justice agit dans le respect de la présomption d’innocence, le service de renseignement, lui, se meut, dans le cadre opposé de la présomption de culpabilité.

Changement de cadre

Doris Woltz ne doit surtout rien à personne, ce qui lui donnera les mains libres pour agir dans un cadre législatif profondément changé, si la réforme du SRE arrive à passer le cap du parlement avant la fin de l’année. Sa nomination n’a rien d’un renvoi d’ascenseur. Politiquement, on lui prête plus d’affinités à gauche qu’à droite mais elle n’est pas encartée. «Elle n’a pas de préjugés et elle ne sera pas à la botte des politiques», renchérit Me François Prum.

La magistrate a longtemps été un membre actif du Cercle François Laurent, «un cercle d’étude juridique, de discussion et de réflexion ayant pour but de promouvoir et de défendre, dans un esprit de libre examen, les principes de liberté, de laïcité et de progrès social», selon les statuts de l’association publiés sur internet. Un cercle de «libres penseurs» aux antipodes, par exemple, de la Conférence Saint-Yves, groupement professionnel d’avocats et de juristes revendiquant leur appartenance catholique.

Le mandat de Doris Woltz devrait démarrer dans un cadre législatif remanié, après des années d’errance, résultat d’une loi de 2004 aussi mal rédigée que mal interprétée. La réforme controversée du SRE est sur le métier depuis deux ans et donne lieu à des débats interminables sur l’étendue des missions qui lui seront assignées et de ses moyens d’investigation, comme les infiltrations et l’usage de pseudonymes.

L’intelligence économique, qui donna lieu aux dérives du milieu des années 2000, ne devrait plus faire partie des missions de ses agents. Le gouvernement a fait savoir dans le cadre des travaux de la commission des institutions et de la révision constitutionnelle qu’il apportera «une réponse législative adaptée au domaine de l’intelligence économique» qui constitue «un secteur économique privé à part et distinctif de la mission souveraine de la sécurité nationale devant être orientée directement par l’État par le biais de ses prérogatives de puissance publique».

Le rôle du SRE sera «défensif aussi bien dans le domaine économique que dans les autres domaines», résume un procès-verbal de commission. «En matière économique, le SRE ne fait que se baser sur des sources qui sont à 90% des sources ouvertes, de sorte qu’il serait plus judicieux pour le gouvernement de s’adresser aux ambassades compétentes au lieu du SRE», souligne le document, ajoutant que «le gouvernement a toujours la possibilité de s’adresser à des cabinets professionnels œuvrant dans ce domaine, et étant mieux outillés que le SRE».

La réforme du renseignement a été critiquée jusque dans les rangs des magistrats. L’ancien procureur général d’État, Robert Biever, avait jugé «inadmissible dans un pays qui se veut démocratique d’accorder à un service secret des moyens d’investigation qu’on refuse à la police respectivement aux juridictions dont le travail est ouvert et transparent et fait l’objet à juste titre d’un contrôle pointilleux. (…) Il convient de veiller à ce qu’en aucun cas le service secret ne dispose de moyens d’investigations auxquels un service secret peut avoir recours mais pas la justice.»

Le recadrage du SRE et la venue d’une ancienne juge d’instruction à sa tête pourraient lever les dernières ambiguïtés ainsi que la suspicion qui pesait sur ses activités. Et donner le souffle qui manquait jusque-là pour assurer la sécurité extérieure de l’État.

Doris Woltz en quelques dates

  • 1981-1986: Études universitaires à l’Université libre de Bruxelles (ULB), licence (master – bac+5) en droit
  • 1987-1990: Avocate au Barreau de Luxembourg
  • 03/1990: Attachée de Justice
  • 10/1990: Juge au tribunal d’arrondissement de Diekirch
  • 1991-2000: Juge d’instruction au tribunal d’arrondissement de Luxembourg
  • 2000-2010: Juge d’instruction directeur au tribunal d’arrondissement de Luxembourg
  • 09/2010-...: Procureur d’État adjointe auprès du parquet de Luxembourg. Dans cette dernière fonction, elle est responsable de la Cellule de renseignement financier (CRF), ainsi que du département de la protection de la jeunesse