Edmond Nicolay s'appuie sur son expérience et sa bonne connaissance des rouages de l'entreprise. (Photo: Mike Zenari)

Edmond Nicolay s'appuie sur son expérience et sa bonne connaissance des rouages de l'entreprise. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Nicolay, pouvez-vous rapidement nous présenter le cabinet Allen & Overy Luxembourg?

«En 1990, des avocats décident de fonder le cabinet Zeyen Beghin Feider avec pour ambition, très rapidement, de rayonner à l’international alors que la grande majorité des cabinets, à cette époque, opérait plutôt sur le marché local. Pour y parvenir, un premier rapprochement est opéré dès 1993, avec le cabinet Loeff Claeys Verbeke (LCV), qui est alors une des études les plus importantes du Benelux. Au fil des ans, l’étude prend de l’ampleur. Elle compte de plus en plus de clients prestigieux internationaux et sa renommée va grandissante. Une nouvelle étape est franchie en 2000 avec l’intégration du cabinet au sein du cabinet anglais Allen & Overy. Aujourd’hui, le cabinet, qui a donc récemment fêté son 25e anniversaire, compte 140 collaborateurs, dont 90 avocats. En ce qui concerne le groupe, il est présent dans 32 pays, avec plus de 5.000 collaborateurs répartis dans 46 bureaux dans le monde.

À quel moment de cette histoire avez-vous intégré l’entreprise?

«Personnellement, j’ai rejoint l’entreprise il y a une vingtaine d’années maintenant, pour être précis en novembre 1993. Je me souviens qu’à cette époque, le cabinet, ayant entamé son rapprochement avec LCV, était à la recherche d’un collaborateur en charge de la comptabilité et de l’administratif. Le poste était assez original, car les cabinets d’avocats n’employaient alors que des juristes et des secrétaires. C’est d’ailleurs par curiosité que j’ai postulé. Et je ne suis plus jamais reparti. Il est vrai que ma mission en tant que CFO a considérablement évolué au fil du temps.

«Comme je bénéficie de 20 ans d'expérience au sein du cabinet, j'ai pu acquérir une vue globale sur son activité»

Une évolution liée à la croissance du cabinet ou à d’autres facteurs?

«Il est clair que la taille du cabinet et le fait d’évoluer dans un cadre largement défini par le groupe a impliqué bon nombre d’adaptations, même s’il convient de souligner que nous bénéficions d’une grande autonomie dans la prise de décisions. Mais l’évolution de mon travail est également liée à celle du marché. Les évolutions réglementaires, les innovations technologiques, mais aussi, dans un registre différent, la crise, qui a eu pour conséquence d’exercer une pression sur le contrôle accru de nos dépenses et sur les budgets de nos clients, ont également énormément modifié la façon dont nous travaillons en interne et avec nos clients.

Quelles sont vos missions prioritaires en tant que CFO?

«La gestion financière pure reste, bien entendu, mon cœur de métier. Aujourd’hui, je dirige un département Finance qui compte six collaborateurs : quatre sont en charge de la gestion financière quotidienne des dossiers clients et deux se consacrent davantage à la comptabilité générale et au reporting financier. Mais mon rôle ne se résume pas à jongler avec les chiffres en permanence afin d’optimiser les résultats.

Il est également de conseiller les associés dans leurs projets et investissements afin de leur apporter un éclairage financier. Sur un volet plus commercial, j’accompagne aussi les avocats dans leurs démarches. Il est fondamental de bien définir nos tarifs, de manière à rester concurrentiels, à pouvoir pleinement satisfaire nos clients et à atteindre nos objectifs financiers. Un cabinet d’avocats est aussi une entreprise commerciale. Autrefois, les choses étaient moins complexes. De manière simpliste, il suffisait qu’un avocat définisse un tarif horaire avec son client et le tour était joué. Pour établir la facture, il suffisait d’additionner les heures, de les multiplier par le tarif horaire, d’y ajouter le montant des frais, et l’affaire était réglée.

Et aujourd’hui?

«Ce mode de fonctionnement est largement révolu et ne s’applique qu’à de rares occasions. Aujourd’hui, et c’est tout particulièrement vrai depuis la crise, nos clients veulent avoir de la visibilité financière dans la durée, ce qui implique que nous anticipions le plus précisément possible le temps qu’un avocat, ou qu’une équipe d’avocats, va passer sur un dossier/une transaction à court, moyen ou long terme. Parallèlement, les pratiques ont également évolué. Avec l’évolution des nouvelles technologies, certains clients souhaitent, par exemple, obtenir et aller chercher eux-mêmes certaines informations juridiques générales sur internet sans avoir à solliciter à chaque fois leur avocat et être facturés pour cela.

À nous d’y répondre et de mettre en place ce service pour les accompagner dans leur quête et leur garantir la pertinence de l’information. L’enjeu est d’offrir le meilleur prix à une qualité que nous voulons irréprochable.

Et cela alors que la compétition est farouche entre les cabinets…

«Effectivement, la concurrence entre les cabinets est également plus vive aujourd’hui. Si nous avons été le premier cabinet luxembourgeois à nous ouvrir à l’international, aujourd’hui, bon nombre de cabinets internationaux ont ouvert des bureaux à Luxembourg. La réputation et la renommée d’Allen & Overy restent assurément un atout pour se distinguer.

Quels sont les outils mis à votre disposition pour évaluer le montant des honoraires d’une transaction?

«Nous disposons de différents outils d’aide à la décision. Nous pouvons tout d’abord nous appuyer sur un réservoir considérable de transactions et d’offres précédentes, réalisées pour des clients de taille similaire, provenant du même secteur d’activité, et ce pour des prestations comparables assurées par un profil d’avocat bien précis. Un associé ne facture bien évidemment pas ses services au même tarif qu’un avocat junior, mais le degré de son implication dépendra généralement de la complexité du dossier, tout en veillant à satisfaire les attentes du client, tant au niveau financier qu’au niveau qualité des services rendus. Nous disposons également de logiciels financiers spécifiquement conçus pour les cabinets d’avocats, pouvant élaborer des modèles de rentabilité. Ensuite, très concrètement, nous nous réunissons autour d’une table pour discuter avec l’avocat, le service Finance et le département Marketing/commercial, afin de proposer des offres de prix les plus pertinentes et appropriées. L’avocat reste l’interlocuteur privilégié de son client, c’est à lui, in fine, de déterminer quelle est l’offre la plus judicieuse à remettre à son client. Nous équipons nos avocats en ce sens. Le développement tient d’ailleurs une place prépondérante au sein de notre organisation. Tous les collaborateurs, moi y compris, sont régulièrement en formation, et cela tout au long de leur carrière.

Selon vous, comment votre fonction, et plus globalement encore le service Finance, va-t-il évoluer dans les années à venir?

«La tendance actuelle va se confirmer dans les années à venir et le rôle du département Finance va encore évoluer au diapason. L’évolution des nouvelles technologies va confirmer certaines pratiques comme la facturation électronique et accélérer encore l’automatisation de certaines tâches relatives à la gestion transactionnelle. Cela permettra de davantage maîtriser les coûts, ce qui est fondamental dans un contexte économique qui reste difficile, mais également de libérer du temps pour se concentrer sur le conseil au client et gagner ainsi, encore, en performance, en efficacité, mais également en proximité. L’ouverture à Belfast, il y a quelques années de cela, du centre administratif commun aux bureaux Allen & Overy d’Europe et des États-Unis, s’inscrit dans cette dynamique. Il emploie 400 personnes et assume toute une palette de prestations juridiques et de gestion standardisées. Le département Finance d’Allen & Overy Luxembourg évolue, d’une certaine manière, du back-office (transactionnel) vers le front-office (conseiller).

Quelles relations entretenez-vous avec les autres CFO du groupe?

«Nous sommes en contact très régulièrement via des conférences téléphoniques et des réunions afin de travailler sur des problématiques communes et assurer le suivi des projets. Nous nous enrichissons mutuellement les uns les autres de nos expériences et expertises.

Une question plus personnelle: après 20 années passées dans la même entreprise, le CFO que vous êtes est-il toujours aussi motivé?

«Ce n’est pas une fonction qui engendre la monotonie. Nous évoluons dans un monde en perpétuel changement. Les évolutions liées à la technologie et la réglementation impliquent de s’adapter et d’innover en permanence. Comme je bénéficie de 20 ans d’expérience au sein du cabinet, j’ai une vue d’ensemble sur son activité et plus globalement encore du marché. À ce titre, je suis régulièrement sollicité pour donner mon avis sur des dossiers qui me concernent moins directement, dans le domaine des RH ou de l’informatique, par exemple. Dans le domaine de l’IT, je me souviens que quand j’ai intégré le cabinet, l’une de mes missions prioritaires, à cette époque, a été de piloter l’installation du réseau informatique. C’est dire à quelle vitesse le métier d’avocat et le mien, par conséquent, ont évolué. Mais pour répondre simplement à votre question: ‘oui’, l’envie et la motivation sont toujours intactes. 

J’ai la chance d’exercer une fonction passionnante dans une entreprise qui évolue positivement dans un monde qui bouge, c’est assurément motivant.

Comment débutent vos journées? Quelle est la première chose que vous faites en arrivant à votre bureau, le matin?

«Je commence toujours par vérifier la situation financière du cabinet étant donné que j’ai accès, via notre système financier entièrement intégré au niveau du groupe, à l’évolution des transactions en temps réel. Ensuite, je m’informe de l’actualité du cabinet, mais également mondiale, car certains événements ont des répercussions et des effets immédiats sur notre business. Il est donc important d’être en prise directe avec l’actualité. Je m’accorde alors une première tasse de café.

Et que faites-vous pour vous détendre?

«J’aime les chiffres, mais suis également passionné de littérature, notamment de romans policiers historiques. Je fais également du sport. Tous les lundis soirs, je suis au stade pour un match de foot avec mon équipe de vétérans. Je suis également un amateur de basket, sport que j’ai également longtemps pratiqué.»

De trader à CFO
«Rejoindre une entreprise qui s’ouvre à l’international»
Né en octobre 1963, au Luxembourg, Edmond Nicolay a fréquenté l’École de commerce et de gestion au Grand-Duché, avant de poursuivre ses études à HEC Bruxelles.

De formation économique, Edmond Nicolay a notamment travaillé comme trader, dans une banque de la Place, avant de rejoindre Allen & Overy, en 1993. «J’avais fait le tour du métier de trader, je n’y trouvais plus vraiment mon compte. Comme tout le monde dans un cas similaire, j’ai donc commencé à regarder les offres d’emploi, sans une idée précise de ce que je voulais faire. Je suis tombé, par hasard, sur l’offre du cabinet Allen & Overy, qui ne portait alors pas encore ce nom, et qui recherchait un professionnel des chiffres pour assurer la comptabilité et la gestion administrative du cabinet. C’était différent de mon activité de trader, mais le challenge m’a intéressé, notamment car l’entreprise s’ouvrait alors à l’international», confie Edmond Nicolay.