La bataille de la fibre optique est déclarée au Luxembourg.  (Photo: David Laurent/Wide)

La bataille de la fibre optique est déclarée au Luxembourg.  (Photo: David Laurent/Wide)

En marge du déploiement du réseau fibre optique des P&T, les opérateurs alternatifs tentent de tirer leur épingle du jeu mais se heurtent encore à de nombreux blocages administratifs et techniques. Au milieu, l’Institut Luxembourgeois de Régulation tente de mettre en place un marché où règne une saine concurrence. Ce n’est pas gagné.

Le 29 juillet dernier, l’Institut Luxembourgeois de Régulation (ILR) a enfin approuvé, après un an et demi d’examen, les tarifs de référence de l’accès à Internet à très haut débit proposés par l’Entreprise des P&T. Un document qui a marqué le lancement officiel des offres commerciales en la matière, mais qui a également lancé bon nombre d’ultra hauts débats autour de la structure même de ces tarifs et de l’impossibilité, mise en avant par les opérateurs alternatifs, de vraiment développer une offre de services concurrentielle.

Cette décision de l’ILR s’était fait attendre. Suite à la communication gouvernementale du début de printemps 2010, l’opérateur historique avait finalisé son offre Luxfibre et s’apprêtait à la lancer à l’occasion de la Foire de Printemps. Tout était prêt. Mais, la veille de l’ouverture des portes de Luxexpo, fin avril 2010, l’ILR ordonnait à l’EPT, par courrier, de retirer son offre de son catalogue: elle ne répondait pas aux critères de régulation, notamment en ce qui concerne les possibilités d’accès des opérateurs alternatifs à la technologie mise en œuvre.

Il aura donc fallu attendre 15 mois pour que le régulateur, qui, le 1er avril 2011, a changé de directeur général (Paul Schuh ayant succédé à Odette Wagener), rende une décision. Qui, finalement, ne semble contenter personne. Ni les P&T, qui ont dû revoir leurs tarifs et attendre un an et demi avant de pouvoir commercialiser leur offre, ni les opérateurs alternatifs qui ne voient pas, dans le texte, des conditions réellement propices au développement de leurs propres services.

Il faut dire que le document de l’ILR laisse encore planer un certain nombre de zones d’ombre. Outre le fait qu’il est entaché d’une erreur «matérielle» dès son deuxième paragraphe (il manque la fin d’une phrase dans la définition d’un des termes employé dans la décision), le document mentionne explicitement le fait que l’Institut «approfondit l’analyse des conditions financières de ces offres avec l’aide d’un expert». Autrement dit: rien ne garantit, en théorie, qu’au terme de cette analyse d’expert, il ne faille pas une nouvelle fois revoir sa copie.

L’ILR justifie cette tarification «non expertisée» par la nécessité d’approuver l’offre «dans les meilleurs délais», afin de permettre aux opérateurs «de profiter des avancées technologiques disponibles et d’éviter un blocage du marché.» Ce point de vue rejoint celui du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur qui, dans notre dossier ICT indique qu’il «aurait été dramatique d’attendre une année supplémentaire avant de publier cette décision».

Du côté de l’opérateur historique, chargé par le gouvernement de mettre en place l’infrastructure nécessaire au ultra haut débit, les grandes manœuvres continuent. A la mi-septembre, les communes de Leudelange et de Hosingen ont été les deux premières à être intégralement raccordées au réseau Luxfibre. Pour rester dans l’objectif annoncé en 2010 – une couverture de pratiquement toute la population à l’horizon 2015 –, il s’agit de ne plus traîner désormais. L’EPT annonce y mettre les moyens: près de 500 personnes mobilisées, dont 300 salariés directs par l’opérateur historique, et 500 millions d’euros investis. «Nous avons divisé le pays en zones géographiques, correspondant à peu de choses près aux cantons administratifs, explique Jean-Marie Spaus, le directeur de la division télécoms des P&T. Pour chaque zone, nous travaillons sur autant de projets qu’il y a de sites, depuis l’analyse des infrastructures existantes jusqu’aux travaux de génie civil, en passant par la très importante et contraignante partie des autorisations administratives.»

Des questions restent sans réponse

Vu sous cet aspect-là, tout va bien donc. Mais les opérateurs alternatifs, eux, sont toujours dans l’attente d’un certain nombre de réponses à des questions qui restent en suspens suite à la publication de la décision de l’ILR. En cause, notamment: le flou savamment entretenu par l’opérateur historique.

«On regrette un manque de visibilité, indique Didier Rouma, président de l’association des opérateurs alternatifs (Opal). L’EPT construit son réseau très rapidement et c’est très bien. Mais nous n’avons aucune information sur les points de colocation ou sur la façon dont elle va faire son plan de développement. Nous attendons toujours la publication d’un registre des travaux qui permette de savoir à quels endroits sont installées les infrastructures. Peut-être manque-t-il, à certains niveaux, de la volonté de le publier rapidement.» En jeu: la possibilité pour les opérateurs de développer une réelle offre alternative qui se base non sur la connectivité, mais sur les services. «Si on doit se contenter des tarifs de gros actuels proposés par l’EPT, on nous empêche le développement de toute notion de service innovant pour le client. Il est dans l’intérêt du gouvernement que les alternatifs puissent aussi investir dans l’infrastructure afin de lancer des services vraiment innovants. Nous demandons vraiment aux P&T de partager davantage leurs informations.»

En matière de tarifs, certains opérateurs ont sorti leur calculatrice et ne parviennent pas à se trouver un avenir dans la grille proposée. «L’EPT propose l’installation d’un raccordement à 75 euros. Si je veux produire ou installer un service identique, ça me revient à 220 euros pour les seuls frais d’installation et à près de 400 euros en tenant compte des équipements. Je ne comprends pas d’où vient cette différence de prix, regrette Georges Muller, directeur d’Artelis, qui met le doigt sur un autre problème. Le prix de la location du cuivre est de 10 euros et de la fibre optique de 17,5 euros. Or, au final, le prix du service d’accès à un débit de 30 Mb est le même dans les deux cas, autour de 30 euros. C’est incohérent. J’espère que l’année prochaine, la fibre sera proposée à 10 euros, ce qui sera alors acceptable pour les opérateurs alternatifs. En attendant, je ne suis pas en mesure de proposer un accès à 30 Mb pour 30 euros. A la vue de ces chiffres, c’est difficile de rester calme. On nous répète sans cesse que les opérateurs alternatifs n’investissent pas et veulent simplement la cerise sur le gâteau. Nous, ça fait dix ans qu’on investit et aujourd’hui, c’est tout notre business case qui est en danger.»

Depuis de nombreuses années, en effet, Artelis (ex-Cegecom) a déployé son propre réseau fibre optique au Luxembourg et dans la Grande Région. La société a déboursé des dizaines de millions d’euros. Dix pour la seule année dernière et encore sept prévus cette année. Elle dispose du plus grand réseau à côté de celui des P&T.

«L’EPT vient de lancer son offre Direct Internet Access pour le ultra haut débit à destination des entreprises. Le problème est qu’en tant qu’opérateur alternatif, nous n’avons pas accès à la fibre et nous ne disposons pas de produit de revente pour ces services, s’agace M. Muller. Pour le last mile, je dois me connecter sur un POP (point of presence, ndlr.), mais je n’ai aucune information sur l’endroit où il se trouve. J’ai des clients à qui je ne peux proposer pour l’instant que des débits à 10 Mb et à qui l’EPT propose du 100 Mb. Je n’ai aucun moyen de m’aligner techniquement.»

Les opérateurs alternatifs sont en relation permanente avec l’ILR pour tenter d’obtenir des informations plus précises de la part de l’opérateur historique. Problème: même l’ILR semble se heurter à une certaine inertie de sa part. En octobre, une réunion entre toutes les parties devait permettre d’éclaircir un certain nombre de points. Mais faute d’avoir reçu de la part de l’EPT les réponses à l’ensemble de ses questions, le régulateur a dû se résoudre à programmer une nouvelle réunion, début novembre, afin de laisser le temps nécessaire à l’opérateur pour approfondir ses réponses. Les discussions sont loin d’être terminées…

 

Câblo-opérateur - L’option à 120 Mb

Le gouvernement a-t-il commis une erreur de communication en présentant son plan de déploiement d’Internet à ultra haut débit? Sans doute, à en croire Pascal Dormal, directeur du câblo-opérateur Numericable Belux. «Le gouvernement a essentiellement parlé du réseau de l’Entreprise des P&T, alors le projet se veut au départ technologiquement neutre. Cela a été récemment évoqué et le discours devrait désormais être corrigé, afin de mettre en avant l’émergence de cet ultra haut débit, quelle que soit l’architecture sous-jacente.» Il est vrai que tout, ou presque, tourne autour de la fibre optique.
Or, M. Dormal rappelle que partout dans le monde, les câblo-opérateurs ont été les précurseurs du déploiement de réseaux de 100 Mo de débits, voire plus. «Nous utilisons aussi de la fibre optique, même si l’accès final chez le client se fait au moyen d’un câble coaxial, ce qui, en termes de coûts, s’avère intéressant.»
Aujourd’hui, selon M. Dormal, le «câble» passe devant les habitations de 95% des ménages et plus de trois foyers sur quatre sont déjà raccordés. Problème: le marché des câblo-opérateurs est très fragmenté au Luxembourg avec une multitude de petits acteurs locaux qui ne sont pas toujours à la pointe technologique. Numericable est le seul à proposer une offre de type triple play. Le câblo-opérateur s’apprête même à frapper un grand coup, avec le lancement, en novembre, d’une offre de connexion à 120 Mb pour la totalité de ses quelque 30.000 abonnés.