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«À toutes les étapes de notre vie, nous faisons des choix, nous prenons des décisions qui, sans que nous en ayons parfois conscience, vont avoir un impact sur notre patrimoine et sa transmission, dans un avenir plus ou moins lointain», confie Anne-Lise Grandjean, estate planner à la Banque de Luxembourg. Les familles recomposées, les enfants expatriés, les carrières internationales, les biens immobiliers éparpillés en Europe ou dans le monde… De nombreux éléments rendent aujourd’hui plus complexes les questions de succession patrimoniale.

Un rôle d’éducation des familles

En tant que conseiller de proximité et de confiance, l’estate planner est là pour comprendre et anticiper les besoins de chaque famille, dans sa singularité. «Nos clients dont les affaires sont circonscrites à un seul pays sont devenus l’exception, constate Sophie Champenois, head of global wealth structuring au sein d’Indosuez Wealth Group. Ils n’ont pas toujours conscience de la complexité de leur situation, et notre première mission est de réaliser un diagnostic clair. Pour cela, nous leur posons beaucoup de questions afin d’identifier les points critiques, mais aussi pour dédramatiser. Il existe des outils qui nous permettent de répondre à leurs besoins spécifiques. Nous pouvons mettre en place des choses simples, compréhensibles par tous, à commencer par des outils de gouvernance familiale. Mais notre mission est avant tout pédagogique.»

Nos clients n’ont pas toujours conscience de la complexité de leur situation, et notre première mission est de réaliser un diagnostic clair.

Sophie ChampenoisSophie Champenois, Head of global wealth structuring (Indosuez Wealth Group)

Questionner, écouter, comprendre… Le rôle du conseiller en transmission patrimoniale est d’obtenir toutes les informations afin d’avoir une vue globale de la constellation familiale et des enjeux qui en découlent. «Nous sommes dans l’accompagnement. L’aspect humain occupe une place prépondérante, constate Christine Monfort, estate planner chez CapitalatWork, entité Wealth management de Foyer Group. Pour apporter le meilleur conseil, nous devons entrer dans l’intimité de la famille. Cela est d’autant plus vrai que la situation évolue au fil du temps et que la planification successorale doit être revue régulièrement. Trop souvent, nous découvrons par hasard qu’un enfant vit à l’autre bout du monde et que cela aura un impact non négligeable sur les solutions à envisager.»

Aujourd’hui, les familles à la tête d’un important patrimoine sont de plus en plus conscientes de l’importance d’anticiper et de préparer le passage de flambeau. «Au ­Luxembourg, les anciens avaient parfois tendance à penser que, vu l’absence de droits de succession en ligne directe, c’était à la nouvelle génération de se débrouiller avec l’héritage, mais c’est un peu plus compliqué que cela», reprend Anne-Lise Grandjean. Désormais, des clients d’une quarantaine d’années commencent à se poser des questions et à vouloir clarifier les choses avant qu’il ne soit trop tard. Le monde change. Les législations évoluent et se complexifient avec le temps. Petit pays par la taille, le Luxembourg a toujours fait preuve d’une grande ouverture vers l’extérieur, et la place financière dispose de compétences internationales qui permettent de comprendre les besoins de ses clients venus du monde entier. «Des pays voisins comme la France, l’Espagne ou la Belgique sont très centrés sur leur marché national et proposent des solutions locales, reprend Sophie Champenois. Au Luxembourg, nous disposons de toutes les compétences requises pour prendre davantage de hauteur. Nous regardons au-delà du droit luxembourgeois, là où un avocat actif dans une grande nation prend trop souvent pour acquis que ce qui est valable chez lui l’est partout ailleurs… Dans notre métier, il n’existe jamais de solutions toutes faites. Ce qui est vrai pour un client n’est pas vrai pour un autre, et nous devons nous adapter en permanence.»

Des outils de gouvernance

La complexité des dossiers traités crée une saine émulation au sein des équipes chargées de la planification patrimoniale. Celles-ci n’éprouvent aucune difficulté à recruter de nouveaux talents, attirés par les nombreux défis à relever. « Nous sommes confrontés à une inflation législative. La loi fiscale peut changer tous les ans, et nous devons régulièrement vérifier que ce que nous avons mis en place fonctionne toujours de la bonne manière, ajoute Christine Monfort. Pour des juristes et fiscalistes qui s’intéressent au droit comparé, c’est une aubaine. Nous devons suivre plusieurs environnements à la fois, en fonction des pays concernés. Sur ce point, l’aspect multiculturel du Luxembourg est un atout très appréciable. Avant toute chose, il est important de bien comprendre la culture de notre client.»

S’il m’arrive quelque chose demain, que va-t-il se passer ? La question mérite d’être posée.

Anne-Lise GrandjeanAnne-Lise Grandjean, Estate planner (Banque de Luxembourg)

Dans la pratique, les questions de succession patrimoniale relèvent en premier lieu du droit civil. Mariage, divorce, enfants à l’étranger, familles recomposées sont autant de sujets qui vont avoir un impact sur la transmission future du patrimoine. «S’il m’arrive quelque chose demain, que va-t-il se passer? La question mérite d’être posée», témoigne Anne-Lise Grandjean. S’il souhaite protéger sa famille à long terme, le chef de famille ou le chef d’entreprise doit anticiper. Parce que rien ne coule de source en la matière. «Dans la majorité des cas, il s’agit avant tout de mettre en place un système de gouvernance familiale adéquat. À ce sujet, le Luxembourg dispose de vrais atouts pour organiser les choses. On ne parle plus de solutions fiscales. Ce n’est pas ce que cherchent les familles fortunées, très attentives à leur réputation et au respect du droit. Ces familles souhaitent cependant s’appuyer sur des produits adaptés à leurs besoins», complète la responsable Global wealth structuring d’Indosuez.

Une diversité de points de vue

Capable de comprendre la famille dans sa globalité, avec ses ramifications souvent étendues à travers le monde, l’estate planner doit ensuite accompagner son client sur le long terme. Mettre en place des solutions, veiller à ce qu’elles soient pertinentes dans le temps, les adapter en cas de changement. «Certains héritiers ont peur, d’autres n’ont pas conscience de la fortune familiale, explique Christine Monfort. D’autres encore, parce qu’ils vivent à l’étranger depuis longtemps, ont acquis une culture et une mentalité différentes de celles de leurs parents. Il faut pouvoir tenir compte de ces différents points de vue et des intérêts de chacun. Sans compter que d’un point de vue fiscal et civil, beaucoup d’éléments sont à prendre en compte. Nous avons un rôle d’éducation et d’encadrement à jouer. Nous sommes là aujourd’hui et nous serons là demain pour faire fonctionner les mécanismes mis en place.»

Dans la boîte à outils luxembourgeoise, différentes pistes permettent aux spécialistes de la planification successorale d’attirer des clients luxembourgeois ou étrangers. «La société en commandite spéciale, véhicule développé à l’origine pour le private equity, nous permet de répondre à beaucoup de questions de gouvernance familiale, sans aucun impact sur la situation fiscale des familles, qui cherchent clairement la neutralité en la matière, témoigne Sophie Champenois. La réforme du droit des sociétés a également apporté plus de souplesse dans l’organisation de l’actionnariat.» Ces outils permettent aux estate planners d’organiser le patrimoine familial, de s’adapter à des situations compliquées. «Par ailleurs, l’assurance-vie reste un outil important. Il est bien connu du public, compréhensible et très intéressant. En outre, pour les personnes qui bougent beaucoup, sa portabilité est un avantage non négligeable», résume Christine Monfort. Aujourd’hui, les clients fortunés sont conscients de l’image qu’ils peuvent renvoyer aux yeux du public. «Ils veulent de la clarté, tout en protégeant leur capital. Nous sommes là pour trouver des solutions», ajoute Anne-Lise Grandjean.

Un code civil à adapter

Si l’on retient souvent que le Luxembourg n’applique pas de droit de succession en ligne directe, la question du partage de l’héritage s’avère régulièrement beaucoup plus complexe en pratique. «Le monde dans lequel on vit a changé extrêmement vite. Les familles évoluent. On est de plus en plus confronté à des familles recomposées, à des enfants nés hors mariage. Or, le droit civil luxembourgeois n’a guère évolué sur ce point par rapport au code Napoléon… constate Sophie ­Champenois. En Belgique, le Code civil a récemment été modifié. La réserve héréditaire passera à partir de septembre 2018 de trois quarts à la moitié de l’héritage. Ceci permet par exemple de faciliter le transfert vers les enfants du conjoint». Aussi la réforme belge permettra aux parents de conclure, avant leur décès, un pacte successoral global avec leurs enfants. Pour que ce pacte soit valable, tous les héritiers devront être impliqués. «La France a d’ailleurs été précurseur en la matière, avec l’instauration en 2007 du pacte sur succession future, complète Sophie Champenois. Sur ce point, le Luxembourg est clairement à la traîne.»

Le monde dans lequel on vit a changé extrêmement vite. Les familles évoluent. Or, le droit civil luxembourgeois n’a guère évolué sur ce point par rapport au code Napoléon.

Christine MonfortChristine Monfort, Estate planner (CapitalatWork entité Wealth management de Foyer Group)

L’autre regret vient de l’abandon, en 2014, du projet de loi sur la fondation privée. «Il n’était certes pas parfait, mais il apportait des solutions, notamment pour éviter d’éparpiller le patrimoine, par exemple lorsqu’on est en présence d’une collection d’art, explique Anne-Lise Grandjean. De tels outils existent en Belgique, aux Pays-Bas ou au Liechtenstein, et cela manque à la panoplie des solutions que nous pouvons offrir au départ du ­Luxembourg.» Imaginée pour renforcer l’attractivité de la Place luxembourgeoise auprès des particuliers fortunés, l’idée de la fondation patrimoniale avait été transcrite en projet de loi au cours du premier semestre 2013. Un texte a été déposé le 22 juillet de la même année sous le désormais célèbre numéro 6595. Le texte a été jusqu’au Conseil d’État, qui a encore rendu un avis complémentaire le 7 octobre 2014. Mais il est aujourd’hui au point mort. L’estate planner n’est pas démuni pour autant. Grâce à la boîte à outils mise en place au Luxembourg, il dispose aujourd’hui de nombreuses solutions pour accompagner les particuliers fortunés, qu’ils viennent d’ici ou d’ailleurs. Fort de ses connaissances approfondies du droit tel qu’il est appliqué aux quatre coins du monde, il offre un conseil à haute valeur ajoutée dans un univers en perpétuelle évolution. Surtout, il assure aux familles la transmission patrimoniale la plus juste, dans le respect des règles fiscales actuelles et à venir.