Jean-Yves Leborgne: «Les risques pour la croissance de la zone euro ne justifient pas des taux plus bas que fin 2011.» (Photo: DR)

Jean-Yves Leborgne: «Les risques pour la croissance de la zone euro ne justifient pas des taux plus bas que fin 2011.» (Photo: DR)

Des économies fragiles, des gouvernements trop dépensiers et des taux de chômage élevés ne semblent pas constituer un contexte favorable à des taux bas sur les dettes souveraines. C’est pourtant ce qui se passe dans la périphérie de la zone euro, alors que les taux longs allemands, américains et japonais percent plancher après plancher. La convergence actuelle des taux est le fruit d’un ajustement rapide: lorsque la BCE a convaincu les marchés qu’elle préserverait l’intégrité de la zone euro, les taux d’intérêt des différents pays – alors que ces mêmes pays étaient toujours dans des phases très différentes du cycle – ont à nouveau convergé tandis que le taux de référence (le Bund allemand) baissait. La «fragmentation» d’avant crise sur le marché de la dette souveraine a ainsi disparu.

Si cette convergence est plutôt une bonne nouvelle, son ajustement est allé trop loin. Est-il normal que le taux allemand soit passé dernièrement sous la barre des 1%? Aucun fondement économique ne le justifie vraiment, sauf à penser que les marchés récompensent les efforts de certains pays avant qu’ils ne soient accomplis… mais cela pourrait bien changer. La Grèce, qui a fait son retour fulgurant sur les marchés, ou l’Irlande, qui a émis des obligations à des taux plus bas que ceux auxquels emprunte le Royaume-Uni, ne font qu’illustrer l’anormalité de la situation.

Une situation artificielle

Cette situation semble pour le moins artificielle et le risque de retournement brutal devient à ce stade bien réel. Si aucun des fondamentaux économiques classiques n’explique le niveau actuel des taux, sans doute la croyance des marchés dans une intervention de la BCE peut-elle contribuer à l’expliquer. L’assouplissement quantitatif à l’européenne, s’il vient un jour, semble pourtant bien loin…

La situation paraît similaire aux États-Unis, où les taux d’intérêt à 10 ans n’en finissent plus de baisser. Il est vrai qu’avec des bons d’État allemands et japonais à respectivement à 0,9% et 0,4%, les 2,4% offerts par le Trésor font presque rêver (cette demande d’obligations alimente d’ailleurs l’appréciation progressive du dollar). Ainsi, même avec un resserrement de la politique monétaire américaine en ligne de mire pour 2015 et une économie en bonne forme, la baisse des déficits américains (dont les autorités monétaires diminuent les émissions et donc l’offre nouvelle de titres) et la hausse de la demande pour les valeurs refuges (notamment à cause des crises ukrainienne et irakienne) pourraient accentuer le phénomène encore quelque mois.

Inversion du mouvement

Il est toutefois réaliste de penser que ce mouvement devrait s’inverser: le taux long américain pourrait repasser au-dessus de 2,5% d’ici la fin de l’assouplissement quantitatif prévu pour octobre, vers 3% à la fin de l’année et pas au-delà de 3,5% d’ici fin 2015.

Dans l'eurozone, même si les risques pour la croissance sont toujours nombreux, ils ne justifient pas que les taux soient plus bas qu’à la fin 2011, au plus fort de la crise de l’euro. Les niveaux actuels ne sont pas soutenables, même avec une inflation faible. Un ajustement progressif devrait donc se produire, le taux à 10 ans allemand ne devant toutefois pas dépasser 1,5% d’ici la fin de l’année. Au-delà, le risque d’un ajustement plus brutal sur le marché obligataire n’est pas exclu. Il pourrait être déclenché par des prises de bénéfices d’investisseurs qui ne se sentent plus assez rétribués par les risques auxquels ils s’exposent ou par la BCE elle-même, dans le cas où elle serait plus claire sur l’ampleur limitée que pourrait avoir un assouplissement quantitatif européen.