L’idée a germé au détour d’un déjeuner entre le promoteur Steve Krack et l’architecte Philippe Nathan de l’agence 2001: que faire de la gare ferroviaire fantôme du Findel? Comment rendre cet espace construit grâce à l’argent public de nouveau accessible et lui redonner une certaine utilité publique?

Steve Krack s’explique en exclusivité à Paperjam: «Quand j’ai vu dans la presse les énormes volumes déjà construits grâce aux 30 millions de l’État, je me suis dit qu’il fallait absolument faire quelque chose. Mais comment rendre de nouveau accessible ce tunnel et y apporter une qualité spatiale? Le concept est en fait arrivé très vite: il fallait découper une partie de la dalle supérieure pour exploiter le volume en sous-sol».

En effet, en supprimant la dalle supérieure, un espace haut de trois niveaux s’ouvre aux pieds de l’aérogare. Dans le cœur de cet espace ouvert, les concepteurs prévoient d’installer deux patios plantés d’arbres autour desquels se déploient, à l’intérieur des tunnels existants, une supérette, un business center, un hôtel avec une salle de gym et des parkings. Dès 2021, le tram arrivera à l’aéroport. La connexion avec les transports en commun est donc déjà assurée.

Un programme complet

La nouvelle proposition s’inscrit en douceur dans le paysage en surface, avec des pavillons qui se déploient comme deux ailes autour de l’aérogare. Il s’agit des toits des pavillons qui se développent en sous-sols, des toitures praticables, un clin d’œil à l’ancienne aérogare où il était possible de monter sur le toit pour voir décoller les avions.

Steve Krack et Philippe Nathan proposent d'ouvrir une partie du tunnel pour y installer un patio planté. Illustration: 2001©Steve Krack

«Dans le tunnel, les différentes typologies d’espaces permettent de tirer profit des différentes qualités de lumière: le lobby de l’hôtel et la salle de fitness, par exemple, donnent sur le patio et profitent de la lumière naturelle, alors que les parkings et le supermarché, qui n’ont pas les mêmes besoins en lumière naturelle, sont dans les profondeurs des tunnels. Le business center pourrait bénéficier des pavillons dans le parc pour y installer des salles de réunion par exemple», explique Philippe Nathan.

L’hôtel pourrait compter entre 40 et 60 chambres et permettraient aux personnes qui décollent très tôt le matin de dormir à proximité immédiate de l’aéroport. «Il ne s’agirait pas d’un business hôtel, mais bien d’un hôtel pour une très courte durée d’une nuit», explique Steve Krack, qui a déjà eu une expérience hôtelière avec Stayrooms.

Recréer un espace pour le public

«À la base du projet, il y a la question de la caractéristique de l’espace public», explique l’architecte. «Il s’agit d’un lieu qui a été construit avec l’argent de l’État et qui se situe à proximité d’un lieu semi-public, l’aéroport. Nous avions donc la conviction qu’il fallait retrouver ce caractère public dans notre proposition. Ce tunnel présente des proportions et des dimensions importantes qui devraient contribuer à une expérience pour les utilisateurs, et non pas être uniquement réservées à une utilisation privée».

Steve Krack et Philippe Nathan ont donc choisi une tout autre approche que celle développée par le ministère du Développement durable et des Infrastructures et Lux-Airport avec «Airport City»: d’une contrainte forte, de l’analyse du site et de ses caractéristiques, ils cherchent à optimiser une situation existante en lui redonnant des qualités urbanistiques, paysagères et architecturales, alors que le projet d’«Airport City» cherche à maximiser l’occupation des terrains autour de l’aéroport dans l’objectif d’une meilleure rentabilité financière du site, tout en y injectant de nouveaux services liés à l’aéroport. Mais sans vraiment prendre à bras le corps la problématique de la gare ferroviaire qui serait simplement «remplie» par un data center.

C’est un lieu emblématique pour le ‘nation branding’, puisque c’est le point d’entrée et de sortie du pays.

Philippe Nathan, architecte

«Par ailleurs, nous ne sommes pas les architectes de l’aérogare. Nous devons intervenir de manière respectueuse par rapport à cette architecture, qui est emblématique, avec un certain nombre de caractéristiques et de qualités», explique Philippe Nathan. «C’est aussi un lieu emblématique pour le ‘nation branding’, puisque c’est le point d’entrée et de sortie du pays. Plutôt que d’y apporter des qualités liées à la consommation – comme c’est souvent le cas avec les nombreux panneaux publicitaires qui se trouvent autour des aérogares – et des espaces strictement réservés aux véhicules, il serait possible d’y apporter des qualités spatiales et de se donner de l’ambition par la gestion de l’espace. C’est pour cela que nous avons décidé de ne rien construire devant, mais d’exploiter pleinement l’espace en profondeur. C’est une approche similaire à celle que Dominique Perrault a pu réaliser à la Bibliothèque nationale de France par exemple. C’est un geste paysager. À côté de cela, il faut trouver des solutions pour utiliser les autres parties du tunnel et les transformer en mètres carrés exploitables. D’où cette idée des deux patios devant l’aérogare, qui permettent de faire entrer la lumière dans la profondeur du tunnel».

Un projet apprécié, puis retoqué

Le projet a été présenté au ministre du Développement durable et des Infrastructures François Bausch en 2014 ainsi qu’à l’ex-CEO de Lux-Airport, Johan Vanneste. Si ces derniers s’étaient montrés positifs dans un premier temps, d’après Steve Krack, ils n’ont par la suite pas souhaité avancer à leurs côtés, sans pour autant argumenter les raisons du refus de ce projet.

Paperjam.lu a contacté le ministre pour qu’il puisse s’exprimer sur le projet de transformation de l’aéroport, mais le cabinet de ce dernier a directement renvoyé vers Lux-Airport. Contacté par paperjam.lu, René Steinhaus, directeur général par intérim de Lux-Airport, a confirmé que cette proposition d’aménagement n’était pas une option. «Nous avons d’autres lieux pour créer des hôtels que dans un tunnel souterrain. Un tel projet ne semble pas réaliste», déclare-t-il.

Notre projet pourrait devenir un nouveau ‘landmark’ pour Luxembourg.

Steve Krack, promoteur immobilier

Aujourd’hui, le projet d’«Airport City», dont le master plan est l’œuvre d’Albert Speer & Partner, est en phase d’étude, et on y retrouve d’ailleurs plusieurs similitudes sur les fonctions mises en place comme l’hôtel, le business center ou la salle de gymnastique. La première phase du projet prévoit par ailleurs l’installation de commerces dans la partie intermédiaire entre la gare souterraine et l’accès aux parkings, galerie éclairée par des ouvertures zénithales.

«Notre projet pourrait devenir un nouveau ‘landmark’ pour Luxembourg», soutient Steve Krack. «Cette proposition s’appuie sur une infrastructure qui représente un investissement important et qui est, à l’heure actuelle, une perte de surface. Mais il est possible de retrouver des qualités inédites pour un espace si profond», affirme Philippe Nathan.

Une nouvelle voie qui mériterait d’être étudiée en tout cas, plutôt que de se lancer dans l’implantation d’un data center sur un des terrains les plus emblématiques du pays et donc de rater une opportunité de montrer que Luxembourg progresse dans la gestion de l’occupation de ses sols. Une question qui est au cœur de l’exposition du pavillon luxembourgeois à l’actuelle Biennale d’architecture de Venise.