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L e paysage entrepreneurial luxembourgeois est essentiellement composé de petites et moyennes entreprises. Un tiers des sociétés présentes au Luxembourg sont le fait d’une seule personne et deux tiers des entreprises grand-ducales comptent moins de quatre salariés. Si l’on souhaite améliorer la croissance économique, par tous les moyens possibles et imaginables, on comprend alors aisément que cela doit aussi passer par ces acteurs d’envergure modeste qui peuvent s’avérer hautement qualitatifs.
Si le Luxembourg dope sa croissance en se voulant attractif à l’égard des entreprises internationales qui souhaitent s’installer en Europe, il doit aussi encourager les petits acteurs du cru à grandir, à acquérir de nouveaux clients au Luxembourg, à pénétrer de nouveaux marchés au-delà des frontières, à innover, à développer de nouveaux services. Dans ces temps de morosité économique, toute croissance, si petite soit-elle, est bonne à prendre.
Encourager une croissance endogène émanant des PME n’a cependant rien d’évident. «Tout simplement parce que la croissance n’apparaît pas comme un objectif ou une évidence dans le chef de tous les dirigeants de petites et moyennes entreprises. De plus, les acteurs de petite taille sont confrontés à des défis qui peuvent apparaître comme insurmontables pour pouvoir croître», commente Vincent Hieff, responsable de l’Espace entreprise au sein de la Chambre de commerce, citant notamment les soucis qu’ils peuvent rencontrer ne fût-ce que pour développer leurs activités au-delà des frontières.
«Il y a pourtant des opportunités à saisir avec la Grande Région», constate Charles Bassing, directeur adjoint de la Chambre des métiers. «Avec la crise, de nombreuses entreprises ont été contraintes d’explorer de nouveaux marchés pour maintenir leur activité. Naturellement, elles se sont dirigées vers les régions limitrophes, avec un certain succès. Les entreprises actives sur la Grande Région réalisent 20% de leur chiffre d’affaires dans les régions voisines du Luxembourg. C’est aussi là aujourd’hui qu’elles vont chercher la croissance.»

Lever les barrières

Bien avant d’envisager l’opportunité qu’il y a à s’exporter, il existe d’autres freins, d’ordre financier ou psychologique. Dans le cadre d’une entreprise one-man-show, le recrutement du premier salarié, étape inéluctable dans une perspective de croissance, est un cap crucial et difficile à passer. Et ce malgré des indicateurs qui laissent à penser qu’en tout état de cause, il existe bel et bien des perspectives de croissance. «Il y a un marché et des opportunités, de la demande, poursuit Vincent Hieff. La meilleure preuve réside dans une création nette d’entreprises positive au Luxembourg dans de nombreux secteurs d’activité.»
Dès lors, comment mieux accompagner la croissance des entreprises? En facilitant leur développement. Pour cela, il convient de lever certains freins auxquels doivent faire face les PME. «Nous comptons sur le territoire de nombreux artisans de qualité, qui pourraient croître facilement. Ce qui les empêche de grandir, aujourd’hui, c’est le manque d’espace disponible pour étendre leurs activités, précise Charles Bassing. Le manque de personnel qualifié est un autre frein dans de nombreux cas de figure. Enfin, la lenteur administrative, aujourd’hui, n’encourage pas les dirigeants à envisager des chantiers d’agrandissement conséquents.»
Les autorités, dans ce contexte, pourraient prendre des réformes utiles pour favoriser le développement des entreprises de petite taille, notamment dans le secteur de l’artisanat. Selon la Chambre des métiers, les filières de formation professionnelle, par exemple, devraient être mieux valorisées. Une libéralisation de l’espace pourrait être porteuse d’opportunités pour de nombreuses entreprises. Une simplification administrative, sans aucun doute, permettrait à une bonne part des PME de plus aisément envisager leur développement futur.

Toutefois, si la sphère publique peut faciliter le développement des entreprises, voire l’inciter, elle ne pourra en aucun cas prendre des risques à la place des entrepreneurs. Car croître peut s’avérer risqué… «Si le marché est dynamique, l’environnement est aussi devenu plus compétitif», constate Romain Bontemps, associé au sein du cabinet Grant Thornton. «Le monde évolue. Les attentes des clients changent. Dans un univers de plus en plus digital, il n’est pas forcément évident, pour un petit commerçant, de se retrouver directement en concurrence avec des entreprises actives sur le web et avec qui il est plus ardu de rivaliser. L’environnement dans lequel on évolue est devenu bien plus complexe et exige un niveau de professionnalisation élevé pour assurer une croissance durable.»
Croître dans ce contexte exige sans doute plus de discipline. Le marché est plus complexe, les acteurs sont plus nombreux, l’offre est plus hétérogène. Il importe dès lors de développer une connaissance plus fine de son cœur de cible. «C’est en sachant précisément à qui elle adresse son produit ou son service qu’une PME pourra plus facilement développer son activité, explique M. Hieff. Si cela peut paraître évident de prime abord, on croise encore beaucoup d’entrepreneurs qui n’ont pas une idée précise de la clientèle à laquelle ils s’adressent. C’est problématique.»
Bien connaître son marché et sa cible permet à chacun de s’adresser à elle, sans ambages, en optimisant l’effort et donc les coûts nécessaires. Par ailleurs, chaque acteur doit pouvoir démontrer sa valeur ajoutée. «Le marché est devenu plus transparent. Si par le passé un acteur pouvait attirer et fidéliser le client en développant un service de qualité ou une écoute bienveillante autour d’un produit, en misant sur le bouche à oreille et la recommandation, à l’heure des comparateurs de prix en ligne, cela ne suffit plus pour alimenter la croissance», explique Romain Bontemps.

La croissance se gère. Au-delà d’une bonne connaissance du marché et des clients, elle exige de se fixer des objectifs et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Financer la croissance n’est, en soi, jamais une mince affaire. Trouver les financements exige de la part des dirigeants de pouvoir convaincre. «Grandir exige d’investir, investir nécessite de trouver des financements. Or, pour obtenir un crédit, il est essentiel de pouvoir disposer de fonds propres afin d’obtenir un prêt. Aujourd’hui, sans capital, on ne peut pas parvenir à s’étendre», commente Romain Bontemps. L’autre moyen est de convaincre des investisseurs. «Mais pour ce faire, l’entrepreneur doit aussi être prêt à ouvrir son capital. Ce qui n’est pas toujours le cas», poursuit le consultant.

Préserver les acquis

À défaut de pouvoir trouver des financements permettant d’investir et franchir des paliers à vive allure, on peut préférer une croissance organique, plus lente, mais peut-être plus durable. En tout état de cause, que l’on veuille aller vite ou que l’on souhaite prendre le temps, il faut veiller à plusieurs facteurs essentiels. «Quand on croît, au moment de développer ses projets, il faut s’assurer du maintien de son chiffre d’affaires et de la clientèle existante. Si l’acquisition et la diversification de l’activité constituent des enjeux importants, la conservation des acquis en est un tout aussi important», précise Jérôme Bernard, directeur au sein de KPMG Luxembourg. «Garder un client reviendrait ainsi cinq à 10 fois moins cher que d’en acquérir un nouveau selon certaines études récentes. La maîtrise des coûts est l’autre enjeu d’une croissance réussie. Pour y répondre, la PME doit veiller à l’amélioration de l’efficacité opérationnelle, qui passe par exemple par la professionnalisation de la fonction commerciale, dont les coûts ont rapidement tendance à progresser.»
Au cœur de l’environnement luxembourgeois, la croissance n’émane que rarement d’une augmentation du volume, mais bien d’une amélioration de qualité. «Plus que jamais, les acteurs doivent pouvoir être concurrentiels, faire la démonstration de leur plus-value directement tout en restant compétitifs. On se doit d’être plus compétitif», explique Romain Bontemps. «Cela n’a rien d’évident dans un Luxembourg où les acteurs du cru ne peuvent pas rivaliser sur les prix. Pour y parvenir, les PME luxembourgeoises doivent prôner la qualité plus que des approches low cost.»
Une PME est certainement plus agile qu’un grand groupe ou même qu’une entreprise comptant des centaines de personnes. Elle peut s’adapter plus facilement. En développant de réels facteurs de différenciation, en faisant preuve d’innovation, une petite PME peut prétendre à de grandes ambitions. «Innover ne signifie pas forcément qu’il faut investir des sommes conséquentes en recherche et développement, commente M. Bassing (Chambre des métiers). On peut innover dans la manière de proposer son offre, dans le service qui l’accompagne. Il est possible de développer des incitatifs, uniques, différenciant, autres que le prix.»

En développant une offre unique, de petits acteurs peuvent s’imposer au Luxembourg et au-delà. C’est dans cette voie qu’il faut encourager les PME, en développant une réelle culture du succès. «Elles ne doivent pas avoir peur de penser grand. Aujourd’hui, on constate encore souvent dans le chef des dirigeants de PME une crainte à s’affirmer comme étant les meilleurs dans leur domaine», commente M. Hieff (Chambre de commerce). «Dans le contexte actuel, il est possible d’aller viteet loin, d’ambitionner de pouvoir faire la différence à l’échelle globale.» Aujourd’hui, on serait bien tenté d’opposer le concept de not too small to grow à celui de too big to fail.
«Si le facteur différenciant reste la qualité, il nous manque une culture du succès. Il ne faut pas craindre de se positionner en exemple, comme la Suisse l’a très bien fait au fil des années», complète M. Bontemps (Grant Thornton). «Aujourd’hui, dans l’esprit des gens, la Suisse véhicule cette image de qualité, de précision, de haute technologie. Je pense que le Luxembourg et ses acteurs doivent s’inspirer de cet exemple. Il y a encore beaucoup à faire à ce niveau.»

Profiter de la technologie

L’émergence de l’e-commerce, les nouveaux usages du web ont redistribué les cartes, souvent aux dépens des petits acteurs. Mais il ne faudrait pas voir dans la technologie la source de tous les maux. Au contraire, en disposant d’une bonne connaissance de son marché et de sa cible, de nouveaux outils peuvent constituer de réels leviers de performance. «Un bon usage de la technologie constitue un levier de croissance indéniable. Malheureusement, un nombre trop conséquent de PME ne dispose toujours pas d’un site internet ni d’une présence digitale dignes de ce nom», explique Jérôme Bernard. «Or, à l’heure du web, où le client cherche le service à travers les divers canaux qui s’offrent à lui, c’est par là que la PME peut s’adresser directement à sa clientèle cible. En mettant en œuvre une présence web bien pensée, elle peut faire venir sa clientèle à elle sans nécessairement devoir investir dans les moyens requis par la publicité traditionnelle. Certains réseaux sociaux, par exemple, peuvent permettre de cibler de manière extrêmement précise les personnes que l’on veut toucher, afin d’optimiser de manière significative les investissements marketing.»

La technologie, en outre, n’a jamais été aussi accessible. Grâce à l’émergence du cloud computing, les PME et start-up peuvent aujourd’hui bénéficier de services ICT de pointe sans avoir à investir dans une infrastructure dédiée, en fonction de leurs besoins réels. «Il est désormais possible, pour des petits acteurs, partant de rien, de développer une offre de qualité, capable de rivaliser avec des acteurs bien établis sans forcément devoir mobiliser des ressources IT conséquentes dès le départ», explique Jérôme Bernard. «D’autre part, les évolutions technologiques sont porteuses d’opportunités pour les acteurs de petite taille, dans la mesure où elles permettent de développer des approches et des offres de services disruptives. Par le passé, l’offre a suivi la demande. On se rend compte aujourd’hui que ce n’est pas toujours le cas. Des services collaboratifs voient le jour, engendrant une nouvelle demande, de nouveaux modes de consommation», explique Charles Bassing. «Dans ce mouvement, ce sont les acteurs traditionnels, bien en place, qui se voient contraints d’adapter leur business model.»
Évoluer dans un tel environnement et générer de la croissance exige en outre que les dirigeants soient mieux formés que jamais. «On a pu constater que dans 50% des cas, la cause d’une faillite trouve son origine dans un manque de qualification de son dirigeant, commente Vincent Hieff. Dans un monde en constante évolution, qui exige des acteurs de s’adapter en permanence, ce constat met en exergue l’importance des compétences du dirigeant, mais aussi de l’équipe qui l’entoure au sein d’une PME, ainsi que la nécessité de pouvoir mettre en œuvre une stratégie de lifelong learning en son sein. L’agilité de l’entreprise, sa manière de s’adapter aux changements en dépend fortement.»
Au-delà de la qualification des équipes internes à l’entreprise, il est important pour une PME en croissance de bien s’entourer, de disposer des bons conseillers externes, pour la guider à travers les démarches qui ne sont pas forcément inhérentes à son cœur de métier, comme le conseil comptable, fiscal ou juridique.

Compétences
Mieux former et accompagner les dirigeants
Les outils ne manquent pas pour améliorer le bagage des dirigeants d’entreprise.
Pour répondre à l’enjeu de la formation des dirigeants de PME, pour mieux les accompagner dans le développement de leur organisation, la Chambre de commerce ainsi que la Chambre des métiers ont développé une série d’outils. Le plus visible est sans aucun doute la Luxembourg School for Commerce, qui propose une panoplie de formations utiles. Au sein de l’Espace entreprises a aussi été mis en place un programme de business mentoring, à travers lequel, chaque année, des entrepreneurs affirmés accompagnent sur base volontaire des dirigeants d’entreprise désireux de développer leur business. Du côté de la Chambre des métiers, au-delà des formations proposées, des rencontres entre dirigeants sont organisées. Par exemple, depuis 2006, le Club innovation rassemble des décideurs d’entreprises artisanales et de PME. Il a été conçu comme un lieu d’information et de partage de bonnes pratiques en ce qui concerne la gestion d’entreprise. Les thématiques abordées lors des réunions recouvrent des sujets variés tels que l’innovation, le lean management, les financements, le marketing, les collaborations, etc. Des témoignages de membres ayant réussi à améliorer la gestion de leur entreprise viennent alimenter la discussion. D’autres initiatives sont de nature à favoriser la croissance des PME. Comme le programme Fit4Innovation, porté par Luxinnovation, conçu pour permettre aux PME d’accéder à l’innovation grâce au support d’experts externes en charge de l’implémentation d’une stratégie d’innovation à faible risque.