Ségolène Richardeau: «Faciliter le travail entre des équipes pour éviter les clivages entre elles.» (Photo: Julien Becker)

Ségolène Richardeau: «Faciliter le travail entre des équipes pour éviter les clivages entre elles.» (Photo: Julien Becker)

Si les entreprises demeurent prudentes quant à leurs embauches, la recherche de talents et la croissance naturelle – et heureuse – de certaines continuent d’alimenter un marché de l’emploi caractérisé par des changements importants ces dernières années. L’arrivée de la fameuse génération Y (population née entre 1980 et 1995) est en effet synonyme d’une autre approche du monde du travail, davantage fondée sur un équilibre entre la vie professionnelle et privée (la fameuse «worklife balance»), l’adhésion à de nouvelles valeurs via le travail (les projets CSR des entreprises en sont une des illustrations) ou encore une connexion de tous les instants (smartphone et réseaux sociaux font partie de leur quotidien). Ces trois caractéristiques, entre autres, propres à cette génération, se retrouvent aussi parmi leurs attentes principales vis-à-vis d’un potentiel employeur.

Question d’image

La maîtrise des réseaux sociaux et des moyens de communication des nouveaux collaborateurs, a fortiori chez les plus jeunes, les pousse en effet à se renseigner préalablement sur l’entreprise visée. Ce que d’aucuns dénomment «l’employeur branding» est donc très important. «Avec les outils numériques, le candidat a désormais tous les moyens pour obtenir des informations sur l’entreprise auprès de laquelle il postule, déclare Annie Elfassi, avocate à la Cour chez Loyens & Loeff et spécialiste du droit du travail. Il est donc important que l’entreprise se soucie de sa réputation, notamment sur les réseaux sociaux. Elle doit notamment être proactive en produisant un contenu informatif et en soignant son image.» Nombreuses sont donc les entreprises qui ont créé – parfois à contretemps – leurs propres pages Facebook et LinkedIn, pour ne citer que ces deux réseaux sociaux. Mais la jeune génération étant habituée à discerner l’information de la communication corporate, les entreprises tiennent avant tout à faire jouer l’effet «d’ambassadeurs» en utilisant comme moyen premier de propagande et de valorisation de leur image la satisfaction que témoignent, le cas échéant, leurs employés. «L’entreprise que l’on recommande n’est pas forcément l’entreprise qui nous rémunère bien ou dans laquelle on peut faire une carrière impressionnante à force d’engagement, ajoute Véronique Hoffeld, avocate à la Cour chez Loyens & Loeff et membre du management committee du cabinet. Les salariés recommandent plutôt des entreprises qui rassurent et considèrent les salariés en tant qu’individus et pas seulement en tant qu’employés.»

Et comme l’identité de l’entreprise ainsi que son climat de travail sont souvent liés à son patron, la réputation de celui-ci, les valeurs qu’il véhicule et sa manière de concevoir le travail ne sont pas à négliger. Chez certains, la bonne ambiance dans les bureaux et entre collègues est d’ailleurs clairement mise en avant. «La bonne humeur porte la performance», déclare Dominique Roger, country manager de ALD Automotive. Si le dirigeant assume cet état d’esprit, c’est qu’il souhaite naturellement qu’il percole via ses managers à tous les échelons de la société. Au-delà de la particularité, cette notion révèle le besoin des employés de vivre une véritable expérience au travail, au-delà du simple accomplissement d’une mission. L’enjeu est de taille pour recruter les talents, le moment venu. «Si l’entreprise est reconnue comme un endroit idéal où il fait bon travailler, celle-ci pourra aussi attirer et retenir des personnes de valeur, ajoute Véronique Hoffeld. Dans sa démarche pour devenir un employeur de choix, l’entreprise en question devra songer à offrir certains avantages complémentaires à l’offre salariale.»

À la carte

Si les avantages extralégaux sont désormais nombreux (chèque-repas, prise en charge des frais relatifs à une formation, conciergerie...), les attentes varient selon le type de poste occupé au sein d’une entreprise.

Pour les ouvriers et les salariés, une meilleure rémunération et des avantages sociaux accrus sont les priorités. «Pour les cadres, un meilleur environnement professionnel, un travail motivant, un package salarial incluant tous les avantages en nature, la flexibilité du travail et le sens des responsabilités restent des points importants», précise Annie Elfassi. Outre le catalogue que pourra composer chaque entreprise, c’est plutôt le mode d’accès aux avantages qui semble important. Le mode «sur demande ou à la carte» laissant le libre choix à l’employé de disposer de tel ou tel avantage extralégal est en effet en passe de devenir l’un des éléments clés pour séduire des recrues ou s’aligner sur les concurrents. Les standards que sont devenus les chèques-repas, le téléphone et, dans nombre de cas, la voiture de société ont ainsi laissé la place à une liste potentiellement infinie. D’où le besoin d’effectuer des arbitrages réguliers entre les responsables des ressources humaines et la direction. «La direction attache une grande importance à l’humain, c’est pourquoi, en tant que responsable ressources humaines, je suis pleinement impliqué dans la gestion des projets internes et consulté dans le cadre des décisions stratégiques du cabinet», déclare Benjamin Bonvalot, senior HR officer chez Atoz.

Pour une entreprise du secteur financier, s’adressant notamment à des jeunes, la notion d’intégration sera particulièrement importante. Dans ce cas aussi, la liste des événements ou actions possibles est indéfinie. Le social event, comme beaucoup d’entreprises le décrivent, continue d’être prisé. On apprécie ainsi de se retrouver entre collègues autour d’un verre après le travail, qu’il s’agisse d’une festivité chapeautée par la société ou non. Outre l’aspect festif, cet acte vise à prolonger le sentiment d’appartenance à la communauté de l’entreprise que les employeurs souhaitent forger via des valeurs, aux côtés de celles que ces jeunes employés emportent forcément dans leur attaché-case ou leur appareil numérique. L’émergence d’équipes en charge de la formation et du développement au sein des ressources humaines en est le reflet, tout comme la mise en place de concepts de formation inculquant les valeurs de la société. «Tous les nouveaux membres qui intègrent notre cabinet sont conviés à un séminaire d’intégration en extérieur au cours duquel les associés présentent l’Atoz Fabric (un modèle d’intégration développé par la société, ndlr) afin que tous adhèrent à la charte et aux valeurs du cabinet, ajoute Benjamin Bonvalot. Au travers d’activités de team building, chacun pourra démontrer son adhésion à ces dernières.»

Recherche: évolution

Plus encore que les avantages, la perspective d’évolution et de formation est une des questions récurrentes lors d’un entretien d’embauche. Les employés souhaitant vivre une expérience globale sur le lieu de travail, leur volonté de bénéficier d’un encadrement personnalisé n’en est que plus importante. Même les grandes structures ont dès lors le souci d’accompagner l’évolution des collaborateurs dont les néomanagers, ces experts ou techniciens appelés à gérer une équipe. «Nous sommes à l’écoute de chacun des membres du cabinet afin de les accompagner dans leur carrière, c’est pourquoi nous nous efforçons de mettre en place des parcours de formation individualisés en fonction des besoins, précise Benjamin Bonvalot. Nous souhaitons également répondre aux attentes en termes d’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle de nos membres, via la mise en place d’un chemin de carrière optionnel repris dans l’Atoz Fabric.»

Mais la période de crise semble avoir changé la donne quant au type d’évolution possible. L’évolution hiérarchique ne serait plus le standard convenu, pour des raisons évidentes d’économie de moyens pour les sociétés, forcées de trouver d’autres pistes de développement individuel. «La baisse de croissance de l’économie a entraîné une baisse des évolutions verticales vers des progressions plus transversales, note Dominique Roger. Nous devons donc désormais valoriser de manière égale l’expertise et la faculté d’encadrer des équipes.» Contrairement aux années fastes, les collaborateurs ne doivent pas, de facto, espérer évoluer en fonction des grades hiérarchiques. Certes, certains juniors se retrouveront, un jour, en haut de la pyramide décisionnelle, mais d’autres seront amenés à emprunter le chemin de l’expertise, voire de la mobilité interne.

Nouvelles valeurs

Dans le souci de comprendre les nouvelles générations qui seront amenées à intégrer, un jour ou l’autre, le marché du travail, l’apprentissage offre d’autres perspectives. L’expérience pratiquée par certaines entreprises leur permet par ailleurs de faire collaborer différentes générations autour de projets communs.

«La prise en charge de jeunes étudiants nécessite un investissement de la part de l’employeur, mais le retour sur cet investissement est positif, tant pour l’entreprise que l’étudiant qui pratique, par exemple, des notions importantes de rigueur et de ponctualité», déclare Ségolène Richardeau, HR & quality manager chez ALD Automotive.

Montrer un visage humain, telle est l’une des caractéristiques de l’image que veulent diffuser les entreprises par le biais de leurs actions en lien avec leur domaine d’activité, mais qui s’inscrivent aussi de plus en plus dans la vie sociale via des actions CSR. Le recours à des crédits-temps pour réaliser un projet humanitaire sponsorisé par l’employeur ou un projet personnel démontre à cet égard la volonté croissante des employés de donner un autre sens à leur travail. Des entreprises l’ont compris en structurant leur approche CSR autour de fondations, par exemple. «Une des missions de notre fondation vise à apporter un soutien au pays en voie de développement via l’éducation, ajoute M.Bonvalot. Outre les événements sociaux et environnementaux, nous convions nos membres à intégrer des groupes de travail afin de les impliquer dans des projets humains et de les fédérer autour des valeurs de notre cabinet.»

Au-delà d’actions ponctuelles, les entreprises, et surtout celles qui évoluent dans un contexte international, font de la diversité une valeur transversale dans leur mode de gestion. Comme pour mieux marquer l’ouverture aux valeurs chères aux collaborateurs et aux cultures étrangères. L’exercice périlleux consiste à doter l’entreprise d’un socle de valeurs communes favorisant le travail en équipe et laissant une liberté suffisante aux individualités, susceptible d’enrichir le contenu du travail.

«Notre logique de diversité nous amène aussi à faciliter le travail entre des équipes pour éviter les clivages entre elles, ajoute Ségolène Richardeau. Nous avons ainsi rassemblé les collaborateurs en charge de la clientèle et des fournisseurs pour fluidifier leurs relations, avec beaucoup de succès.» Les messages envoyés vers l’extérieur ou les annonces réalisées lors d’un entretien d’embauche doivent correspondre à la réalité interne de l’entreprise.

Les générations actuelles, a fortiori les jeunes, étant amenées à composer avec la notion de flexibilité depuis leur entrée sur le marché du travail, elles savent par ailleurs manier la notion de mobilité, interne ou externe, suivant le niveau de satisfaction éprouvé à l’égard de leur employeur.

Créations

Effets collatéraux

Conciergerie, lavage de voitures surle lieu de travail, promotion sur des articles en magasin, réductions via une carte de fidélité… les avantages extralégaux dépassent désormais largement le triptyque voiture/chèque-repas/téléphone. La tendance du «shopping» parmi ces atouts qui sont, en quelque sorte, devenus des standards pour les plus grandes structures, a aussi entraîné des effets indirects positifs sur le marché du travail. Plusieurs structures ont ainsi vu le jour dans ce créneau, comme cette entité proposant une carte de réduction permanente auprès de différentes enseignes de la Grande Région via une participation financière de l’employeur. Ce qui représente un élément différenciateur en cas d’embauche d’un talent apporte aussi de nouveaux types d’emplois indirects. Les avantages des uns faisant le bonheur des autres. Un envol effréné des avantages extralégaux et autres services au personnel peut certes représenter un casse-tête pour les responsables des ressources humaines. Mais la bonne santé de ce marché de services annexes permet aussi de générer des emplois dont l’ensemble de l’économie a, plus que jamais, besoin.

Culture d’entreprise

Mesurer la satisfaction

Les responsables des ressources humaines souhaitant se positionner en véritables business partners, la mesure de la satisfaction des employés fait désormais partie de leurs actions. Les employés sont ainsi, plus ou moins régulièrement, sollicités via des enquêtes diligentées par l’employeur, mais menées, anonymement, par des organismes externes. Des actions régulières, fondées sur le mode participatif, voient aussi le jour et ambitionnent d’être le réceptacle des demandes des employés. Loin des «boîtes à idées» placées dans les cantines et peu utilisées. «Un sondage interne nous a indiqué que certains collaborateurs avaient le sentiment de ne pas participer au succès de l’entreprise, déclare Dominique Roger, country manager chez ALD Automotive. Pour remédier aux frustrations éventuelles, nous avons instauré une réunion mensuelle participative durant laquelle chacun peut débattre de problématiques rencontrées dans le cadre de sa pratique professionnelle.» Avec le suivi de ce type de discussions, l’employeur entend, par la même occasion, renforcer le sentiment d’appartenance à la société, qu’il s’agisse d’une filiale d’un grand groupe ou d’une PME locale.