La 9e chambre correctionnelle du tribunal d'arrondissement de Luxembourg a retenu la matérialité des faits reprochés et l'intention d'inciter à la haine des étrangers contre Pierre Peters. (Photo: Maison Moderne)

La 9e chambre correctionnelle du tribunal d'arrondissement de Luxembourg a retenu la matérialité des faits reprochés et l'intention d'inciter à la haine des étrangers contre Pierre Peters. (Photo: Maison Moderne)

Après avoir écouté le prononcé de la condamnation de Pierre Peters jeudi dernier, le prévenu et son avocate, Me Marguerite Biermann, restaient perplexes quant à la réalité de la peine infligée. La procureure d’État avait en effet requis six mois de prison ferme, entraînant exécution des 30 mois avec sursis prononcés en 2012 à l’encontre du récidiviste. Le prononcé indiquant huit mois de prison ferme laissait donc planer le doute.

La lecture du jugement dans son intégralité laisse de fait apparaître une réelle volonté du tribunal de sanctionner le prévenu pour des actes répétés. En arrêtant une peine de huit mois de prison ferme, le tribunal est allé, fait plutôt rare, au-delà des réquisitions de la procureure d’État. Une peine ferme qui a pour conséquence de faire sauter le sursis consenti pour les précédentes peines d’emprisonnement: Pierre Peters devra donc passer un peu plus de trois ans en prison.

«38 mois de prison ferme pour mon combat pacifique pour la liberté», a réagi l’intéressé dans un communiqué lundi soir, contestant une condamnation «alors que je me bats pour ma patrie, pour la conservation de l’espace vital naturel, pour ma qualité de vie, ma liberté, contre l’immigration de masse résultant de la politique du gouvernement, de l’Union européenne dans le cadre du système économique ultra-libéral au profit des grands groupes, multinationales et des lobbies financiers».

La condamnation du 26 mai 2016 entraîne un emprisonnement effectif de 38 mois.

Pierre Peters, fondateur du National Bewegong

«En 2012, j’ai été condamné en première instance pour des faits similaires à 30 mois de prison avec sursis», poursuit-il. «Par inadvertance, je n’avais pas fait appel de ce jugement. Comme ce sursis tombe avec la condamnation du 26 mai 2016, celle-ci entraîne un emprisonnement effectif de 38 mois.» Pierre Peters n’avait en effet pas jugé bon de s’adjoindre les services d’un avocat en 2012 et avait, par méconnaissance du droit pénal, laissé passer le délai de 40 jours pendant lequel il pouvait interjeter appel de cette condamnation.

Dernière pique du prévenu: «Tous les médias ont donc erronément publié ces faits» - en omettant de préciser qu’il n’était lui-même pas certain, avant réception du jugement, du nombre total de mois de prison ferme que cette nouvelle condamnation allait entraîner.

L’incitation à la haine établie

Le jugement, qui détaille l’argumentation juridique du tribunal, s’avère en tout cas sans équivoque. Les juges se sont penchés sur l’article 451-7 du code pénal qui sanctionne «quiconque (…) incite à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne, physique ou morale, d'un groupe ou d'une communauté». L’examen du tract rédigé par Pierre Peters donne à penser au tribunal que «les termes employés dans le dépliant, et notamment dans les passages litigieux, visent clairement des personnes en raison de leur appartenance à une communauté de personnes qui se distinguent par leur non-appartenance à la nation luxembourgeoise, en l’espèce les étrangers résidant au Grand-Duché de Luxembourg. Le prévenu rend les étrangers résidant au Grand-Duché de Luxembourg responsables de la destruction du pays, de l’augmentation du coût de la vie et du déclin de notre système scolaire.»

Le tribunal rejette la justification du prévenu selon laquelle il s’attaque à la politique d’immigration et non aux étrangers eux-mêmes. «Force est (…) de constater que [Pierre Peters] ne rend pas seulement la politique responsable des maux que connaît selon lui notre société, mais il rend explicitement les étrangers qui résident au Luxembourg responsables de ces maux. Selon lui, les étrangers seraient responsables du fait que les Luxembourgeois seraient expropriés et que les taxes augmenteraient alors que les étrangers consommeraient plus et produiraient plus de déchets que les Luxembourgeois.»

En distribuant ses dépliants, [Pierre Peters] a volontairement et consciemment incité la population à également ressentir cette aversion à l’égard des étrangers et a partant incité à la haine.

9e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg

Retenant de cette réflexion que «le message de [Pierre Peters] est clair: les étrangers n’ont pas leur place au Grand-Duché de Luxembourg», le tribunal confirme que les faits reprochés au revenu relèvent bien de l’incitation à la haine. Il ajoute que l’intention de faire naître un sentiment d'hostilité envers les étrangers est également présente. «En rejetant la faute exclusive des problèmes que connaîtrait notre société sur l’immigration et plus précisément sur les étrangers sans même envisager que les problèmes pourraient avoir d’autres causes, [Pierre Peters] a agi avec une volonté discriminatoire», et qu’«en distribuant ses dépliants, [il] a volontairement et consciemment incité la population luxembourgeoise à également ressentir cette aversion à l’égard des étrangers et a partant incité à la haine».

Quant à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui consacre la liberté d’expression, le tribunal rappelle qu’il prévoit des «restrictions» à celles-ci en tant que «mesures nécessaires (…) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui». En l’occurrence, le tribunal revendique son «ingérence» dans la liberté d’expression dans le «but de protéger la réputation et les droits d’autrui, à savoir des étrangers résidant au Grand-Duché de Luxembourg qui sont précisément attaqués par les propos discriminatoires de [Pierre Peters]».

Le tribunal a donc balayé les arguments de la défense, même s’il ne s’est pas prononcé sur l’argument de Me Biermann selon lequel les écrits de Pierre Peters entraient dans le «libre jeu politique» reconnu par la Cour de Strasbourg. Le militant a 40 jours à compter du prononcé pour interjeter appel. Son avocate avait assuré la semaine dernière qu’ils iraient «jusqu’à Strasbourg» pour défendre leur cause.