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Depuis quelques mois, la création d’un nouveau statut, devant permettre aux sociétés d’assurance d’externaliser une partie de leur activité dans un cadre réglementé, est en gestation. Accouchement prévu avant la fin de l’année.

A l’occasion de la prochaine réunion du Haut comité de la place financière, à la fin du mois, le directeur du Commissariat aux Assurances, Victor Rod, présentera officiellement l’avant-projet de loi devant amener à la création du nouveau statut de Professionnel du Secteur des Assurances (PSA). Un texte qui est destiné à être introduit, au plus vite (sans doute avant la fin de l’année 2011), dans la législation luxembourgeoise et qui, quelque part, constitue presque une mini-révolution au sein d’un secteur généralement très conservateur. Car il n’était guère enclin, jusqu’à présent, à «s’ouvrir» de la sorte vers l’extérieur, comme ont pu le faire les banques avec les Professionnels du Secteur Financier (PSF). «Nous avions, jusqu’alors, adopté une position plutôt tradition­nelle: celle de dire que toutes les fonctions requises devaient être réalisées à l’intérieur même des entreprises d’assurance», confirme M. Rod.

Pourquoi, dès lors, un tel revirement? La lame de fond législative et réglementaire, initiée par la cascade de mauvaises surprises qui a émaillé ces dernières années, depuis la faillite de Lehman Brothers, a radicalement changé la donne. Même si le secteur des assurances, généralement peu exposé aux actifs dits «toxiques», a globalement été épargné par le plus fort de la crise, il n’en reste pas moins qu’il doit lui aussi faire face à un resserrement de ses obligations. L’entrée en vigueur prochaine de la directive européenne Solvency II impose aux sociétés d’assurance et de réassurance un certain nombre de contraintes, généralement très lourdes à gérer et particulièrement coûteuses.

Mise en place de nouvelles procédures et systèmes, élaboration de modèles internes pour le calcul d’exigence de fonds propres… les charges incombant désormais aux assureurs et réassureurs prennent une ampleur telle que certains d’entre eux se trouvent confrontés à de sacrés casse-têtes, voire à des impasses financières. «Nous avons estimé utile de créer des organismes spécialisés qui pourraient, en partie, servir les entreprises d’assurance en externe, ou qui leur permettraient d’extérioriser certaines de ces fonctions pour des raisons de coût», résume Victor Rod. Cela est d’autant plus vrai que la quasi-totalité des entreprises d’assurance au Luxembourg sont de petite taille. Elles sont moins de dix à compter plus de 100 employés et aucune ne dépasse les 500 salariés.

Responsabilités conservées

Autrement dit, sans le bouleversement en cours depuis ces trois dernières années, il y a fort à supposer que ce statut de PSA n’aurait jamais vu le jour ou, en tous les cas, pas aussi rapidement. Du reste, le Commissariat aux Assurances a pris son temps pour bien ficeler son texte et faire en sorte que son adoption ne constitue plus qu’une formalité. Bon nombre de professionnels attendaient déjà une première mouture du texte à la fin du printemps dernier, mais l’autorité de surveillance nationale a multiplié les consultations et les échanges de vues jusqu’au début du mois de juillet.

Au final, le texte qui se profile devrait contenter tout le monde, dans un seul et même objectif: «rentrer dans un canevas plus structuré, tout en conservant une proportionnalité dans la taille en matière de réglementation et de tutelle», résume Jérôme Lecoq, tout récemment promu associé audit chez Deloitte, qui suit de près le dossier depuis le début en tant que spécialiste des questions d’assurance. «Il faut évidemment qu’il puisse y avoir un contrôle sur l’ensemble des intervenants et prestataires de services, qu’ils soient personnes individuelles ou morales.»

Ce statut de PSA concernera un certain nombre de métiers. Si la classification définitive n’est pas encore formellement établie, on sait déjà que les activités d’actuaires, de régleurs et gestionnaires de sinistres ou encore de gestionnaires de portefeuilles d’assurances seront directement concernées, en particulier dans les situations de run-off (d’anciens contrats souscrits concernant des produits qui ne sont plus commercialisés aujourd’hui).

Pour d’autres branches d’activité, comme la comptabilité, les réflexions sont encore en cours. De même, dans l’attente de la publication, attendue pour la fin de l’année, des mesures d’exé­cution de niveau 2 de la directive Solvency II, les exigences en matière de gouvernance auxquelles devront se sou­mettre les assureurs ne sont pas encore arrêtées. «Et parmi ces exigences, nous ne savons donc pas non plus quelles sont celles qui seraient susceptibles de faire l’objet d’une externalisation», remarque M. Rod. Il réfute néanmoins l’idée que tout puisse être externalisé. «Il faudra que les assureurs conservent, en leur sein, la maîtrise de leurs compétences cœur. Sans quoi, il y aurait un trop grand risque que la responsabilité, qui incombe à chaque dirigeant d’entreprise d’assurance, lui échappe. Il ne sera pas possible à un dirigeant d’une société d’assurance de décharger sa responsabilité sur un PSA auprès duquel il aurait externalisé une activité et qui aurait mal fait son travail.»

Pas question, non plus, de venir empiéter sur les catégories de PSF déjà existantes et dont le champ d’intervention avait été élargi au secteur de l’assurance. Les PSF de support (agents de communication à la clientèle, agents adminis­tratifs, opérateurs de systèmes informatiques primaires, opérateurs de systèmes informatiques secondaires et de réseaux de communication), notamment, garderont leur statut de PSF et resteront donc sous la surveillance prudentielle de la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF). «Nous n’avons évidemment aucune raison de multiplier les contrôles, indique M. Rod. Il s’agira plutôt de compléter des aspects qui ne sont pas couverts par le statut de PSF. Dans un premier temps, nous allons créer les fonctions, puis déterminer précisément quels seront les pouvoirs que le Commissariat aura à leur égard.»

Mutualisation

Même si, selon la formule consacrée, les performances passées ne préjugent pas des performances futures, le succès rencontré par le secteur de PSF laisse tout de même bon espoir que les PSA suivent une voie un tant soit peu similaire. Alors qu’en juillet 2010 il y avait 186 PSF recensés employant 10.200 personnes, la Place compte, un an plus tard, 197 sociétés occupant directement près de 12.000 personnes. «On ne sait évidemment pas encore si le statut de PSA aura un succès fou, mais il est évident que le cadre qui se profile répond à des besoins tangibles dans un secteur qui est challengé par rapport à l’évolution réglementaire et donc aux besoins de compétences et de ressources, indique M. Lecoq. Le succès qu’il connaîtra dépendra donc de l’utilisation que les acteurs en feront.»

On peut évidemment supposer que l’accès au statut de PSA nécessitera tout de même quelques contraintes très précises pour les acteurs qui postuleront. Le futur statut devrait évidemment prévoir des obligations de transparence par rapport à la structure de l’actionnariat, ou encore vis-à-vis de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, même si le secteur des assurances reste relativement épargné dans ce dernier domaine. «On peut aussi supposer qu’il sera exigé une organisation interne suffisante en termes de procédures, de comptabilité ou encore de conservation de documents, prévoit M. Lecoq. Et on peut aussi supposer que les risques de conflit d’intérêts seront surveillés de près.» Autant de règles prudentielles qui vont, évidemment, dans l’intérêt direct des clients de ces PSA (c’est-à-dire les assureurs) et donc, indirectement, des assurés.

Difficile, à l’heure actuelle, de se faire une idée du marché que représentent les futurs PSA. Les prestataires de services actuariels et de conseils ne manquent pas sur la Place. «Le conseil en général, ça ratisse large, remarque M. Lecoq. Mais il y a aussi la possibilité de regrouper et de mutualiser, à partir du Luxembourg, un ensemble d’activités pour le compte d’un même groupe ou, pourquoi pas, pour plusieurs.»

Si cette ambition, qui peut également se décliner à l’international, n’est sans doute pas la visée première de cette initiative, elle reste une option intéressante, comme le confirme Victor Rod. «En France, par exemple, il y a près de 2.000 mutuelles très régionales, voire locales, qui ont, elles aussi, les mêmes problèmes pour s’aligner sur certaines réglementations. On pour­rait très bien s’imaginer que certains PSA spécialisés en actuariat puissent offrir, depuis le Luxembourg, leurs services pour des clients établis ailleurs… C’est typiquement le genre d’activité qui n’a pas de frontière.»

Déjà aujourd’hui, et sans doute encore plus après 2013, lorsque la directive Solvency II sera entrée en vigueur, ce statut de PSA est très attendu par le marché. La minutieuse préparation du texte en amont laisse supposer que le parcours législatif du futur projet de loi ne devrait constituer qu’une simple formalité. Au point que les plus optimistes tablent sur une adoption du texte avant la fin de cette année.

 

Courtiers - Sous plus forte surveillance

La création du statut de Professionnel du Secteur des Assurances ne sera pas le seul mouvement législatif qui se profile dans le secteur. La profession de courtier devrait, elle aussi, voir quelques nouveautés introduites. Plus précisément, certaines des règles qui seront édictées pour les PSA seront étendues aux courtiers. «Actuellement, les courtiers ne sont contrôlés que lors de l’accès à la profession, note Victor Rod, le directeur du Commissariat aux Assurances. A l’avenir, nous voulons des contrôles en cours d’activité et surtout en matière de base financière pour laquelle il n’y a jusqu’à présent aucune exigence. Or nous savons qu’il y a de nombreux courtiers qui ne disposent pas d’une assise financière suffisante. La faillite d’un courtier pourrait nuire gravement à la réputation de la Place…»