Philippe Poirier: «Les dirigeants européens n’ont pas véritablement abordé les conséquences de ce scrutin.» (Photo: Olivier Minaire / archives)

Philippe Poirier: «Les dirigeants européens n’ont pas véritablement abordé les conséquences de ce scrutin.» (Photo: Olivier Minaire / archives)

Monsieur Poirier, ce jeudi a lieu le référendum britannique sur la sortie ou le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. En tant que politologue, sur quoi votre attention se porte-t-elle vis-à-vis de ce scrutin?

«À l’approche de ce rendez-vous, trois choses m’ont interpellé, à commencer par l’avalanche de sondages qui ont été réalisés, avec une fiabilité plus que douteuse pour beaucoup, même s’ils ont servi à alimenter le débat politique et ont été – dans un camp comme dans l’autre – utilisés pour mener la campagne.

Très difficilement comparables entre eux, et basés sur des techniques de recueil d’informations très différentes, ils ne permettent finalement pas de savoir réellement où on en est.

Ensuite, j’ai également observé un désalignement partisan, chez les conservateurs notamment, mais aussi auprès des autres partis et des syndicats, ainsi qu’une irrégularité des arguments – de part et d’autre encore – qui peuvent se compter par dizaines, sinon par centaines.

Enfin, je note aussi que les dirigeants européens n’ont pas véritablement abordé les conséquences de ce scrutin avec, en cas de ‘remain’, quelles suites seront par exemple données à la remise en cause fondamentale du Traité de Rome et de la libre circulation des travailleurs, et en cas de Brexit, quelle seront la durée et les objectifs des négociations qui devront être menées entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, et qui les mènera pour le Royaume-Uni.

Sur de nombreux points, nous n’avons rien entendu ou presque. Et cela fragilise l’Union européenne en tant que telle.

À court terme, il y a avantage aux eurosceptiques.

Philippe Poirier - enseignant et chercheur en sciences politiques

Ce référendum n’est-il pas déjà une victoire pour les eurosceptiques britanniques et, plus largement, européens?

«L’euroscepticisme progresse dans tous les États membres comme on a encore pu le voir récemment en Autriche il y a quelques semaines et en Italie ce dimanche.

À court terme, il y a donc avantage aux eurosceptiques.

Mais en cas de ‘remain’, ils ne pourront plus justifier de la sortie de l’Union européenne et devront rétablir leurs critiques de l’Union européenne dans le cadre même de cette union.

En cas de Brexit, il y aura des difficultés à court et à moyen termes. Avec notamment des pays comme le Danemark ou les Pays-Bas où il y aura une accélération des débats sur les distances à prendre, ou pas, avec l’Union européenne.

Quelles conséquences politiques une sortie du Royaume-Uni pourrait-elle avoir pour chacune des parties?

«Pour le Royaume-Uni, il devra d’abord gérer en son sein les relations entre ses nations membres qui auront voté pour ou contre le Brexit, puis gérer ensuite qui sera en charge de la gestion de cette sortie de l’Union européenne.

Il faudra aussi déterminer quel sera le statut du Royaume-Uni face à l’Union européenne et ce qu’il adviendra des contrôles aux frontières, à Calais et à Zeebruges notamment.

Pour l’Union européenne, nous allons voir quelle position adopteront l’Allemagne et la France, qui sont divisées dans leurs visions de l’Union européenne. Et se posera la question de savoir s’il faut accélérer l’Europe des cercles et des pays plus ou moins engagés en matière d’Europe.

Mais le Brexit représentera avant tout pour l’Union européenne un affaiblissement d’un dynamisme en place depuis les années 50. Et un signal négatif, d’autant qu’elle se trouve déjà dans une situation difficile en termes notamment de compétitivité économique.

Pour beaucoup d’États, quitter l’UE équivaudrait à un suicide.

Philippe Poirier, enseignant-chercheur à l'Université du Luxembourg

Y a-t-il un risque d’effet domino?

«Il faut être prudent là-dessus. Certes, il y a beaucoup d’États qui ont des critiques – parfois justifiées – sur l’Union européenne. Mais de là à choisir la voie britannique, à court terme je n’y crois pas. Pour beaucoup, cela équivaudrait à un suicide politique et économique.

Le meurtre de la députée Jo Cox peut-il avoir modifié la donne et contribuer à une inversion des intentions de vote?

«À en croire les sondages, chaque événement dans cette campagne a eu son influence sur les intentions de vote. Il devrait donc en être de même avec ce qui est arrivé à cette malheureuse dame. Ce sont surtout ceux qu’on appelle les 'indécis du remain’, qui avaient fini par douter de ce choix ces dernières semaines, qui pourraient à nouveau se mobiliser pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Ils représentent peut-être 2 ou 3% des électeurs, mais cela pourrait faire la différence. C’est une part qui pourrait être suffisante.

Quelles sont les prochaines échéances à surveiller pour l’Union européenne?

«Il va falloir surveiller ce qu’il va advenir du recours déposé par le FPÖ suites aux dernières présidentielles en Autriche, la situation du Portugal et de la Grèce dans la zone euro, ainsi que la situation politique en Pologne et en Hongrie, dans la poursuite de leurs réformes politiques qui font du bruit chez elles mais aussi au niveau de l’Union européenne.

Ei il ne faut pas oublier non plus la manière dont va évoluer la croissance de la zone euro, ainsi que la politique européenne en matière d'immigration et de stabilité.

Aux politiques de préciser où ils veulent aller et avec quels moyens.

Philippe Poirier, enseignant-chercheur à l'Université du Luxembourg

Comment l’Union européenne peut-elle faire pour redonner confiance à ses États membres et à leurs résidents?

«Il suffirait déjà d’un meilleur taux de croissance et de plus de créations d’emploi. Car c’est la crise et la faible compétitivité économique qui provoquent ces tensions dans l’Union européenne.

Aux hommes politiques également d’assumer leurs choix, de préciser où ils veulent aller et avec quels moyens!

Une réforme des institutions de l’Union européenne – critiquée à travers ce référendum ainsi que par les eurosceptiques - s’avère-t-elle selon vous nécessaire?

«Il n’est pas question de réforme institutionnelle puisqu’il n’y a pas d’accord là-dessus. En revanche, ces institutions pourraient utiliser les instruments qui sont à leur disposition comme le Traité de Lisbonne ou celui sur la stabilité, la coordination et la gouvernance économique.

Le Brexit ou le ‘remain’ vont de toute manière nous obliger à prendre notre destin en main et voir ce que nous voulons faire ensemble ou pas. Nous allons devoir discuter!

C’est un débat que nous aurions dû avoir il y a longtemps, avant l’euro, avant le traité constitutionnel européen.

La crise n’a jamais été aussi profonde. Pour preuve, le dernier Eurobaromètre indique qu’un tiers des Européens n’ont pas confiance dans l’Union européenne et qu’un tiers d’entre eux également se méfient de leur gouvernement et de leur parlement national.»