Un peu plus de 11 mois après son entrée en vigueur, quel bilan peut-on tirer de l’application de la «nouvelle» loi sur le reclassement professionnel?
Déjà réformée à plusieurs reprises, elle vise à proposer aux salariés «à capacité réduite», autrement dit qui ne sont pas à considérer comme invalides mais qui présentent une incapacité pour exercer leur dernier poste de travail, une affectation à un poste adapté dans leur entreprise – le reclassement interne – ou des mesures de réinsertion en dehors de celle-ci, en reclassement externe par l’intermédiaire de l’Agence pour le développement de l’emploi (Adem).
Par rapport à la situation qui prévalait jusqu’en 2015, plusieurs nouveautés ont été introduites dans le but notamment, via différentes mesures, d’accélérer les procédures, de mieux préserver les droits des personnes en reclassement externe et de créer les conditions nécessaires pour privilégier le reclassement interne. Sur ce dernier point, les entreprises sont désormais davantage mises à contribution, puisque le reclassement interne est aujourd’hui, si l’organe décisionnel qu’est la commission mixte de reclassement le décide, une obligation pour elles, à compter de 25 salariés contre 50 auparavant.
Cette mesure serait aujourd’hui synonyme de «difficultés», souligne le service juridique de la Chambre des métiers, qui fait part de problèmes pour certaines petites et moyennes entreprises (PME) «qui ont toutes les peines à appliquer la nouvelle législation». Il s’agit le plus souvent d’entreprises «ayant une activité très spécifique», poursuit la Chambre des métiers, citant parmi d’autres celles de la construction.
«Une société active par exemple dans les toitures et qui n’emploie que des couvreurs ne peut naturellement pas créer de poste aménagé pour procéder à un reclassement interne d’un salarié qui n’est plus capable de travailler sur un toit», insiste le service juridique, «et surtout si cette PME a déjà reclassé l’une ou l’autre personne sur des tâches administratives, puisque les reclassements déjà faits ou l’emploi de travailleurs handicapés ne sont pas pris en compte dans la loi actuelle.»
Le choix est tentant pour un employeur de licencier le salarié concerné avant d’entrer dans
la procédure.La Chambre des métiers
«Entre la possibilité d’être sanctionné pour licenciement abusif et la certitude de devoir payer les pénalités légales pour non-respect de l’obligation de reclassement interne, le choix est tentant pour un employeur de licencier le salarié concerné avant d’entrer dans la procédure», constate la Chambre des métiers, qui se dit consciente qu’il existe pourtant des aides et des prises en charge conséquentes, «mais que bon nombre de PME ne les utilisent pas faute de bien les connaître».
Cependant, elle ne voit pas que du négatif dans l’application de la nouvelle loi sur le reclassement professionnel, pointant différentes améliorations apportées par rapport à la situation antérieure. En rappelant que ce reclassement doit permettre à un salarié de faire face à sa maladie tout en travaillant, elle souligne le «gros travail» qui a été fait, notamment du côté de l’accélération de la procédure, «à la fois plus souple mais aussi plus adaptée au cas par cas» et qui a bénéficié d’une certaine simplification administrative.
Elle cite aussi, toujours en les saluant, les nouvelles règles en matière de réévaluation périodique de l’état de santé du salarié, le statut de «personne en situation de reclassement professionnel» permettant à une personne reclassée en externe de trouver un nouvel emploi tout en conservant ce statut avantageux, et l’obligation de disposer d’un examen médical d’embauche pour les salariés de moins de trois ans, véritable garde-fou contre ce qu’elle nomme «le tourisme social».
Du côté syndical, l’appréciation sur la nouvelle loi et son application oscille également entre satisfaction et mécontentement. Tant du côté de l’OGBL que du LCGB, on salue «toute une série d’améliorations» dont, encore une fois, l’accélération de la procédure, notamment grâce au fait que la médecine du travail puisse dorénavant elle aussi saisir la commission mixte (pour les postes de plus de 10 ans, classés à risque), comme était seul habilité auparavant le contrôle médical de la sécurité sociale.
Injustices
Les deux syndicats évoquent également comme «de bonnes choses» l’instauration d’un statut pour la personne en reclassement ainsi que la création d’une indemnité d’attente professionnelle — notamment pour les carrières mixtes — équivalente à l’indemnité de chômage, avec un bémol du côté de l’OGBL qui, par la voix de Carlos Pereira, membre du bureau exécutif, la considère comme «trop restreinte».
En revanche, la réévaluation des salariés se trouvant en reclassement externe poserait problème. «Un salarié en reclassement externe sous l’ancienne législation qui est aujourd’hui réévalué apte au travail n’a aucun recours contre cette décision, puisque la loi ne prévoit rien à ce niveau, même pas la possibilité d’une deuxième opinion médicale», explique Christophe Knebeler, secrétaire général adjoint du LCGB.
«À partir de cette décision, il n’a donc plus droit qu’à un an d’indemnités d’attente, période durant laquelle il doit retrouver du travail, avec toutes les difficultés que cela suppose, puisqu’il a le plus souvent un ‘trou’ parfois de plusieurs années dans son CV qui risque de ne pas être particulièrement bien vu par un potentiel employeur, poursuit le syndicaliste. Et bien que soient apparus entre-temps de nouveaux outils de réinsertion tels que le stage de professionnalisation ou le contrat réinsertion-emploi, il reste à voir dans quelle mesure ces instruments pourraient aider les personnes concernées dans leur recherche.»
En outre, si ce salarié veut contester cette réévaluation, il ne pourra introduire un recours que contre la Caisse nationale d’assurance pension (Cnap) quand elle lui aura signifié le retrait de ses indemnités – au bout d’un an toujours –, une procédure non seulement possiblement plus longue, mais aussi durant laquelle il ne pourra pas chercher du travail en prévision d’un éventuel rejet de son recours, puisque contestant son état d’aptitude prononcé par un médecin.
«Il y a donc de véritables risques pour que le salarié se retrouve dans une situation très compliquée qui pourrait mettre en péril son existence et celle de sa famille», ajoute Christophe Knebeler, évoquant dès lors «une zone grise» qu’il conviendrait de gommer au plus vite.
À celle-ci s’ajoute encore l’un ou l’autre dysfonctionnement et parfois même «une certaine forme d’injustice dans certains cas», ajoute enfin — autre observatrice avisée — le Dr Nicole Majery, directrice du Service de santé au travail multisectoriel (STM).
Elle épingle notamment le cas du reclassement en interne qui, lorsque prononcé par le médecin du travail – pour un poste à risque de plus de 10 ans –, contraint l’entreprise à se plier à cette décision, sans aucun recours possible. «Elle doit se débrouiller pour trouver une solution, quand bien même elle n’en a pas, puisque la loi ne prévoit aucune exception», explique le Dr Majery.
Pour un poste classique ou également à risque mais avec moins de 10 ans d’ancienneté, c’est le contrôle médical qui se prononcera avec – pour une pathologie identique – la possibilité cette fois pour l’entreprise de refuser l’aménagement ou la création d’un poste, à condition pour elle de pouvoir justifier d’un préjudice grave.
Cela équivaut donc – en quelque sorte – à deux poids, deux mesures.
Dr Nicole Majery, directrice du Service de santé au travail multisectoriel (STM)
«Cela équivaut donc – en quelque sorte – à deux poids, deux mesures», note la directrice du STM, soulignant en outre et comme la Chambre des métiers que le reclassement en interne peut s’avérer extrêmement compliqué pour les PME d’au moins 25 salariés, ou celles exerçant une activité bien particulière, comme le transport de personnes par exemple.
Et le Dr Majery de citer enfin un autre cas «malheureux» découlant de la loi lorsqu’un salarié employé depuis moins de trois ans dans une entreprise tombe malade. Pour pouvoir être éligible à un reclassement, il devra pouvoir faire part d’une déclaration d’aptitude à l’embauche consécutive à une visite médicale préalable. «S’il ne dispose pas de cette déclaration d’aptitude, faute de visite médicale, la commission mixte lui refusera d’office cette possibilité de reclassement», poursuit Mme Majery. «Or, l’organisation d’une visite médicale est une obligation pour les employeurs, que certains encore ne respectent pas. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour le seul salarié, injustement pénalisé.»