Le couple grand-ducal Henri et Maria Teresa à la mairie de Toulouse le 21 mars. À leurs côtés, le ministre de l’Économie, Étienne Schneider, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, et le secrétaire d’État français auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne. (Photo: SIP / Charles Caratini)

Le couple grand-ducal Henri et Maria Teresa à la mairie de Toulouse le 21 mars. À leurs côtés, le ministre de l’Économie, Étienne Schneider, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, et le secrétaire d’État français auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne. (Photo: SIP / Charles Caratini)

La première visite d’État du Grand-Duc en France depuis 1978 – ses accueils et réceptions protocolaires, ses dîners de gala, ses forums économiques et ses visites du campus de start-up Station F à Paris, puis du Centre national d’études spatiales et de la chaîne d’assemblage d’Airbus à Toulouse – a été quasiment éclipsée par les accords signés par les gouvernements français et luxembourgeois lors du premier «séminaire intergouvernemental», organisé le 20 mars à Matignon, qui a réuni 8 membres du gouvernement luxembourgeois et 11 membres du gouvernement français, dont le Premier ministre, Édouard Philippe.

Un nouvel accord de non double imposition qui ne fait pas l’unanimité au Luxembourg, un accord de coopération administrative contre le dumping social dans le domaine du détachement des travailleurs, un protocole additionnel relatif à la coopération scientifique et universitaire et un accord pour cofinancer des projets censés améliorer la mobilité des frontaliers de France... et pour couronner le tout, un protocole d’accord qui renforce la collaboration avec Airbus dans les domaines de la cybersécurité, des drones et des technologies spatiales, signé le 21 mars à Toulouse.

Les représentants des deux États se sont félicités – le contraire aurait été surprenant – des bonnes discussions avec leurs homologues. En revanche, les deux parties n’ont pas pu – ni même voulu – cacher certaines divergences.

Pour commencer, il y a la centrale nucléaire de Cattenom. Le gouvernement luxembourgeois la verrait bien fermée pour de bon et propose de cofinancer des centrales d’énergie renouvelable transfrontalières. La France ne renoncera toujours pas à sa filiale nucléaire, domaine dans lequel elle occupe une place sur le podium mondial, générateur important d’emplois et de recettes.

Nous avons besoin des frontaliers et les frontaliers de nous.

François Bausch, ministre du Développement durable et des Infrastructures

Il y a aussi la fiscalité ou la «compensation financière» espérée par le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, durant la visite, mais que le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel (DP), balayait d’un ton provocateur sur RTL le soir même: «Je n’ai pas envie de payer la décoration de Noël d’un maire.» 

Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn (LSAP), a expliqué, lui, que le Luxembourg proposerait une «enveloppe» pour cofinancer des projets précis, plutôt que de simplement verser de l’argent à la Lorraine. «Nous avons besoin des frontaliers et les frontaliers de nous», a pour sa part déclaré François Bausch (Déi Gréng) le lendemain, lorsqu’il a détaillé les intentions du gouvernement luxembourgeois en matière de mobilité des frontaliers. Le ministre du Développement durable avait signé l’accord qui prévoit le cofinancement de projets dans le ferroviaire à hauteur de 220 millions d’euros au total et de 20 millions d’euros dans le covoiturage. Et ce jusqu’en 2028.

Plus que des voisins, mais des voisins quand même

Pour ce qui est de la politique européenne, on a assisté à un revirement un peu surprenant: la France s’est ralliée – apparemment pendant la visite d’État – au Luxembourg pour demander que les services financiers fassent partie des «orientations» de l’Union européenne en ce qui concerne le Brexit. En d’autres termes, le Luxembourg a protégé, selon Xavier Bettel, sa place financière dans les négociations sur une future relation entre l’UE et le Royaume-Uni.

Ce geste n’a néanmoins rien changé au «scepticisme» du Luxembourg face à la taxe «provisoire» du commissaire français, Pierre Moscovici, et soutenue par la France. L’imposition des géants du numérique n’aurait le feu vert du Luxembourg qu’une fois que les États membres de l’OCDE se seront mis d’accord, a expliqué le ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP), dès le premier jour de la visite. La Grande Nation serait «un peu réductrice», a constaté le Grand-Duc Henri, alors que la visite d’État en France touchait doucement à sa fin. Le jour avant, le Premier ministre luxembourgeois avait estimé que les relations seraient désormais meilleures, maintenant qu’Emmanuel Macron est président de la République, car auparavant les politiciens français auraient souvent «contourné» ou « évité » le Grand-Duché.

90.000 frontaliers

La perception luxembourgeoise est néanmoins aussi réductrice quand ses représentants vont promouvoir un pays et une économie diversifiés, dynamiques et innovateurs auprès d’un pays qui est 270 fois plus grand et qui compte plus de 100 fois plus d’habitants. Cette perception est peut-être tout simplement différente, car pour Paris, 90.000 frontaliers, c’est quelque chose, mais pour le Grand-Duché, c’est énorme.

Le problème se situe peut-être un peu là. En France et au Luxembourg, on ne se met pas (ou plus) à la place de l’autre.