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Le marché de l’emploi remonte la pente façon sortie de crise. Mais les responsables de ressources humaines agissent prudemment. Le temps de l’euphorie a vécu. Les bonnes pratiques avancent à découvert.

Des airs de sortie de crise… Tel le cycliste dans une étape de montagne, l’entreprise change de braquet pour gérer les pentes et reprend des forces avant d’attaquer le prochain col. Et le marché de l’emploi bouge de nouveau.

«Oui, cela a bien repris», confirment, chez EFA (European Fund Administration), Emile Lutgen, DRH et membre du comité de direction, et Nathalie Bourdeau, deputy head of HR. La firme, spé­cialisée dans les services aux fonds d’inves­tissement, s’est mise à recruter de manière plus importante ces derniers mois, après une période calme.

«Au cœur de la crise, nous n’avons pas procédé à une réduction significative d’effectifs. Nous avons adapté notre comportement», souligne Emile Lutgen. Frédéric Du Jardin, HR manager de la société de services informatiques Sogeti, souligne pour sa part que le marché présente des perspectives économiques intéressantes. «Nous avons, depuis le début de l’année, engrangé quelques beaux succès commerciaux. Le recrutement de bons profils est une priorité de 2011.»

Evidemment, tous les secteurs ne réagissent pas de la même façon. Néanmoins, Paul Feider, directeur administratif et financier en charge des RH dans le groupe de construction et d’immobilier Felix Giorgetti, observe lui aussi un redémarrage manifeste. «La crise, que nous avons traversée sans licencier personne, avait mis fin au recrutement chez nous, témoigne-t-il. Le carnet de commandes actuel oblige par contre à recruter à nouveau. Depuis quelques mois, nous avons recours à l’intérim pour compléter notre force ouvrière. Et nous avons recruté une dizaine de personnes pour l’encadrement», dans un groupe qui compte un millier de salariés, dont environ 150 cadres…

Chez ArcelorMittal, Valérie Massin, coordinatrice RH, adopte une attitude prudente: «Mais on peut dire que le plus dur est derrière nous. On remonte tout doucement.»

En fait, la crise s’est révélée être un test probant pour les DRH, non seulement pour passer le cap, mais aussi pour préparer à déployer de nouveau la voilure, une fois la tempête calmée et le vent propice. Chez EFA, on a favorisé la mobilité interne, les CDD, les crédits-temps… «Et nous avons impliqué le personnel dans le processus. Sur la Place, cela s’est su et cela a manifestement contribué à notre réputation d’entreprise avec des valeurs. Cela favorise notre recrutement aujourd’hui», note Nathalie Bourdeau.

«Il n’y a pas eu de licenciement sec, pointe Valérie Massin. Via la CDR (cellule de reclassement, ndlr.), ArcelorMittal a joué sur les réaffectations prioritaires en interne. Cela reste vrai, mais nous avons aussi des besoins en profils qualifiés que nous continuons à chercher à l’extérieur.» Paul Feider a aussi anticipé: «Nous avons profité d’un marché relativement tranquille pour privilégier un recrutement de qualité.»

Exigences à la hausse

C’est peut-être là le premier levier d’un changement d’attitude du petit monde des RH, empreint de moins d’agitation que par le passé. «Le recrutement est plus ciblé et correspond à des besoins plus pointus, résume Emile Lutgen. Nous avons haussé le niveau d’exigences, nous cherchons davantage de gens expérimentés, très bien formés dans des domaines précis et avec des compétences spécifiques. En résumé, des perles rares. Le marché me semble beaucoup plus sain: nous ne recevons pas des tonnes de candidatures, mais nous en recevons de bonnes.»

Chez Giorgetti, on dit aussi chercher uniquement des gens d’expérience, bien formés et avec au moins cinq ans de pratique. «Evidemment, tout le monde en cherche, mais nous arrivons à convaincre parce que nous avons mis en place une structure fonctionnelle et attractive», précise Paul Feider. Dans son domaine, Sogeti a pris le pari de se tourner, de plus en plus, vers le recrutement de jeunes talents. «On essaie de se distinguer en leur offrant, le plus souvent, une formation poussée dès les premières semaines, appuie Frédéric Du Jardin. On l’a fait par exemple avec la Windows 7 Academy, début d’année.»

Dans tous les cas de figure, la stratégie RH semble avoir clairement évolué, à la fois dans la manière d’appréhender le recrutement et dans la façon d’impliquer les collaborateurs, présents et à venir. «Nous favorisons le recrutement direct au travers de nos HR business partners», confirme M. Du Jardin. Sogeti contacte directement les candidats, se montre très présent dans les événements comme le salon Moovijob. «Nous accordons également une place très importante à la cooptation, qui reste notre canal principal de recrutement. Et nous en sommes particulièrement fiers.»

Etre vu en tant qu’employeur est un atout évident. «Nos clients sont les institutions financières. Nous ne sommes pas une ‘marque connue’ comme peuvent l’être des grands de la Place, glisse Mme Bourdeau (EFA). Alors nous allons aussi vers les écoles, dans les forums, les salons. Nous recevons des stagiaires, une vingtaine par an, auxquels nous proposons des contrats de plusieurs mois, rémunérés et adaptés à leurs besoins. Il y a une forme de sélection organisée, avec les écoles, frontalières notamment, dont sont issus nos collaborateurs.» Mme Massin (ArcelorMittal) valide cette option: «Nous avons également un tissu de relations avec les grandes écoles et les organes de formation de la Grande Région, en plus de notre centre de formation scolaire à Differdange.» Le groupe sidérurgique a, de fait, des besoins précis: des profils qualifiés dans la maintenance – électriciens, soudeurs, hydrauliciens… – et il reste délicat de recruter de jeunes ingénieurs universitaires en métallurgie, a fortiori disposant d’une maîtrise des langues. Le géant sidérurgiste doit encore se montrer convaincant, même pour des profils de cadre toujours recherchés. A la mobilité interne, il ajoute ses atouts d’entreprise multinationale, en prônant des échanges internationaux.

Face à leur marché et à leurs besoins, les entreprises se remettent en cause. «Avec l’agrandis­sement du groupe, nous avons formalisé un concept intuitif, commente M. Feider (Felix Giorgetti). Giorgetti, c’est une famille à la base et on tient à préserver ce schéma. Notre organisation doit être flexible, pour que l’on s’adapte en permanence au marché. Depuis un an, nous avons redessiné la structure, pas dans le sens d’un organigramme hiérarchique, mais dans une logique fonctionnelle, flexible, transversale.» L’idée centrale est un partage des responsabilités par métier, à chaque fonction de l’entreprise. «C’est une vision qui passe bien, tant chez les anciens de la maison que chez les nouveaux.» Cette approche transversale a permis de recruter juste et explique pourquoi, à côté d’un service du personnel chargé de la gestion courante, il n’y a pas de DRH attitré chez Giorgetti. «On veut éviter l’écran entre le salarié et le chef de service, voire le patron. Les portes sont ouvertes.»

L’employeur a bel et bien ses entrées. Et le comportement des salariés ou des candidats a probablement évolué aussi. «Le marché de l’emploi a retrouvé un certain goût du risque, bien calculé, pour les profils les plus intéressants, observe Mme Bourdeau. La tendance était à s’accrocher à son siège. Le calme est revenu et les employeurs ont dévoilé leur façon de faire, alors les candidats n’ont plus peur de faire un pas vers des employeurs intéressants.»

Des profils en or

Globalement, les DRH s’accordent sur le sujet: le marché s’est assaini, on n’est plus dans une course folle, irrationnelle. Il y a eu le temps des vaches grasses, où tous les profils étaient bienvenus parce qu’il y avait une forte demande. Puis des temps de crise. Maintenant, le recrutement est à la fois plus sage, plus raisonné et plus ciblé.

A-t-on changé de méthodes pour autant? Sur les processus, EFA préfère garder la main en interne. «Autant on peut sous-traiter une gestion des salaires par exemple, autant nous pensons qu’il faut garder une gestion RH sous contrôle, témoigne M. Lutgen. Le recrutement passe donc quasi exclusivement par nous.»

Les outils sont, dans l’immense majorité des cas, les plates-formes spécialisées, Monster pour le Luxembourg ou, sur la France, le portail e-financialcareer. «Nous nous posons la question de l’utilisation formalisée des réseaux sociaux qui, à l’évidence, seront ‘the place to be’ demain.» En fait, les méthodes dépendent des profils recherchés. EFA, comme d’autres sur la Place, se dit très ouverte aux profils comme les comptables spécialisés, surtout en hedge funds, les analystes financiers, pour le private equity notamment, les auditeurs internes, la compliance. Pour l’IT, c’est parfois un peu plus difficile, dans des profils de chef de projet, de gestion documentaire… Les candidats expérimentés valent de l’or.

Quelle place prennent, dans tout cela, les professionnels du recrutement? «Nous sommes fortement sollicités par les cabinets externes, admet M.  Du Jardin. Mais nous n’envisageons d’y recourir qu’à titre exceptionnel.» Approche similaire pour Giorgetti qui, jadis, a utilisé à grande échelle ce type de services. M. Feider l’explique simplement: il avait un contact personnel dans un cabinet, avec quelqu’un connaissant parfaitement le secteur et ses besoins. «Cette personne n’est plus là, le service n’est pas du tout le même. Preuve supplémentaire que les qualités sont humaines avant tout! Des cabinets nous contactent encore. S’ils pensent avoir quelqu’un d’intéressant à proposer, on verra. Mais je le dis très clairement aux recruteurs: ne m’envoyez pas n’importe qui!»

ArcelorMittal travaille dans une relation de confiance avec des partenaires de longue date. «Il faut qu’on se connaisse bien et surtout que ces professionnels maîtrisent bien nos métiers et nos exigences», souligne Mme Massin.

Même raisonnement chez EFA, qui a pris quelque distance. «Après certains cas malheureux, nous avons qualifié les recruteurs, selon une grille de valeurs. Nous ne travaillons plus qu’avec un nombre restreint d’entre eux, dans un partenariat installé sur la durée», dit Mme Bourdeau. Quant aux chasseurs de têtes, éventuellement sollicités pour le senior management, EFA dit y avoir recouru une demi-douzaine de fois en une quinzaine d’années.
Les exigences, en termes de qualité de services et de bonnes pratiques sur le marché de l’emploi, ont manifestement évolué. Pour Sogeti, c’est clair: «Nous recherchons des candidats de talent afin de bâtir sur le long terme. Nos processus de recrutement sont stricts et estampillés ISO 9001.»

Contrat de confiance, constat de méfiance

De l’avis général, le marché, sorti de l’euphorie, se place donc dans une perspective raisonnable, de longue haleine. La période du carrousel et de la fuite en avant vers le mieux-disant semble révolue. «D’anciens collaborateurs, qui avaient un temps pris leur envol, reviennent vers nous, constate-t-on chez EFA. Et nous n’y sommes pas fermés. Les notions de contrat de confiance et de valeurs de l’entreprise ont repris du sens et cela nous convient bien.»
Mais, si l’on n’est plus dans l’euphorie, il faut pouvoir éviter les éventuels pièges d’un redémarrage du marché de l’emploi, peut-être un peu dopé par les prémices de sortie de crise. Nathalie Bourdeau et Emile Lutgen, constatant que des personnes se sont dangereusement rapprochées du seuil d’inemployabilité, aimeraient éviter de laisser du monde au bord du chemin. «Cela commence dans l’entreprise, qui a besoin de dynamisme, de formation, de flexibilité, de mobilité interne. Ce n’est pas toujours simple à faire passer comme message parce qu’il y a souvent une tendance naturelle à garder ses acquis. Mais nous prônons le développement personnel, l’évolution, l’ajout de cordes à son arc. On a trop vu de gens monocordes…»
Selon Paul Feider, il faut d’abord bien réfléchir sur ses besoins et avoir évalué toutes les solutions avant de se lancer dans un processus de recrutement. «Aujourd’hui, il y a parfois quatre ou cinq entretiens avant la signature du contrat. On veut être sûr de miser sur une personne qui va s’inscrire dans notre culture d’entreprise, dans notre vision. Et nous voulons que la relation s’installe à long terme.»

Frédéric Du Jardin conclut, en forme de douche réaliste: «Le piège? C’est de croire que la reprise est là avant qu’elle se confirme réellement avec le recul. Si vous regardez en arrière, les prévisions de fin 2009 étaient optimistes. Or 2010 a été une année très difficile.»

 

Embauches - 2011, odyssée en l’espèce

Quelques données éclairent le propos: en 2007, EFA avait recruté 190 personnes, 139 encore en 2008, puis 34 en 2009 et 29 en 2010. La tendance de 2011 est légèrement à la hausse, avec déjà 15 recrues sur les cinq premiers mois et quelques postes vacants, dans une société de la Place qui compte près de 540 collaborateurs… Le secteur financier, surtout dans les activités de back-office, a repris sa quête de bons profils. Même si le discernement vise plus la qualité que la quantité et enlève à l’odyssée du recrutement le côté aventureux qu’elle a pu avoir par le passé. En l’espèce, il n’est pas le seul pan de l’économie du pays à attirer du personnel dans ses – plutôt confortables – filets.
Chez Sogeti, un des acteurs IT qui a le vent en poupe, Frédéric Du Jardin confirme: «Au vu des perspectives objectives du marché, nous avons recruté près de 60 personnes entre janvier et mai. Cela correspond à peu près au volume total de recrutement de 2010. Mais notre objectif est bien plus ambitieux encore, car ce ne sont pas moins de 140 collaborateurs que nous entendons recruter sur l’année.»

Méthodes - Un CV qui ne trompe pas

Paul Feider est un fervent du courrier traditionnel, «avec CV bien rédigé et photo, accompagné d’une lettre de motivation circonstanciée. Je n’aime pas du tout le côté impersonnel et circulaire que l’on retrouve sur les sites comme Monster et cie. Je fais très attention aux lettres de motivation, qui dégagent une impression favorable et montrent une envie réelle de travailler chez nous plutôt qu’ailleurs. C’est le critère de base pour accorder un entretien.» Sur le nouveau site web de Giorgetti, il sera précisé, à côté des offres d’emploi, que les candidatures sont à envoyer obligatoirement par courrier postal…
Mais si le besoin existe, il faut d’abord regarder en interne. «On ne peut pas courir le risque de décevoir un salarié de la maison qui aurait pu prétendre au poste et se le verrait souffler par une personne extérieure.» Ensuite seulement, si la solution externe s’impose, on passe une annonce. Et on se donne le temps de recruter juste. «Il faut avoir prévu suffisamment tôt et bien ciblé ses besoins en recrutement. Une embauche ne se fait pas à la légère. En soi, recruter est facile, alors que licencier est pénible.Il ne faut donc pas se tromper.»