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Le Berlaymont, siège de la Commission européenne à Bruxelles. 

Mifid II (Markets in Financial Instruments Directive) sera votée ce mardi au Parlement européen, soit la deuxième mouture d’un texte-cadre pour la pratique des métiers financiers en Union européenne.

Mifid, en vigueur depuis le 1er novembre 2007, sera remplacé (sauf circonstances imprévisibles et improbables) dès demain au niveau européen par un nouveau texte, suite à un vote de validation à la dernière session du Parlement avant les élections européennes.

En pratique il faudra attendre la seconde moitié de 2016 et les nombreuses mesures techniques qui vont l’accompagner pour le voir implémenté dans les institutions financières, mais une version brute de décoffrage sera disponible sous peu, je vous invite à en découvrir les points clés.

Mifid II n’est pas constitué d’un texte, mais de deux; d’une part une réglementation européenne qui a pour principale caractéristique d’être applicable sans aucune intervention des États membres et d’autre part une directive européenne qui devra passer les «tests» d’implémentation nationaux, avec les risques classiques de retard. Si la directive concerne de vastes pans de l’activité d’investissement avec, entre autres, les licences octroyées aux institutions, leur organisation, la gouvernance (thème touchant particulièrement les acteurs luxembourgeois), les deux sujets qui font peur sont les nouvelles règles en matière de rétrocession et les nouvelles classifications des produits complexes et non complexes.

Titres de fonds Ucits = non complexe

Commençons par ces derniers (article 25), car ils sont, comme leur nom l’indique, plus simples. Aujourd’hui sous Mifid I les actions et obligations de fonds (Ucits) sont non complexes: un client peut «sans intervention» de son institution financière les acheter ou les vendre, de la bourse de Luxembourg à celle de Corée en passant par les USA. Demain sous Mifid II les institutions devront différencier les marchés similaires aux marchés UE des autres. En théorie, une action cotée aux États-Unis sera non complexe et une coréenne probablement complexe. Pour le Luxembourg le problème se situera au niveau des fonds (Ucits) qui feront l’objet d’une distinction complexe/non complexe en fonction de leur statut PRIPs (structuré ou non). Quoi qu’il en soit il faudra réviser les bases de données titres.

L’autre point de contentieux est l’approche plus invasive, sur base du modèle anglais ou hollandais, vis-à-vis des rétrocessions (article 24). En effet, Mifid II prévoit une interdiction de recevoir des rétrocessions si l’on se positionne au niveau de l’institution financière comme «indépendante», selon l’idée «mets ton argent où sont tes mots», cette interdiction sera également valable pour les mandats de gestion selon la logique que si le client a donné les pleins pouvoirs, il doit être intégralement protégé. C’est sans doute le principe de la fausse bonne idée, au moins à court terme. En effet la règle ne porte pas sur la qualité du conseil, ni sur le champ de produits offerts, mais sur le fait que l’institution se présente comme indépendante.

Aujourd’hui l’accord tacite est que la clientèle espère trouver un conseil «gratuit» auprès de son institution et qu’en échange elle achète un produit financier. Demain ce conseil sera payant. Qui payera 50, 100 ou 200 euros pour une heure de conseil là ou jusqu’à présent on ne payait rien et pour en prime voir les marchés pédaler à contre sens? Inutile de préciser que ceci est un challenge tant pour l’industrie financière que pour une large proportion de clients.

Une bonne nouvelle toutefois: le conseil «commercial», donc non déclaré indépendant, resterait peu ou prou tel quel.
Bien qu’en général moins discuté au Luxembourg le sujet Mifir - où le R, signifiant règlement… et donc une application sans intervention des États membres - risque d’apporter son lot de surprises. Pas toujours bonnes. Comme on le sait depuis Dante, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Ici il s’agit de l’idée louable d’améliorer la transparence des marchés financiers. La Commission européenne a décidé d’appliquer la même transparence pre-trade et post trade à tous les marchés d’instruments en utilisant le modèle des actions (transactions nombreuses, mais généralement de petite taille).

Cauchemar pour les petites et moyennes institutions

Ces modèles seront valides non seulement pour tous les instruments, obligations, dérivés, certificats… mais également pour toutes les plateformes y compris les institutions traitant comme contrepartie directe de leurs clients, un modèle très courant dans l’obligataire ou dans le contexte de produits structurés. Cela veut dire en pratique : pré-cotation lors d’un échange, justification du prix comparativement au marché (application des règles de «best execution») et publication via un organe centralisateur des informations une fois la transaction exécutée. Pour garantir cette pré-cotation il faudra maintenir des prix toute la journée pour tous les instruments traités. Bref, un cauchemar pour les petites et moyennes institutions, une aubaine probable pour les grandes qui vont récolter le trading que les plus faibles ne pourront plus soutenir économiquement, too bad pour la diversité de l’écosystème financier.

Enfin, cerise sur le gâteau, que ceux qui avaient trouvé amusant qu’Emir, cette réglementation des produits dérivés, ne suive pas le Dodd-Frank Act US imposant le trading sur une place régulée fassent bien attention, tout produit tombant dans le contexte d’Emir (clearing) devra être traité sur une plateforme Mifir. La boucle est bouclée.

À côté de ces points marquants, il y a bien sûr toute une série de soucis plus ou moins gros qui agrémenteront les longues soirées d’hivers (et d’été), mais au moins un point positif est que contrairement à 2007, aujourd’hui les concepts de Mifid sont connus, c’est juste frapper plus loin et plus fort.