Robert Phillips (Integrated Biobank of Luxembourg)  (Photo : Olivier Minaire)

Robert Phillips (Integrated Biobank of Luxembourg)  (Photo : Olivier Minaire)

Depuis 2004, le gouvernement a fait des biotechnologies l’un de ses chevaux de bataille, le but étant de diversifier ses sources de revenus en se basant sur des ressources existantes. Mais pas question non plus de faire des investissements sans s’assurer, autant que faire se peut, d’engendrer un développement économique a posteriori.

Or, la médecine moléculaire fait partie des créneaux dégagés par le ministère de l’Économie. Celle-ci vise à stratifier les patients pour leur administrer les traitements au plus près de leurs besoins, dans le cadre de la démocratisation de la médecine personnalisée. Un train que le gouvernement ne souhaiterait pas manquer.

Il a donc investi 140 millions d’euros sur cinq ans dans des travaux de recherche publique, en direction du CRP Santé, de l’Université ou de la nouvelle biobanque, dénommée Integrated BioBank, Luxembourg (IBBL). Car dans le domaine du diagnostic moléculaire, les biomarqueurs découverts sont protégés par des droits de propriété intellectuelle. Le raisonnement économique sous-jacent est donc le suivant : il s’agit de mettre à disposition des sociétés de recherche médicale un capital de biomarqueurs aussi élevé que possible, afin que lesdites entreprises développent des traitements en se basant sur ces échantillons, si possible en installant une filiale au Grand-Duché.

Patrizia Luchetta, directrice pour les sciences et les technologies au ministère de l’Économie et du Commerce extérieur, précise : « Pas seulement soutenir au coup par coup les projets de recherche, mais aussi faire venir le business qu’il y a derrière. »

L’IBBL travaille sur la recherche liée à trois fléaux au Grand-Duché  : la maladie de Parkinson ; le cancer, l’une des principales causes de mortalité ; et le diabète type 2 (chez les adultes), largement répandu chez les Luxembourgeois, « problème de santé numéro un et priorité du gouvernement », selon Robert Phillips, CEO de l’IBBL.

Banque dépositaire et investissement

L’IBBL n’a pas vocation à faire de la recherche, mais à conserver des échantillons. « Mais nous ne sommes pas seulement un marché de tissu,indique le Dr Phillips, nous rassemblons les données, nous préparons les échantillons, nous faisons des mesures pour les scientifiques (comme des séquences génétiques, ndlr.), nous dégageons des données sur des milliers d’échantillons... »

L’IBBL n’est qu’un maillon d’une chaîne qu’on aimerait bien voir à Luxembourg, telle une banque dépositaire dans le secteur financier.
Il existe déjà des centaines de biobanques et l’IBBL n’est pas et n’a pas vocation à être la plus grande. Au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, des biobanques comptent plus de 3 millions d’échantillons. Robert Phillips espère que l’entité luxembourgeoise gérera, d’ici cinq ans, entre 500.000 et 600.000 échantillons. La concurrence est donc féroce et l’IBBL doit faire valoir une valeur ajoutée.

« Les entreprises s’adressent à nous pour la qualité de notre travail, parce que nous proposons une gestion des coûts effective », estime Robert Phillips. La conformité avec des standards reconnus lui paraît également déterminante en tant que vecteur de différenciation. « Pour mettre un médicament en vente, la société doit pouvoir s’assurer que la qualité des données est fiable et que la biobanque qui lui les fournit remplit un certain nombre de critères fixés par les agences de régulation. »

Pour l’instant, le carnet de commandes n’est pas encore plein et « l’essentiel des revenus de l’IBBL provient du gouvernement », témoigne le CEO. En réalité, l’entreprise ne se voue pas à la rentabilité. Avec un budget initial de 60 millions d’euros sur cinq ans, la biobanque, précise Patrizia Luchetta, « ne doit pas suivre un but lucratif ».

La nature du business, consistant à stimuler la recherche et à stabiliser le système de santé luxembourgeois, limite les sources de revenus. Puisqu’il s’agit de santé publique, « certains projets marcheront, d’autres pas, explique Robert Phillips. C’est pourquoi nous aurons toujours besoin d’un soutien financier de l’État. » Il ajoute même ne pas connaître une seule biobanque profitable.

L’entreprise commence néanmoins à se doter d’une certaine notoriété. « Nous générons quelques revenus, mais nous sommes toujours une start-up. » L’IBBL fait notamment affaire avec Wafergen, une société américaine mesurant l’activité des gènes. Robert Phillips parle même, avec prudence, « d’autres partenariats avec des compagnies pharmaceutiques et une société française de recherche clinique… mais rien n’est signé pour l’instant ». Patrizia Luchetta confirme : « Des petites start-up ayant besoin de valider leurs technologies ont manifesté leur intérêt. »

Le gouvernement suit de près le développement de la jeune pousse. Le Dr Phillips se dit même « impressionné par sa vision et son dévouement pour bâtir l’infrastructure. Mais il y a encore tant de choses à faire pour rattraper les meilleurs pays européens », tempère-t-il. L’absence d’une recherche biomédicale solide, de faculté de médecine, de registres électroniques de santé ou le nombre limité de scientifiques, de cliniciens et de praticiens médicaux sont autant de déficits regrettés par celui qui a pris les rênes de l’IBBL en 2010.

Coopération avec le Qatar

Si l’investissement public peut paraître dérisoire comparé au budget de l’État (28 millions d’euros sur un budget de 12,7 milliards), le CEO voit « au Luxembourg des opportunités qui ne se présenteraient pas forcément ailleurs ». Tester et commercialiser un médicament est complexe et le Grand-Duché présente selon lui bien des avantages, à commencer par sa petite taille. « Le Luxembourg pourrait se constituer en leader pour lancer des médicaments dans les systèmes de soins », dit-il. Et pour le gouvernement, la question de la renommée internationale est importante. Une biobanque « permet de vendre le Luxembourg par la même occasion ». Lors d’un récent atelier sur le diabète, l’IBBL a travaillé avec des… Qataris.

Eu égard au contexte de crise et à la crainte de voir l’industrie pharmaceutique moins investir dans la recherche, Robert Phillips comprend plutôt que les entreprises vont dépenser différemment et engager au coup par coup des firmes extérieures. « Il y a tout un tas d’opportunités. L’industrie va connaître une croissance exponentielle dans la prochaine décennie. Le 21e siècle sera celui de la biologie et de la biomédecine. »

 

CV - Pas vraiment un débutant

Le docteur Robert Phillips, CEO de l’IBBL, ne vit pas au Luxembourg sa première expérience professionnelle et n’en est pas à non plus à son coup d’essai pour ce qui est de faire croître une jeune pousse… Abordant aujourd’hui son 74e hiver, le Canadien a débuté sa carrière dans la recherche en biologie moléculaire. En 1996, il a pris pied dans l’administration de la recherche. Il est alors devenu directeur de différents instituts. En 2010, Jeff Trent de Tgen, une association de recherche américaine à but non lucratif, l’a contacté. « On m’a alors proposé de devenir le CEO de l’IBBL. J’ai dit non », plaisante-t-il aujourd’hui. Il s’est ensuite ravisé après avoir entendu les arguments de Patrizia Luchetta.