Le Luxembourg doit prendre des mesures pour contrôler le dérapage de sa dette d’ici 2060, avertissent Yves Nosbusch et Romain Bausch. (Photo: Sébastien Goossens)

Le Luxembourg doit prendre des mesures pour contrôler le dérapage de sa dette d’ici 2060, avertissent Yves Nosbusch et Romain Bausch. (Photo: Sébastien Goossens)

C’est un nouveau drapeau rouge qui se lève pour les finances publiques. Après les nombreux appels du pied de l’Inspection générale de la sécurité sociale ou encore de la Chambre de commerce, c’est maintenant au tour du Conseil national des finances publiques, organe indépendant mis en place par la loi du 12 juillet 2014 pour apporter conseil et éclairage au gouvernement, de tirer la sonnette d’alarme.

Il s’agit du premier rapport du CNFP hors analyses du budget ou des indicateurs européens EDC – une diversification et un approfondissement de sa mission que Romain Bausch, son ancien président, appelait de ses vœux l’an dernier.

«La soutenabilité des finances publiques est un grand défi à court, moyen et long termes», souligne d’emblée Yves Nosbusch, qui préside le conseil depuis le début de l’année. Le CNFP a dégagé plusieurs indicateurs, afin de mesurer cette soutenabilité – qui se définit par la capacité des «administrations publiques d’assurer le financement de leur dette publique, ainsi que l’ensemble de leurs dépenses futures – y compris celles liées au vieillissement de la population – avec leurs recettes futures à un horizon à long terme et à politique budgétaire constante, c’est-à-dire sans recourir à des hausses d’impôts ou à des réductions de dépenses en termes de pourcentage du PIB».

L’endettement devrait dépasser 30% en 2033 et 60% dès 2043.

Yves Nosbusch, président du CNFP

Le CNFP a également pris en compte la projection démographique telle qu’avancée par le gouvernement à l’heure actuelle – 1,1 million d’habitants en 2060, même si elle est en train d’être revue à la baisse. Et l’hypothèse d’une «croissance permanente et supérieure à 2%», souligne Romain Bausch. Autant dire des hypothèses relativement optimistes.

«La position initiale est très positive», commente Yves Nosbusch, au vu des chiffres attendus pour 2017-2018, à court terme donc, avec un endettement public de 22,3% du PIB – bien en-deçà du seuil fixé par le gouvernement à 30% et du seuil européen de 60% - et une réserve du Fonds de compensation des pensions, dont les actifs représentent 32,9% du PIB. Le CNFP vient d’ailleurs de publier son évaluation du solde budgétaire pour 2016 et 2017, dans laquelle il constate que le Luxembourg est dans les clous.

À moyen terme, soit à l’horizon 2030, le ciel se couvre légèrement. L’ajustement budgétaire que devrait appliquer le Luxembourg pour rester en dessous des 30% d’endettement s’élèverait à 0,5 point de PIB, ce qui représente un «risque faible, mais proche d’un risque moyen», avertit déjà Yves Nosbusch.

C’est à l’horizon 2060 que la situation s’avère alarmante. «L’endettement devrait dépasser 30% en 2033 et 60% dès 2043», précise M. Nosbusch, «pour atteindre 161% en 2060». Le CNFP a également calculé qu’il faudrait un surplus budgétaire de 6% chaque année et indéfiniment pour compenser les dépenses futures composées pour moitié des coûts liés au vieillissement de la population – pensions, assurance-dépendance, santé. La Commission européenne table de son côté sur un effort de 4,6 points de PIB, «l’un des plus élevés au sein de l’UE28», souligne le CNFP.

Nous révélons l’ampleur des défis, mais ne nous prononçons pas.

Yves Nosbusch, président du CNFP

Autre indicateur pris en compte: l’objectif à moyen terme, c’est-à-dire le solde budgétaire minimal visé pour équilibrer les finances publiques. Actuellement fixé par le gouvernement à -0,5% du PIB, il devrait s’établir à +0,25% en 2060 pour demeurer à un seuil d’endettement inférieur à 30% du PIB. «Et c’est seulement dans l’hypothèse où l’on veut couvrir un tiers des coûts liés au vieillissement», insiste M. Nosbusch, d’après une curieuse norme décidée par les gouvernements européens. «Si l’on veut financer ces coûts à 100% et rester à une dette de 30%, l’OMT devra être de +4%.»

De la même façon, les scénarios alternatifs explorés par le CNFP dressent des perspectives bien plus sombres. Une simple révision à la baisse des projections démographiques à 990.000 habitants mènerait, à politique inchangée, à un endettement public de près de 200% du PIB.

«Quoi qu’il en soit, la conclusion reste la même: la dette publique va s’accroître très fortement et l’effort budgétaire devra être de plus de 6%, soit un risque élevé au sens de la Commission», résume M. Nosbusch. «Nous révélons l’ampleur des défis, mais ne nous prononçons pas» sur le meilleur moyen de les surmonter», ajoute-t-il. Tout en glissant qu’il faut veiller à l’«équité intergénérationnelle», c’est-à-dire à ne pas laisser les générations futures face à une situation dégradée dans 10 ou 20 ans, alors qu’il faudrait agir tout de suite. Un appel de poids venant d'un organisme représentatif, comme le souligne Romain Bausch, avec des membres proposés par le gouvernement, la Chambre des députés et les chambres professionnelles représentant les salariés et fonctionnaires ainsi que les patrons.