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Yves Wagner examine la «règle de Volcker» 

Désignées comme principales responsables de la crise, de nombreuses banques notamment américaines voient leur responsabilité reconnue par des tribunaux, des indemnités sont versées à des présumées victimes ou des arrangements financiers sont définis sur des montants records. Le monde de la finance se voit encadré par des réglementations sans fin plongeant la plupart des acteurs dans une incertitude légale sans précédent.

La version définitive de la «Règle Volcker» vient d’être adoptée par les régulateurs américains. La règle, qui est combattue par l’industrie financière, ne devrait cependant pas être appliquée avant l’été 2015. Elle doit empêcher les banques de s’adonner à du «trading» pour compte propre. Les banques étrangères pourront seulement en faire de façon limitée avec les sociétés américaines.

La règle interdit également aux banques de contrôler, de sponsoriser ou d’avoir certaines relations avec des « hedge funds » ou des fonds de capital-investissement, qualifiés de «covered funds».

Deux ans de travaux pour 900 pages

Il a fallu deux ans pour aboutir à cette réglementation qui comporte quelque 900 pages, et donc, forcément, des zones d’ombre qui pourront être exploitées par des juristes qualifiés. Peu importe, l’esprit de la loi est davantage d’ordre déontologique que la pratique pourra toujours remettre en question.

Mais cet esprit veut que les banques, institutions de dépôt des épargnants, ne dévalorisent pas les avoirs de leurs clients par des opérations risquées pour compte propre qui mettent en péril la stabilité de l’institution, et donc les avoirs des épargnants particuliers et institutionnels.

Mieux vaut tard que jamais, mieux vaut un texte avec des lacunes qu’une absence de texte, diront les uns. Les autres crieront au scandale parce que le législateur restreint à nouveau une liberté d’action sur les marchés, et crée ainsi des sources d’inefficience dans un marché concurrentiel conformément à la doctrine dominante de l’économie néo-classique et de ses développements dont les défenseurs théoriques raflent pourtant tous les Prix Nobel d’économie.

Quel paradoxe dans lequel le monde actuel évolue: le législateur, suivant la quasi totalité des acteurs économiques, tente de réglementer un système ultra libéral qui crée des risques systémiques, tandis qu’une élite économique et financière continue à développer des paradigmes néo-classiques qui ont démontré leur échec.

Le métier de banquier

La «Règle de Volcker» tente de remettre certaines choses à leur place, en distinguant les «banques» dans leur rôle traditionnel de dépositaires, de garants fiables de la valeur et d’agents d’intermédiation, des «banques-casinos» dans leur rôle de machines à sous essentiellement et fondamentalement aléatoires. Dans la mesure où les activités pour compte propre peuvent remettre en question le rôle traditionnel des banques, élément important pour la croissance économique d’un pays, il est logique que ces activités doivent être encadrées.

Rien n’empêche d’autres établissements, les «banques-casinos», à poursuivre des activités plus risquées, et tant mieux si elles contribuent à l’efficience des marchés conformément à la théorie dominante, mais dans ce cas il convient de ne plus appeler ces établissements des «banques».

Il convient ici de rappeler que le métier de banquier, au sens traditionnel qui considère essentiellement le métier d’intermédiation, est un métier extrêmement ennuyeux. À partir du moment où le métier intéresse des «rocket scientistes» et devient fascinant pour des jeunes académiciens hautement qualifiés, il change de nature, et les établissements dans lesquels sont abrités ces génies en herbe ne devraient plus être qualifiés de «banques».

Nous soutenons par conséquent l’esprit de la «Règle de Volcker»; nous regrettons néanmoins que cet esprit qui est relatif à des comportements de bon sens, ait nécessité une documentation aussi volumineuse que seuls quelques experts juristes auront le temps d’éplucher et de comprendre, ce qui, en raison d’informations asymétriques, conduira à nouveau aux mêmes abus que ceux qu’on voulait éradiquer.