Le ministère des Finances français sort du cadre de la directive mère-filles en imposant aux filiales de prouver que leur structure n'est pas uniquement destinée à obtenir des avantages fiscaux. (Photo: Flickr)

Le ministère des Finances français sort du cadre de la directive mère-filles en imposant aux filiales de prouver que leur structure n'est pas uniquement destinée à obtenir des avantages fiscaux. (Photo: Flickr)

Jusqu’où peut aller une administration fiscale au nom de la lutte contre les abus fiscaux? C’est en somme la question qu’a posée à la CJUE le Conseil d’État français, instance de cassation pour la justice administrative, en janvier 2016, dans l’affaire opposant Holcim France SAS, venant aux droits de la société Euro Stockage, au ministre des Finances et des Comptes publics.

L’affaire est née du refus du fisc français d’exonérer les dividendes versés en 2005 et 2006 par Euro Stockage, une PME spécialisée dans le secteur d'activité de l'entreposage et stockage et appartenant au cimentier Holcim (aujourd’hui Eqiom), à la société luxembourgeoise Enka dont elle était la filiale. Sachant qu’Enka est détenue quasiment à 100% par la société chypriote Waverley Star Investments, elle-même entièrement contrôlée par la société suisse Campsores Holding.

Ces dividendes tombent a priori dans le champ d’application de la directive mère-filles qui prévient la double imposition en stipulant que le bénéfice réalisé par la filiale d’une société, taxé dans un pays et distribué sous forme de dividende à sa maison mère, ne doit pas être imposé une deuxième fois au niveau de celle-ci.

Méfiance à l’égard des chaînes de participations

Néanmoins, l’administration fiscale française a considéré que le cas présent renvoyait aux exceptions prévues par la directive, à savoir que l’exonération prévue par la directive mère-filles ne s’applique pas lorsque des dividendes distribués bénéficient à une société contrôlée directement ou indirectement par une société établie dans un État non membre de l’Union (en l’occurrence, la Suisse), à moins que cette société ne justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objectif principal celui de tirer avantage de l’exonération. C’est pourquoi le fisc a exigé d’Euro Stockage de prouver que le montage en cascade dont elle faisait partie ne constituait pas une structuration superficielle destinée à flouer le fisc.

Le Conseil d’État français, saisi de l’affaire après qu’Euro Stockage eut été déboutée en première et deuxième instances, a sursis à statuer en attendant la réponse de la CJUE à ses questions préjudicielles concernant la licéité de l’interprétation retenue par le fisc français au regard du droit européen.

Dans ses conclusions publiées jeudi, l’avocat général Juliane Kokott reconnaît que la directive mère-filles «n’empêche pas que l’exonération de la retenue à la source soit refusée lorsque la société bénéficiaire fait partie d’une chaîne de participations qui a essentiellement été mise en place pour des motifs fiscaux». Ceci correspond effectivement à l’un des objectifs de la directive qui est de «combattre l’évasion fiscale en interdisant les abus tels que ceux qui peuvent résulter de structures de participation dont le seul but est de profiter d’avantages fiscaux».

Une réglementation française trop restrictive

Toutefois, l’administration fiscale outrepasse les moyens accordés par la directive lorsqu’elle fait supporter la charge de la preuve à la société sous examen. Selon l’avocat général, l’administration fiscale doit avoir des indices suffisants d’évasion fiscale pour imposer une telle obligation, étant entendu que la simple référence au contrôle direct ou indirect par un détenteur établi dans un État tiers ne constitue pas un indice sérieux et se fonde sur une présomption d’évasion fiscale trop générale.

Juliane Kokott va plus loin en considérant que la réglementation française restreint la liberté d’établissement, dans la mesure où elle rend l’exercice de cette liberté moins attrayant pour les sociétés des autres États membres, celles-ci pouvant être amenées à renoncer à l'acquisition, à la création ou au maintien d'une filiale en France. Et une telle restriction ne peut être justifiée par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Aux juges de la CJUE d’apprécier et de suivre, ou non, ces conclusions dans un arrêt qui ne manquera pas d’attirer l’attention de la place financière.