Qui aurait le courage pour prendre des mesures impopulaires ou risquées pourtant nécessaires? (Photo: Sébastien Goossens)

Qui aurait le courage pour prendre des mesures impopulaires ou risquées pourtant nécessaires? (Photo: Sébastien Goossens)

Les réactions positives de la coalition à sa propre politique gouvernementale, étalée dans le discours sur l’état de la Nation du ministre d’État, Xavier Bettel, ce mercredi à la Chambre des députés, étaient tout aussi prévisibles et logiques que les réactions négatives de l’opposition. Cet exercice répété d’année en année produit toujours les mêmes réflexes. Les chiens aboient, à tour de rôle, la caravane passe. D’un point de vue neutre, il faudrait sans doute conclure que les uns comme les autres ont un peu raison et un peu tort.

Le gouvernement peut se féliciter d’avoir augmenté la cadence de construction de logements, tandis que l’opposition a raison de rappeler que les mesures du gouvernement ne suffiront pas à suivre le rythme de la croissance démographique actuel et pour les décennies à venir. L’opposition a raison de s’interroger sur les mesures concrètes du rapport Rifkin, tandis que le gouvernement a raison de se féliciter d’avoir au moins entamé un débat plus que nécessaire sur la qualité de la croissance. Le premier gouvernement sans CSV depuis 1974 peut se féliciter d’avoir touché à la politique de la famille et à certains dossiers sociétaux comme la relation de l’État avec les cultes, il ne peut en revanche pas espérer ainsi convaincre la partie conservatrice de la population.

Si le gouvernement actuel ne peut se faire reprocher d’avoir été immobile, les DP, LSAP et Déi Gréng doivent néanmoins reconnaître qu’ils déçoivent, outre leurs opposants, au moins une partie de leurs propres électorats respectifs, car ils n’auront pas dépassé les promesses faites aux électeurs et plutôt même fait des concessions. Ils risquent de décevoir, car malgré tous les reproches que l’on peut faire aux anciens gouvernements, ils n’ont pas fondamentalement changé la philosophie politique luxembourgeoise qui consiste à distribuer autant que possible, se rendant ainsi dépendants de la croissance. Oui, comparé au reste du monde, le Luxembourg va bien de manière générale, mais cela ne signifie pas automatiquement que tout le monde va bien ou que le système est durable.

«Actions speak louder than words»

Devant les défis démographiques, environnementaux et la croissance des inégalités, toujours plus palpables et responsables d’un début de ras-le-bol contre l’establishment, le modèle économique ne livre pas les réponses, tandis que les mesures et réformes des dernières décennies ne suffisent pas à compenser les externalités du modèle. Un changement de cap politique et de mentalités est bien nécessaire. À en entendre les représentants des partis gouvernementaux et en particulier les socialistes et les écologistes, ainsi que les partis d’opposition, tant de droite que de gauche, ce constat semble partagé par une grande partie de la classe politique.

Force est malheureusement de conclure qu’il est simplement naïf d’espérer davantage de réformes ou de changement de cap politique de la part d’un gouvernement formé de trois partis différents et donc dépendants, ou plutôt bloqués, dans des compromis en triangle. On entend «des réflexions» sur la consommation, mais où sont les mesures politiques pour changer conséquemment l’offre de produits et la rendre abordable aux ménages défavorisés? On entend «un débat sur la qualité de la croissance», mais de plus en plus de résidents et surtout de frontaliers (quasiment exclus du débat politique) passent de plus en plus de temps dans les embouteillages. On entend «qualité de vie», mais les nouveaux modèles de travail pensés par certains partis sont rejetés par les autres. On entend «plus d’efforts pour le logement», mais les efforts ne suivent pas le rythme démographique. On entend «innovation» et les réseaux sociaux, contrairement à ce que l’on croit, nous éloignent les uns des autres.

Cela dit, s’attendre à un changement de cap, sous un autre gouvernement, risque aussi d’être naïf, car les partis luxembourgeois traditionnels manquent de courage politique pour prendre des décisions risquées ou impopulaires, mais nécessaires. Ils soumettent ce courage depuis bien longtemps à l’intérêt de ceux qui devront à l’avenir faire des concessions pour l’intérêt général, plutôt que de soumettre leur courage à l’intérêt général.

«Actions speak louder than words.» Les actes sont plus éloquents que les paroles. Seul un véritable «statesmanship», un vrai sens du devoir de dirigeant émancipé qui réussirait à dépasser les clivages partisans, à condition de leur sens du devoir également, pourrait peut-être permettre au Luxembourg d’entrer dans une nouvelle ère. Certains choix à caractère idéologique s’imposeront peut-être, mais pour éviter les pièges populistes ou extrémistes, ces choix demanderont une information et communication honnêtes et l’inclusion dans le débat de toutes les générations et toute la société. Pas juste les représentants. Un courage politique qui fera mal aux uns pour le bien général devra néanmoins être aussi honoré par les électeurs. Il serait trop facile de tout attendre de la part de la politique. Le prix de la démocratie est la vigilance de tous, non pas juste envers la politique, mais aussi envers chacun d'entre nous.