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Photo: Etienne Delorme 

Réalité géographique, certes. Réalité économique, oui, sans doute aussi, mais sans doute pas autant qu'elle le pourrait… La Grande Région, forte de 11,3 millions d'habitants et dont le PIB a progressé de 15% entre 2000 et 2005 (277,9 millions d'euros), n'en finit pas de susciter autant d'intérêt que de scepticisme, compte tenu de sa complexité administrative. D'ailleurs, le Conseil économique et social de la Grande Région avait plaidé, en mai 2006, pour une suppression de ces obstacles administratifs afin d'améliorer l'efficience du marché.

De son côté, PricewaterhouseCoopers Luxembourg vient de rendre publique une étude réalisée en collaboration avec PwC France en vue d'analyser le potentiel de développement des entreprises transfrontalières au cœur de cette Grande Région. «Il est difficile d'aider une entreprise d'un seul côté de la frontière. Une approche transfrontière est plus pertinente», explique Luc Trivaudey, associé chez PwC Luxembourg. L'étude a été focalisée sur l'axe Lorraine-Luxembourg, où s'effectue l'essentiel des relations commerciales, mais peut évidemment être extrapolée.

Parmi les entreprises ayant participé à cette étude, il y a Flucklinger, spécialisée dans l'agencement de lieux de vente, située à Longeville-lès-Metz (Moselle). «Il y a 20 ans, notre objectif était de nous développer sur le marché luxembourgeois. Aujourd'hui, il ne représente pourtant que 3% de notre chiffre d'affaires de 9,5 millions d'euros. Nous avons finalement préféré nous concentrer sur la France», explique le directeur général, Patrick Flucklinger. A ses yeux, si le marché français s'est révélé plus prometteur, il a également pour intérêt d'être moins contraignant. «Au Luxembourg, les démarches administratives visant à obtenir les autorisations de travail sont des freins. Les normes techniques sont également différentes». Sans compter les problèmes d'organisation pure nécessitant, par exemple, des adaptations d'horaires pour éviter que les techniciens perdent du temps à la frontière.

En dépit de la forte concurrence allemande et… luxembourgeoise, Flucklinger, entreprise familiale qui emploie 50 personnes, a toujours des vues sur le Grand-Duché. «C'est un marché auquel nous tenons. Quand un client est satisfait, il le fait savoir autour de lui. Notre carnet de commandes s'étoffe sans que nous ayons à démarcher. Dans de telles conditions, faire des affaires au Luxembourg s'avère in fine très confortable et rentable», insiste M. Flucklinger.

Un effort conjoint

De l'idée à la réalisation sur le terrain, le chemin reste parfois bien long, même si la volonté semble être là. Vu du côté lorrain, 45% des entreprises réalisent plus de 30% de leur chiffre d'affaires dans la Grande Région, en dehors de leur marché local. Vu du Luxembourg, 48% des entreprises annoncent enregistrer plus de… 10% de leurs revenus sur la Grande Région. «Les entreprises luxembourgeoises identifient moins d'opportunités immédiates, mais elles savent que la Grande Région est une façon de résoudre un certain nombre de problématiques, comme le manque de place. Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, des zones de stockage au-delà des frontières?», s'interroge M. Trivaudey.

D'où le concept présenté de «modèle hybride»: une organisation dépassant les frontières, comme le font certains groupes internationaux au travers des pôles de compétence. «C'est intéressant, mais c'est compliqué, regrette M. Trivaudey, qui évoque le cas d'une entreprise luxembourgeoise ayant dû récemment renoncer à une opportunité sur un marché public en France, en raison des complications administratives. «La situation actuelle handicape l'esprit d'entreprise et douche l'enthousiasme de certains chefs d'entreprise, note Michel Nisse, associé de PwC France, responsable de l'activité «services aux entrepreneurs» dans la région Est. On créé des conditions pour que les gens essaient de contourner la loi. Cela favorise le risque d'erreur de bonne foi, mais aussi le risque de mauvaise foi!».Pour y remédier, un signal fort devrait être donné de la part des pouvoirs publics, avec, pourquoi pas, la mise en place, au minimum, d'un organe consultatif qui sensibilise les trois pays limitrophes. «Mais l'effort doit aussi venir des entreprises qui ne doivent pas se contenter d'attendre que ça se passe. Des initiatives comme les WTC de Metz ou de Sarrebruck vont dans le bon sens», note M. Trivaudey.