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À travers le globe, de nombreux acteurs de la fintech s’arrogent le droit de redessiner la finance à leur manière. Avec toupet, sans attendre l’autorisation des institutions bien installées et aujourd’hui forcées de s’adapter, malgré une certaine raideur, pour rester dans le coup. Les nombreuses contorsions qu’a engendrées l’emballement des derniers mois autour des monnaies virtuelles en disent long sur l’ampleur du challenge. 

La place financière est considérée comme une position de choix pour développer du business.

Yves-Laurent KayanYves-Laurent Kayan, Cofondateur (Coinplus)

Plateforme internationale financière de premier plan, le Luxembourg joue gros. Il lui appartient d’appréhender cette transformation avec souplesse et agilité. Pour cela, il lui faut attirer au sein de son écosystème ces nouveaux acteurs appelés à réformer les services financiers. «Dans ce contexte, le Luxembourg jouit d’une image plutôt positive», commente Yves-Laurent Kayan, cofondateur de Coinplus, start-up active dans le domaine des cryptomonnaies. «La place financière est réputée pour son écosystème riche et est considérée comme une position de choix pour développer du business.» À l’instar du Luxembourg, d’autres Places essaient d’attirer le business lié à l’émergence des cryptomonnaies, avec l’espoir que ces blocs de données valorisables constitueront à moyen terme un standard financier.

Il y a chez nous, petit pays, peut-être moins d’inertie qu’ailleurs. On se préoccupe de chaque cas qui nous est soumis.

David HagenDavid Hagen, Head of IT supervision and support PFS (CSSF)

«À ce jeu, toutes les Places ne se valent pas. La réputation de la Place, alliée à l’ouverture du régulateur, est un facteur déterminant. Un acteur qui cherche à convaincre des clients et des partenaires a un réel avantage à se positionner au Luxembourg plutôt que de choisir une destination exotique», précise Yves-Laurent Kayan. 

Un régulateur, moteur du changement

Pour attirer de nouveaux acteurs, le Luxembourg a la chance de disposer d’un régulateur particulièrement à l’écoute, tant des besoins des grandes institutions que des idées des acteurs innovants. «Il y a chez nous, petit pays, peut-être moins d’inertie qu’ailleurs. On se préoccupe de chaque cas qui nous est soumis», commente David Hagen, premier conseiller de direction en charge de la surveillance des systèmes d’informations et des PSF de support. «À partir du moment où une question nous est posée, nous veillons à y apporter une réponse. L’innovation vient de l’extérieur, du marché. Notre rôle est de l’accompagner, notamment en anticipant les impacts prudentiels.»

Le funding, dans son ensemble, manque au Luxembourg.

Alain TayenneAlain Tayenne, COO & CFO (CarPay-Diem)

Le régulateur se positionne de cette manière en facilitateur de la transformation de la Place. «Cela ne signifie pas pour autant que nous sommes plus souples que d’autres régulateurs», tient à préciser David Hagen. «Ceux qui sont venus nous voir pour obtenir un agrément, et avec lui un passeport européen, savent que ce n’est pas trivial. Chaque demande doit répondre à des exigences précises quant à la mise en œuvre de l’idée, l’établissement des processus et procédures opérationnelles ou encore la gouvernance de l’activité.» Nombreux sont ceux qui, malgré un superbe concept soutenu par la technologie, ont été invités à revoir leur copie par manque de maîtrise du cadre réglementaire. 

L’intrapreneuriat trop faible, les financements manquent

«S’il est nécessaire d’attirer des acteurs innovants pour renforcer notre écosystème, rappelons que Luxembourg a toujours été bon quand il s’est spécialisé. Il est important de ne pas se diluer et d’inscrire les opportunités technologiques dans ce qui a fait le succès du pays, sans nuire à son image», commente Alain Tayenne. Pour le COO et CFO de CarPay-Diem, l’expertise luxembourgeoise dans le domaine de l’asset management pourrait notamment être mieux soutenue par le numérique. «Il y a une place insuffisamment exploitée au Luxembourg dans le domaine de la regtech», assure-t-il. «D’autre part, on peut aussi s’étonner que l’intrapreneuriat, considérant l’expertise existante, ne soit pas plus massif. Peu de spin-off voient le jour. Dans ce contexte, l’Université aura son rôle à jouer.» 

Pour attirer plus de start-up, il y a aussi lieu de parfaire l’écosystème susceptible de les soutenir. Des initiatives intéressantes ont vu le jour, comme le programme Fit4Start de Luxinnovation ou encore la mise en place du Digital Tech Fund. Toutefois, en matière de financement, Luxembourg est encore loin de rivaliser avec d’autres grandes capitales. «Le funding, dans son ensemble, manque au Luxembourg», assure Alain Tayenne, qui constate que Paris, qui revient de loin, offre désormais beaucoup plus d’opportunités aux acteurs innovants. «Le nombre de projets qui sont présents dans la capitale française par rapport aux fonds levés est hallucinant», enchérit Yves-Laurent Kayan. «Au Luxembourg, l’accès aux fonds est moins aisé.» 

Le défi des talents

L’autre grand défi réside dans la capacité du Luxembourg à attirer des talents. Le pays doit principalement parvenir à attiser la curiosité de jeunes têtes bien pleines. L’Université, avec des programmes de recherche alléchants, constitue là encore une réponse à cette problématique. Mais dans l’ensemble, les jeunes préfèrent des capitales comme Berlin, Paris, Londres… «Mais est-on vraiment obligé de les faire venir ici?», interroge Alain Tayenne. «Ne pourrait-on pas imaginer la création de clusters, là où se trouvent ces talents, pour les inviter à contribuer à créer de la valeur au profit du Luxembourg selon une logique de nearshoring?» La démarche serait en effet intéressante selon David Hagen. «Il y a sans doute des mécanismes à mettre en place pour les inciter à entrer dans cette logique et pouvoir mieux les accueillir une fois qu’ils aspireront à plus de tranquillité», commente-t-il. En la matière aussi, il semble que le Luxembourg doit trouver le moyen d’innover.