Le ministre de la Justice espère voir la réforme de la loi de 1915 votée encore avant la fin de l'année. (Photo: Marion Dessard)

Le ministre de la Justice espère voir la réforme de la loi de 1915 votée encore avant la fin de l'année. (Photo: Marion Dessard)

Félix Braz, ministre de la Justice, a montré une grande prudence oratoire, jeudi, dans son discours d’ouverture d’un colloque consacré aux 100 ans du droit luxembourgeois des sociétés à l’Université du Luxembourg. Il était attendu sur la réforme de la loi de 1915 qui traîne depuis juin 2007 à la Chambre des députés et que l’on dit sur la dernière ligne droite.

L’avancée du projet de loi 5730 est conditionnée au verdict du Conseil d’État, qui prend le temps qu’il faut pour rendre ses avis. Félix Braz n’a pas exclu que le texte passe le cap du vote en première lecture avant la fin de l’année et ne s’inquiète pas plus que ça de la longueur des travaux parlementaires qui se sont étalés sur trois législatures. La «longue gestation» du projet lui a procuré l’avantage de tenir compte d’un «travail de réflexion évolutif» et d’inscrire le Luxembourg dans la compétitivité internationale que se livrent les États pour attirer les investissements, a indiqué le ministre, même s’il ne s’est pas exprimé exactement en ces termes.

Le droit des sociétés, a-t-il assuré, doit rester suffisamment «souple». Et la boîte à outils assez diversifiée pour satisfaire un peu tout le monde: le petit entrepreneur qui devrait trouver son compte dans la sàrl à 1 euro (un projet de loi qui n’a pas été incorporé dans la réforme de la loi de 1915) ainsi que l’investisseur international tenté par des véhicules très prisés, comme la société anonyme ou la société à responsabilité limitée.

Modèle anglais

Le tissu luxembourgeois compte aujourd’hui 120.000 sociétés, dont 50.000 SA et 60.000 sàrl. «Ce n’est pas la fin des sociétés au Luxembourg», a t-il encore souligné, avant de vanter les mérites de l’inspiration étrangère de la réforme de la loi sur le droit des sociétés: le droit belge, bien sûr, mais pas seulement.

Félix Braz s’est félicité que des éléments «d’autres droits» soient venus «féconder le droit luxembourgeois», «qui s’en porte d’autant mieux». Le ministre n’a pas détaillé sa pensée, mais on peut supposer qu’une référence au droit anglo-saxon n’était pas exclue de sa part, puisqu’il avait évoqué quelques minutes auparavant l’importation en 2012 en droit luxembourgeois des «limited partnerships» lorsque fut introduite au Grand-Duché la société en commandite spéciale, un dispositif piqué aux Anglais.

La réforme du droit luxembourgeois des sociétés, à l’heure des débats sur Beps et la substance à mettre derrière chaque société, ne devrait toutefois pas franchir de sitôt le saut «quantique» qui lui permettrait de prendre aux Anglo-saxons les modèles de l’«incorporation» et du siège statutaire (qui rendraient les attaches plus lâches avec le Grand-Duché, tout en y étant soumis fiscalement), inconnus jusqu’à présent – le droit luxembourgeois ne connaissant que le siège de direction effective (ou siège réel) imposant que les décisions soient prises au Luxembourg pour y être considéré comme un contribuable.

Performants sur toute la ligne

Le colloque organisé par l’Université du Luxembourg aborde ces questions: une conférence de l’avocat Alain Steichen et du professeur à l’Uni.lu André Prüm sera consacrée vendredi au «Siège réel ou incorporation». Preuve que la tentation de l’incorporated fait son chemin au Luxembourg.

Un «chief justice» de la Cour suprême de l’État du Delaware a même été invité, toujours vendredi, à partager le récit de son expérience avec celle de Karin Guillaume, la vice-présidente au tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Le Professeur André Prüm, qui fut associé il y a 20 ans (du temps du Laboratoire de droit économique) aux travaux de modernisation de la loi de 1915, a d’ailleurs indiqué, lors de l’ouverture du colloque dont il est un des initiateurs, que le droit luxembourgeois des sociétés devait se montrer «performant sur toute la ligne». Donc pas seulement dans les textes, mais aussi «jusqu’à la résolution des conflits» où les efforts doivent, à ses yeux, se concentrer. «Je ne dis pas», s’est-il empressé d’ajouter, «que les conflits ne sont pas bien réglés, mais il s’agit d’une piste de réflexion à développer.» Clin d’œil aux juges hyper-pointus de l’État du Delaware, connus pour produire une jurisprudence prévisible, contrairement à ce qui peut parfois arriver au Grand-Duché, avec un juge qui dit blanc et un autre qui dit noir?

Si on veut un droit «moderne et accueillant», a indiqué le professeur en substance, «il faut pouvoir nous mesurer aux meilleures solutions existant ailleurs».

En 1915, le législateur luxembourgeois n’avait pas osé se montrer trop précurseur dans ses choix, préférant repomper prudemment la loi aux sources du droit belge plutôt que prendre l’option offerte par les travaux du professeur Albert Nyssens, auteur d’un avant-projet de loi vite abandonné. Un siècle plus tard, l’orientation de la réforme reste prudente: ce n’est pas une refonte complète du texte, mais sa mise à jour, a laissé entendre André Prüm. Pour autant, les «axiomes» animant les réformateurs à 100 ans d’intervalle sont restés inchangés: d’abord la liberté pour les associés, ensuite la sécurité pour les tiers.