Au Qatar, où les projets pullulent et d’où les investisseurs regardent notamment vers l’Europe, il est nécessaire d’avoir une passerelle vers les financiers masculins et une autre vers les femmes influentes. Une structure luxembourgeoise l’a fait. (Photo: QCN)

Au Qatar, où les projets pullulent et d’où les investisseurs regardent notamment vers l’Europe, il est nécessaire d’avoir une passerelle vers les financiers masculins et une autre vers les femmes influentes. Une structure luxembourgeoise l’a fait. (Photo: QCN)

Outre les exemples vécus au Luxembourg ces dernières années (l’épisode Cargolux avec Qatar Airways, puis les reprises réussies des banques KBL epb et Bil par Precision Capital), on connaît surtout les Qataris pour leur appétit féroce envers les sociétés du Vieux Continent dans lesquelles ils investissent massivement. Ce que l’on voit moins, c’est que le Qatar a aussi des ambitions dans le développement diversifié de sa propre économie, encore tournée quasi exclusivement vers les hydrocarbures. Ainsi, dans le cadre d’un projet Qatar 2030, le pays a mis en chantier un vaste plan d’industrialisation qui veut doper la croissance de secteurs tels que l’économie de la connaissance, la logistique, l’énergie ou les produits dérivés du pétrole et du gaz.
Or, si les habitants de cet eldorado gazier détiennent des moyens colossaux, il leur manque encore trop souvent les compétences pour mener à bien des projets exigeant un savoir-faire particulier. «C’est clairement une chance pour les industriels européens», observe Benjamin de Seille, spécialiste des relations économiques avec les pays du Moyen-Orient. Il a donc saisi la balle au bond et développé au sein de Fuchs & Associés Finance – dont il est vice-président Mena (Middle East & North Africa) – une double plateforme pour faire le lien entre les investisseurs qataris et les industriels européens. Pourquoi deux? Parce qu’au Qatar, il est nécessaire d’avoir une passerelle vers les investisseurs masculins et une autre vers les femmes.
La plateforme «hommes», établie entre cinq importants partenaires qataris et Fuchs Finance, tourne depuis la moitié de l’année 2014. Si celle des femmes a été plus difficile à mettre en place, elle présente en revanche un caractère exclusif. «Les négociations ont démarré il y a un an et demi et ont abouti, en décembre dernier, à la finalisation d’une structure juridique. Les choses sérieuses vont pouvoir commencer.»
Pour la mettre en place, Benjamin de Seille s’est mis en rapport avec la Qatari Businesswomen Association, un groupe formé d’une dizaine de femmes d’affaires qataries très importantes sur la Place de Doha. Il est d’ailleurs présidé par Al-Anood Bint Khalifa Bin Hamad Al-Thani, une des filles du précédent émir du Qatar.
«Il est intéressant de voir que dans ce pays certaines femmes ont beaucoup d’argent, parfois même plus que les hommes. Ça peut par exemple être lié à un divorce ou à un héritage», explique le promoteur du projet qui y a vu clairement une opportunité. «En outre», explique-t-il, «comme il n’y a pas d’autre association de femmes au Qatar, notre plateforme sera unique.» Du coup, pour travailler avec les femmes investisseurs qataries, les entrepreneurs européens devront donc passer par une société luxembourgeoise. «Nous sommes en contact avec des sociétés basées partout en Europe, mais tout est centralisé au Luxembourg», explique Benjamin de Seille. «C’est donc un projet qui participe à l’image du Grand-Duché.»
Le premier projet de la plateforme féminine a d’ailleurs été monté avec une société belge basée à Mons et a consisté en l’implantation d’une clinique spécialisée en dentisterie et en ophtalmologie. Des échanges techniques permanents auront également lieu entre un hôpital belge et la nouvelle clinique.
Le flux peut opérer dans diverses directions. Qu’un investisseur qatari fasse un appel pour trouver des compétences en Europe ou qu’un industriel européen soit à la recherche de financements sur place. Mais l’expertise de Fuchs Finance peut aussi intervenir, par exemple si des partenaires du Golfe souhaitent investir dans des projets en Europe.
«L’idée est effectivement que les Qataris assument le rôle de financiers», poursuit Benjamin de Seille. «Mais ils apprécient aussi que le risque soit en partie partagé par le partenaire européen.» En clair, ils aimeraient pouvoir se séparer de leur image de «vaches à lait» pour aller vers des joint-ventures plus équilibrées. Et si, dans les faits, l’obligation de sponsoring – soit la nécessité pour un industriel non qatari de s’associer avec un partenaire local actionnaire à au moins 51% – n’est plus en vigueur dans certains domaines d’activités depuis le début de cette année, «dans la pratique, ça reste conseillé».

Éviter l’écueil culturel

Convaincu qu’il peut ouvrir les portes d’un véritable eldorado aux entrepreneurs du Vieux Continent, l’émissaire de Fuchs & Associés Finance se montre toutefois prudent. Parce que les pays du Golfe ne sont pas, a priori, des marchés faciles d’accès.
Au Qatar, il y a notamment la barrière de la loi islamique – applicable à la finance, elle peut aussi devenir un atout – qui interdit certaines activités liées à l’alcool, aux armes, au jeu, aux prêts à intérêt, etc. «La grande difficulté est surtout de bien connaître les gens. Pour ma part, après des erreurs, des échecs, je pense, après 10 ans, pouvoir dire que j’arrive à savoir ce qu’ils pensent. Mais eux, spontanément, ne le disent pas.» D’où l’importance de bien s’entourer avant de franchir le pas.
Quant aux risques, le go-between basé au Grand-Duché ne les juge pas supérieurs à ceux encourus sur d’autres marchés. «Le risque existe quand la collaboration a été mal préparée», pointe le spécialiste du Moyen-Orient. Dans le cas de joint-ventures avec des partenaires qataris, il conseille en tout cas d’établir un pacte d’actionnaires qui vient s’ajouter aux statuts de la société.
Dans ce type de document, l’entrepreneur européen peut prévoir un tas de choses qui lui donneront toutes les garanties sur la future collaboration. Autre précaution: prévoir les conditions de sortie dans le pacte d’actionnaires au cas où l’association capoterait. «Enfin», poursuit Benjamin de Seille, «recourir à une banque européenne présente sur place donne également plus de sécurité.» Un argument qui n’échappera pas aux banquiers luxembourgeois déjà très tournés vers les financiers du Moyen-Orient…
Une fois ces conditions réunies, le Qatar peut de fait représenter un excellent tremplin vers les autres monarchies du Golfe. Où Fuchs réfléchit à poursuivre l’aventure, même si ce n’est pas pour tout de suite. «Seulement lorsque la plateforme qatarie sera bien lancée. Mais nous avons déjà reçu des propositions d’Arabie saoudite», confirme son responsable.
Les robinets sont donc bien ouverts, sur ce pipeline de plus entre l’Europe et le Golfe.