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Le travail temporaire, et a fortiori l’intérim, permet aux entreprises d’encaisser les tressaillements conjoncturels. Dans un contexte de sortie de crise emprunt d’incertitude, la filière intérimaire jouit d’un certain succès.

Parce qu’il rend l’accès à l’emprunt, à la propriété, voire au logement, plus difficile. Parce qu’il place les travailleurs dans une situation d’incertitude face à l’avenir. Ou simplement parce qu’il nuit à la qualité du curriculum vitae… Le travail temporaire, et plus particulièrement l’intérim, est connoté péjorativement.

Pourtant, ce mode de recrutement connaît ces derniers mois un réel succès auprès des entreprises de tous secteurs. Fabien Langlaude, responsable pour la partie industrie chez Adecco témoigne: «Si 2009 a été une année horrible, nous connaissons des taux de croissance à deux chiffres depuis 2010.» La raison est simple. L’intérim offre une soupape de sécurité pour absorber les différentes fluctuations de la vie économique.

Le recours à cette «main-d’œuvre extérieure», comme la qualifie Christophe Heine, responsable des ressources humaines pour Cora Foetz, répond à trois objectifs majeurs. D’abord, il permet de pallier les absences du personnel. Cette demande émanant des sociétés est donc régulière et quasiment incompressible puisqu’elle permet de maintenir l’activité économique à un niveau normal.

Ensuite, les entreprises recrutent des intérimaires pour faire face à un surcroît d’activité. Il peut être saisonnier, comme pour une foire aux vins dans la grande distribution, ou extraordinaire, par exemple pour assurer la conduite d’un projet consommateur en ressources. Dans les institutions européennes, on fait appel aux agences d’intérim pour ces deux circonstances. Dans le secteur privé, pas seulement.

Canal de recrutement

Cela est d’ailleurs plus inattendu; les ressources intérimaires servent aussi de canal de recrutement visant à combler les postes vacants. La manœuvre consiste en fait à contourner un code du travail luxembourgeois protégeant résolument les salariés, le recrutement temporaire étant lui strictement limité (voir encadré page 70). Pas sûr que l’intérimaire puisse s’en plaindre s’il a une chance d’être recruté in fine.

Christophe Heine justifie: «Chacun peut se tester mutuellement, l’employeur et le salarié. En cas d’incompatibilité, il est possible de casser le lien plus facilement par ce biais. En revanche, si embauche il y a, les anciens intérimaires ne vont pas forcément démarrer en contrat à durée indéterminée (CDI), mais nous procédons quand même à quelque 10-15 recrutements de cette manière annuellement», sur un personnel d’environ 330 personnes.

L’emploi intérimaire permet d’effectuer ainsi la transition entre deux cycles économiques et participe, dommage collatéral, au phénomène de croissance sans emploi (plus connu sous l’appellation anglaise de jobless recovery), période pendant laquelle des richesses sont créées sans progression visible de l’emploi. Suzi Weis-Collé, responsable des ressources humaines des usines de production Goodyear à Colmar-Berg, indique «qu’avant la crise, Goodyear recrutait quasi exclusivement via des CDI. L’emploi par intérim avait pour seule vocation de remplacer les congés de long terme. En cette période d’incertitude, le nombre d’intérimaires a crû. Parallèlement, les CDI d’hier sont devenus les CDD d’aujourd’hui».

Christophe Heine peut alors disséquer les mécanismes ayant cours dans la grande distribution. «Au niveau de la crise, nous avons pu la plupart du temps absorber le surcroît de travail saisonnier avec les ressources fixes. La demande d’intérim s’est alors tassée. La courbe s’est à nouveau élevée avec une demande accrue des contrats depuis la reprise. Cela signifie que le caractère cyclique s’applique aussi à la grande distribution, parce que si les ménages continuent de se nourrir, ils dépensent parallèlement moins pour les loisirs. Là, on sent un frémissement. L’intérim est un bon baromètre économique. C’est par là que tout commence ou tout finit.»

Les tendances de l’emploi dans le bâtiment permettent elles aussi d’identifier le phénomène. L’adage selon lequel «quand le bâtiment va tout va» s’érige en vérité économique lorsqu’il est associé aux évolutions du marché de l’intérim. La preuve est fournie par Mechthild Plate, directrice des ressources humaines chez CDC Construction: «Notre compagnie a toujours fait appel à l’intérim avec, avant la crise, entre 20 et 80 intérimaires engagés en permanence (sur 450 salariés de production, ndlr.). Avec la crise, ce chiffre a chuté entre 15 et 45.» Ces coûts variables permettent de ne pas pâtir de l’inertie de coûts fixes superflus en période de ralentissement économique, sans toutefois forcément licencier. «Recruter via ce procédé permet davantage de flexibilité», conclut-elle.

Les entreprises du travail intérimaire ont donc le vent dans le dos en Europe et au Luxembourg. Lors d’une visite visant à célébrer les 20 ans de la filiale Adecco Luxembourg, le président du groupe leader mondial du marché, Patrick de Maeseneire, annonçait des résultats record. Il ajoutait avec un brin de compassion: «Ce qui est bon pour notre industrie n’est pas bon pour l’économie.» Au Luxembourg, la courbe du travail intérimaire avait recommencé à croître en avril 2009, alors que celle de l’emploi total était encore en train de chuter.

Cet attrait s’explique par la nature même de cette classe d’actifs, pour parodier le langage financier. Elle se résume, selon Christophe Heine, par «la souplesse horaire, la disponibilité des intérimaires et les contrats de courte durée». Le travail intérimaire est donc associé à une certaine liquidité. Les durées d’engagement peuvent fluctuer d’un jour à une année, selon toutefois des règles strictes concernant le renouvellement des contrats.

La volatilité de l’utilisation de la ressource, notamment en période d’incertitude, est fonction de sa facilité d’accès. Alors que l’emploi total peut varier de 10 ou 20 points de base sur une période de trois mois, l’emploi intérimaire fluctue, lui, selon des variations de 200 points de base sur la même période.
Cette flexibilité a un prix. Car si, conformément à la loi luxembourgeoise, tous les travailleurs occupant des fonctions équivalentes ont droit au même salaire, mêmes droits et mêmes devoirs sans distinction faite de leur statut, les entreprises de travail intérimaire doivent également se servir pour leur prestation.

80% des intérimaires sont frontaliers

Selon le ministère du travail, 80% des travail­leurs intérimaires sont des frontaliers. Mais cette statistique mérite d’être affinée et il convient de dissocier les secteurs d’activité, consommant chacun la ressource différemment.

Dans les institutions européennes, et plus particulièrement au Fonds Européen d’Investissement (filiale de la Banque Européenne d’Investissement), «les intérimaires sont principalement des résidents luxembourgeois», explique Martine Lepert, directrice des ressources humaines. Dans ce secteur d’activité international et bureaucratique, la maîtrise des langues étrangères est un facteur important et «un anglais courant est requis», insiste-t-elle.

Dans les autres secteurs d’activité, à commencer par la distribution, les rôles proposés sont souvent jugés moins valorisants et Christophe Heine constate «qu’il n’est pas évident de trouver des Luxembourgeois qui souhaitent travailler dans ce secteur d’activité». Dans la grande distribution, notamment chez Cora, «le recrutement d’intérimaires ne concerne jamais l’encadrement mais, à 85-90%, du personnel de terrain, à savoir les réassorts», personnel chargé de remplir les rayons. «Le pourcentage restant correspond au recrutement de personnel pour des fonctions plus sensibles, comme les hôtesses de caisse, environ 10%, et des métiers spécialisés, en l’occurrence des bouchers ou des boulangers. Pour des emplois qui sont en contact direct avec la clientèle, nous nous adressons à l’administration de l’emploi luxembourgeoise, car elle nous présente des candidats polyglottes.»

Là, les entreprises de travail intérimaire sont dans une certaine mesure en concurrence avec l’Administration de l’emploi (Adem) luxembourgeoise, même si, sur le terrain, on privilégie la voie de l’intérim pour le recrutement. M. Heine regrette: «Il est plus facile de convertir un contrat intérim en CDI, puisque le recrutement est fait. L’Adem se retrouve dans ce cas malheureusement hors jeu.»

Dans la construction, la multiplication des chantiers et des missions permet de renouveler les contrats assez facilement, mais un recrutement n’est pas exclu. «Pour les salariés de production, c’est une procédure privilégiée et une tendance qui prédomine depuis longtemps. Comme notre besoin temporaire en personnel est très irrégulier, nous préférons la souplesse de l’intérim par rapport au CDD. En cas de besoin, si l’intérimaire a fait ses preuves et correspond au profil recherché, nous l’engageons en CDI.» Selon la directrice des ressources humaines de CDC, «une société doit regarder d’un peu plus près le CV d’un intérimaire», afin de dénicher éventuellement un fort potentiel.

Suzi Weis (Goodyear) renchérit: «La période d’intérim peut constituer de fait une bonne période d’essai. Nous avons déjà recruté de bons intérimaires. Comme on applique la même procédure de recrutement pour tous les types de contrats de travail, si le travailleur intérimaire a une bonne performance et qu’il est toujours motivé, il n’y a aucune raison pour qu’il ne soit pas engagé.»

Entre stabilité et papillonnage

L’emploi par intérim peut donc participer au reclassement des chômeurs. Sauf dans les institutions européennes ou assimilées, comme au FEI, où «l’intérim ne peut pas être considéré comme une période d’essai», ainsi que l’explique Martine Lepert. «Même si une personne très compétente est trouvée par ce biais, elle devra passer par une procédure de recrutement stricte, comprenant notamment des tests techniques et des entretiens.» Dans les institutions comme le Parlement européen ou la Commission européenne, passer un concours est nécessaire afin d’obtenir un CDI et devenir fonctionnaire.

Le responsable des ressources humaines de la grande surface de Foetz met en perspective une certaine évolution des mentalités dans la per­ception du travailleur intérimaire: «Quand j’ai démarré ma carrière luxembourgeoise en 2000, être salarié intérimaire était considéré comme un échec. Maintenant l’image est plus positive. Ils ne sont plus considérés comme des ‘bouche-trous’, ils bénéficient d’un meilleur accueil au sein des sociétés utilisatrices et d’un meilleur encadrement par les sociétés d’intérim. En plus, ces dernières soignent mieux leurs salariés intérimaires.»

Même si son homologue dans la construction, Mechthild Plate, craint elle effectivement «qu’un intérimaire qui travaille des années sous ce statut lutte plus pour trouver un emploi stable», d’aucuns diront qu’un salaire, fût-il temporaire, vaut mieux qu’une allocation de chômage. Les professionnels des ressources humaines abordent donc le sujet sans complexe et préfèrent laisser chacun en juger puisque, finalement, les parties prenantes, entreprises et intérimaires, semblent y trouver leur intérêt. «Pour certains, il est préférable de décrocher un contrat fixe aussi vite que possible, car l’intérim est un frein à certains épanouissements personnels. D’autres préfèrent tout simplement papillonner», selon M. Heine dont les propos trouvent un écho boulevard Konrad Adenauer où Martine Lepert confirme que «l’on peut aussi y rencontrer des gens qui aiment travailler de cette façon. Pour certaines personnes, le fait de changer d’environnement de travail ajoute à l’intérêt».

Les dispositions légales régissant le travail temporaire sont en cours d’harmonisation au niveau européen avec la directive d’assouplissement des mesures d’utilisation et d’encadrement de l’intérim, dans le cadre de la stratégie européenne pour l’emploi. Les relations entre les travailleurs, les entreprises utilisatrices et les entreprises de travail intérimaires seront alors encadrées. Cet aspect revêt une importance majeure pour les professionnels, même si peu semblent au fait de cette future législation. Les relations entre l’utilisateur de travail intérimaire et les agences d’intérim ont un impact direct sur l’activité économique de l’entreprise. Mechthild Plate (CDC) préconise une «personnalisation des relations avec notamment une aide sur les formations, car dans le cadre de sa politique QSE (voir encadré ci-contre), CDC demande à ce que les intérimaires soient formés aux procédures de sécurité au préalable». Les grands comptes comme Goodyear bénéficient eux sans doute d’un traitement privilégié: «Ils laissent tout tomber quand nous appelons, j’en suis sûre», plaisante Suzi Weis.

En fait, tous les critères requis par l’utilisateur sont définis dans un cahier des charges donné aux autres Randstad, Adecco, Vedior, Tempo Team, etc. Chacun préfère donc y avoir un interlocuteur pri­vilégié. Mme Lepert témoigne: «Après un certain temps, l’agence connaît mieux nos besoins et nous bénéficions même d’un interlocuteur unique. Ainsi cette personne a conscience de la culture, de l’environnement et des exigences requises.» Un suivi est même effectué. Christophe Heine raconte rencontrer «les agences avec lesquelles il travaille régulièrement pour faire le point sur ce qui fonctionne et ce qui marche moins bien.»

 

Définitions - Intérim et CDD

Selon l’article L.131-1 du code luxembourgeois du travail, est considéré comme salarié intérimaire celui qui s’engage dans le cadre d’un contrat de mission pour être mis à la disposition provisoire d’un ou de plusieurs utilisateurs pour l’accomplissement d’une tâche précise et non durable. Le contrat de mission ne peut être renouvelé que deux fois pour une durée déterminée. Selon l’article L.122-1 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée peut être uniquement conclu pour l’exécution d’une tâche précise et non durable. Il ne doit avoir pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
En d’autres termes, il ne peut se substituer à une période d’essai et son acception est résolument limitative afin d’encourager l’embauche par contrat à durée indéterminée… ou par intérim.

Politique RSE - Un travail tripartite

La gestion des ressources humaines et des travailleurs intérimaires entre dans le cadre du système de management intégré Qualité, Sécurité, Environnement (QSE) chez CDC. Mechthild Plate, DRH de la société, explique: «Pour nous, la réussite de la gestion des intérimaires dans une démarche RSE (responsabilité sociale des entreprises) réside dans de bonnes relations de travail entre l’agence d’intérim, l’intérimaire et nous, la société utilisatrice.» La société privilégie donc l’établissement d’un cahier des charges exhaustif, la qualité de service de l’agence ainsi que l’accueil et l’intégration de l’intérimaire, «au même titre qu’un nouvel embauché». La DRH justifie: «Une intégration réussie réside dans la capacité de le motiver en lui assurant de bonnes conditions de travail, en assurant la sécurité et le respect environnemental.»