«Peut-être finalement sortira-t-il quelque chose de positif de secouer et bouleverser à ce point les choses que l’on croyait établies», estime Marie Owens Thomsen. (Photo: Licence C.C.)

«Peut-être finalement sortira-t-il quelque chose de positif de secouer et bouleverser à ce point les choses que l’on croyait établies», estime Marie Owens Thomsen. (Photo: Licence C.C.)

Madame Owens Thomsen, quel regard global portez-vous sur les résultats du premier tour des élections présidentielles en France?

«Il y a tout d’abord un certain sentiment de soulagement ressenti sur les marchés, dû au fait que l’on a évité la situation très particulière qu’aurait représentée la présence de deux candidats des extrêmes au second tour.

Ensuite, même si le récent exemple américain a montré que tout était possible, la probabilité de succès au second tour de Mme Le Pen reste très faible, car elle devrait capturer plus du double des votes acquis au premier tour. La perspective tout à fait raisonnable d’un succès d’Emmanuel Macron représente une bonne nouvelle pour les acteurs financiers, rassurés par son approche pro-européenne. 

Les grandes lignes de son programme économique sont-elles convaincantes?

«Tout se jouera dans la capacité qu’il aura à mener les réformes structurelles dont a besoin la France. Il annonce vouloir réduire de 120.000 le nombre de fonctionnaires. Pour l’ensemble du pays, ce serait vraiment une bonne nouvelle. La France me rappelle la Suède il y a une vingtaine d’années. Au début des années 90, elle a lancé un grand plan de réformes, qui est notamment passé par une baisse drastique du nombre de fonctionnaires de plus de 20%. Au final, le poids de la dette est passé de quelque 80% du PIB, au début des années 1990, à 37% en 2012. Cela veut dire que ça peut marcher! Et si la France est prête à accepter ce genre de réforme, alors ce serait vraiment une extrêmement bonne nouvelle. Mais tout dépendra de la capacité qu’aura le prochain gouvernement à légiférer facilement.

Tout se jouera dans la capacité qu’il aura à mener les réformes structurelles dont a besoin la France.

Marie Owens Thomsen, global head of economic research chez CA Indosuez

Et là, vous faites allusion à ce qu’on appelle «le troisième tour», c’est-à-dire les élections législatives de la mi-juin…

«Évidemment! Si le futur président est en mesure de choisir un Premier ministre qui appartient à la même majorité que lui, alors il peut accaparer l’initiative législative et mener le programme qu’il veut. Dans le cas contraire, on serait dans un contexte de cohabitation déjà connu par le passé où le président serait principalement cantonné aux domaines d’influence que lui garantit la Constitution, c’est-à-dire la politique étrangère et la défense.

Dans le cas où M. Macron serait élu, à grande inconnue reste évidemment de savoir sur quelle majorité il pourra s’appuyer. Il n’a pas de parti et la gauche et la droite traditionnelles sont très divisées. La formation du gouvernement risque d’être très compliquée. Cette incertitude est vraiment inédite, en l’absence de tout point de repère que l’on rencontre habituellement dans ces situations. Mais dans ce cas-là, l’enjeu sera surtout un enjeu national et ne devrait pas remettre en cause le projet européen.

Peut-être finalement sortira-t-il quelque chose de positif de secouer et bouleverser à ce point les choses que l’on croyait établies. Mais il est évidemment trop tôt pour le savoir.

Que retenez-vous d’autre de ce qui s’est passé dimanche en France?

«L’onde de choc de ce résultat intermédiaire est évidemment bien moindre que ce que l’on a vécu aux États-Unis avec Donald Trump ou en Grande-Bretagne avec le Brexit. Bon nombre de médias anglo-saxons, notamment, imaginaient que ce scrutin en France s’inscrirait directement dans la continuité de ces deux événements majeurs.

Au final, on se retrouve plutôt dans un scénario comme en Espagne, en Autriche ou aux Pays-Bas, où la grande tendance anti-européenne n’est pas parvenue à s’exprimer autant qu’ont pu le faire certains de ces médias.»