François Pauly évoque la transition de la « nouvelle  BIL » en faisant preuve d’optimisme dans la mesure. (Photo : Andrés Lejona)

François Pauly évoque la transition de la « nouvelle BIL » en faisant preuve d’optimisme dans la mesure. (Photo : Andrés Lejona)

Monsieur Pauly, brisons tout de suite la glace. Est-ce que votre nomination à la tête de la BIL a été, d’une manière ou d’une autre, liée à l’arrivée des nouveaux actionnaires, Precision Capital, une société dirigée par des membres de la famille royale du Qatar, pour 90 %, et l’État luxembourgeois pour le reste ?

« Non. Au mois de mai 2011, Dexia n’avait pas de vue sur la vente de la banque.

Votre fonction d’administrateur délégué n’a-t-elle donc pas été remise en cause par la vente, par Dexia, de sa filiale luxembourgeoise ?

« J’ai eu divers contacts avec les nouveaux actionnaires. L’État luxembourgeois d’abord bien sûr, mais j’ai aussi participé aux négociations initiales avec les Qataris qui dataient du premier week-end d’octobre.

La famille royale qatarie a donc fait le choix d’acquérir la banque très vite (la transaction a été officialisée le 10 octobre)…

« Ils avaient envie d’investir à Luxembourg depuis longtemps. Et il vrai que, pour ce cas d’espèce, c’est allé très vite.

Puisque la KBL a été rachetée par les mêmes investisseurs, un rapprochement avec cette banque est-il à l’horizon ?

« La KBL et la BIL sont deux acquisitions différentes, avec des actionnariats distincts. D’un côté, vous avez uniquement Precision Capital, et de l’autre il y a Precision Capital et l’État luxembourgeois. Ces deux transactions ont des mérites propres. Elles n’ont pas été faites, à court terme, dans un but de rechercher des synergies immédiates entre les deux banques.

Vous sous-entendez que l’État va s’engager résolument à défendre son point de vue sur la gestion de la BIL ?

« L’État sera représenté dans le conseil avec des administrateurs. Il pourra donc prendre part aux décisions importantes de la société. Ce n’est pas neutre.

Avant ce closing, il faudra avoir le feu vert de la Commission européenne qui a ouvert une enquête approfondie sur les conditions de vente. Quelle serait la marge de manœuvre si l’exécutif européen décidait que le prix ne correspond pas aux conditions normales de marché ?

« C’est une question qu’il faudrait poser aux actionnaires.

Comment jugez-vous les résultats de la BIL après cette année un peu folle ?

« D’un côté nous avons un résultat récurrent positif de 151 millions d’euros. Dans un environnement économique difficile et plus particulièrement au niveau du groupe Dexia, il se place légèrement en baisse par rapport à 2010. Nous le jugeons positif, car il révèle que la banque a dégagé du profit sur ses métiers phares. Pour ce qui est du résultat exceptionnel, nous avons acté dans les livres la cession des participations qui ne feront plus partie du groupe BIL, notamment la cession du portefeuille obligataire, dit legacy. Cette dernière s’est faite au prix du marché. Nous avons considéré toutes les moins-values sur ce portefeuille au 31 décembre 2011, ce qui nous a conduits à un résultat consolidé négatif d’1,9 milliard d’euros.

Mais cela veut dire aussi que le passé, et plus particulièrement le démembrement du groupe, est reflété dans ce résultat. Nous avons donc des bases saines pour le renouveau de la banque.

Comment va-t-il se matérialiser ?

« Je crois qu’il s’est déjà matérialisé dans une certaine mesure. Revenons par exemple sur la crise. Nous avions déjà trouvé une solution pour stabiliser la banque dès la première semaine d’octobre. Début novembre, nous avons repris notre marque historique. Cela a été entériné en mars par les actionnaires lorsqu’ils ont voté le changement de dénomination sociale.

Notre stratégie consiste à montrer clairement à notre clientèle et à nos employés qu’il y a un avenir hors du groupe Dexia. Nos métiers restent la banque de détail avec notre réseau d’agences au Luxembourg, la banque privée, la banque des entreprises et l’activité de marchés financiers. Ceci dans une géographie différente selon l’activité : la banque de détail et corporate s’adresse à la Grande Région. Les clients du private banking sont servis depuis le Luxembourg, la Suisse, le Moyen-Orient, Singapour et le Danemark. L’activité de marchés financiers est gérée depuis le Grand-Duché, la Suisse et Singapour.

Quelles sont plus particulièrement les vocations des filiales à Singapour et en Suisse ?

« Ces filiales nous assurent une présence physique au sein de centres financiers de référence au niveau mondial et elles sont avant tout des centres de compétences dédiés aux clients privés et institutionnels.

Pour la banque privée, la présence en Asie date de 1978 à travers l’ouverture d’un bureau à Singapour. Depuis 1982, nous y avons une licence bancaire. Nous sommes en Suisse depuis 1984. Nous avons une marque établie sur ces marchés et nous voulons la redévelopper. Malheureusement, on n’a pas pu le faire depuis 2008, puisque la Commission européenne avait interdit au groupe de développer ses activités hors Europe. Aujourd’hui, nous sommes contents de pouvoir les redémarrer ou de les continuer.

L’activité de marchés financiers consiste à, d’un côté, gérer notre bilan et les liquidités dans nos livres. De l’autre, offrir des prestations à nos trois autres métiers. La BIL a toujours gardé une salle de marché opérationnelle qui fait à la fois des devises, des produits taux, des dérivés, ainsi que le courtage en actions, obligations et fonds. Il s’agit d’une activité qui, souvent dans des groupes, remonte dans les salles de marché plus importantes, au niveau de la maison mère. Nous avions gardé cela et aujourd’hui nous sommes heureux de jouir de cette importante infrastructure.

Comment s’est décidé le choix des activités qui resteraient dans le périmètre  de la BIL lors de sa cession par Dexia?

« D’abord, un acheteur vous regarde et considère ce qui l’intéresse et ce qui l’intéresse moins. Des réflexions sont à mener sur une partie du portefeuille d’activités. La BIL, telle qu’elle existait, avait son histoire, mais aussi celle d’un groupe, qu’elle avait suivi dans son développement.
Les droits de préemption ont aussi compté. Nous avions un partenariat 50-50 avec la Royal Bank of Canada pour RBC-Dexia. Lorsque la décision de vendre a été prise, le droit de préemption a été exercé.

Enfin, l’acquéreur a aussi cherché à éviter les doublons et a regardé sur le marché si quelqu’un ne cherche pas à reprendre telle ou telle activité.
Le périmètre de la cession est défini en fonction de tout cela. Pour ce qui concerne le portefeuille legacy, vraiment le problème du groupe Dexia dans la crise en 2011, il y avait clairement une volonté de l’acquéreur de ne pas continuer avec cette activité, considérée comme surdimensionnée.

Quel rôle avez-vous joué à ces instants ?

« Il faut dire qu’en tant que manager je cherchais à développer des activités qui ont un sens pour l’avenir. Nous aurions très bien pu garder le métier de banque dépositaire pour des fonds retail. Mais il est impossible de recommencer à zéro sur ce marché aujourd’hui. Il faut avoir une certaine taille. Nous aurons néanmoins quelques solutions spécifiques selon les besoins du client. Nous ferons du sur mesure au niveau des fonds d’investissement spécialisés, des fonds dédiés, des fonds immobiliers… là nous avons toujours l’infrastructure pour le faire. Nous n’allons pas nous lancer dans l’aventure comme nous l’avons fait il y a quelques années avec RBC Dexia.

Vous vous êtes rendu à Doha en janvier. Quels genres de contacts ont été noués sur place ?

« Nous y sommes allés dans le cadre d’une mission économique préparée depuis plus d’un an. Il s’agit d’une pure coïncidence. Nous nous rendons dans la région du Golfe sur un rythme bisannuel. Il y avait des représentants de la BIL, mais aussi d’autres banques luxembourgeoises. Il n’y avait aucune négociation de notre côté à ce moment-là au Moyen-Orient.

À nouveau, nous ne sommes pas propriétaires de la banque, ni maintenant ni dans le futur. Dans ce genre de négociation, seuls les vendeurs et acquéreurs décident. Notre présence était liée à cette mission pour voir comment peut se développer le business dans la région, mais elle n’était pas en relation avec notre changement d’actionnariat.

C’était quand même l’occasion de discuter avec les futurs actionnaires…

« Dans une négociation qui à ce stade-là n’était pas bouclée, les conventions de confidentialité entre les parties ne vous autorisent pas à contacter directement le management ou l’inverse. La transaction se passe à travers les banquiers d’affaires et les conseillers, entre l’acheteur et le vendeur. Vous n’allez pas sonner une fois là-bas pour prendre rendez-vous. Ce sont des relations assez institutionnalisées. Ce week-end de fin janvier n’était pas lié à cela. Je suis par exemple personnellement allé à Bahreïn pour voir mes équipes sur place, à Dubaï pour voir les gens du centre financier (DIFC) et envisager peut être une présence là-bas, mais à Doha, nous étions dans la délégation, dont j’étais l’un des intervenants. Le ministre qui s’y est rendu a lui, en tant qu’acquéreur, peut-être rencontré les autres acquéreurs. Je l’ignore.

Justement, la BIL est souvent mentionnée par le gouvernement comme étant une banque systémique. N’est-ce pas surtout de la rhétorique politique ?

« Ce n’est pas vraiment à nous de le juger, mais depuis 2007 et l’avant-dernière crise, la Banque centrale européenne a identifié dans tous les pays un certain nombre de banques qui font partie de la stabilité de l’infrastructure journalière des paiements. Si une de ces banques n’était plus disponible, le système s’écroulerait. Des difficultés au niveau d’une des banques systémiques entraîneraient donc de lourdes conséquences vu leur importance dans l’économie nationale et les systèmes de paiements quotidiens.

L’année dernière, le Financial Stability Board (FSB) a identifié une trentaine de banques dans le monde comme systémiques. Dexia était reconnue comme l’une d’entre elles avec ses présences en Belgique, en France et au Luxembourg. Dans la tuyauterie du système financier, si une banque comme la nôtre ne pouvait pas ouvrir le matin, le système pourrait très bien vaciller du mauvais côté.

Ce qui justifie l’intervention étatique…

« Un investisseur comme l’État luxembourgeois, conscient que la place financière représente entre 30 et 40 % du produit national brut, doit essayer de stabiliser le système, comme il l’avait fait à l’époque pour la BGL. Pour la BIL, avec des sommes beaucoup moins importantes, le gouvernement a voulu montrer à l’extérieur que les banques luxembourgeoises sont soutenues en cas de problème. Au niveau de la BIL, ce n’était pas si grave, mais avec ces 10 %, il a été montré aux agences de notation, qu’un soutien existe si nécessaire. Même si l’État n’a pas la vocation à devenir actionnaire de toutes les banques luxembourgeoises, cela va de soi.

Doit-on comprendre qu’aucune décision stratégique n’a été prise avec les nouveaux actionnaires sur un horizon temporel à moyen terme ?

« Lorsque les deux acquéreurs ont montré leur intérêt, ils avaient une certaine période d’exclusivité pour effectuer une due diligence, soit une analyse en profondeur de la banque. Nous avons rassemblé d’énormes quantités d’informations sur son fonctionnement. Cela représentait des milliers de pages. Ce qui était encore plus important, le 2 novembre, le management a pu présenter sa vue stratégique sur la banque de l’avenir : les quatre métiers, la présence géographique, les clients cibles, un business plan, etc. Cela a été la base de leur réflexion sur leur volonté définitive d’acheter la BIL ou pas.
Ils ne sont pas venus – et c’est là une chance d’avoir un actionnaire comme ceci – en prétendant connaître le marché luxembourgeois parfaitement. C’est un investisseur qui croit en notre business model, en nos équipes en place, qui voit que cette banque a passé un moment difficile dans un groupe qui malheureusement a connu un sort que tout le monde connaît aujourd’hui. Il voit qu’il y a un avenir pour cette banque.

Aucune nouvelle stratégie ne sera annoncée le jour du closing. Elle peut évoluer cela dit. Si une opportunité d’achat se présente, des marchés qui s’ouvrent ou des synergies possibles entre des entités dans notre groupe, alors on va évaluer la chose. Nous préservons une continuité de notre projet d’entreprise.

Peut-on mesurer d’ores et déjà le degré d’ingérence de vos futurs actionnaires ?

« Entre la signature du contrat de vente et la clôture de la transaction, il faut gérer la banque en bon père de famille et ne pas prendre des décisions sans avoir consulté ou sans être sûr que c’est dans l’intérêt de la banque. Aujourd’hui, on ne peut pas acheter une autre banque en Suisse sans avoir obtenu le feu vert de nos actionnaires actuels et futurs.

Nous serons d’ailleurs rachetés par un actionnaire similaire à un family office, qui a donc des structures extrêmement légères. Il s’agit d’un véhicule d’investissement d’un groupe de personnes issues d’une famille extrêmement fortunée. Des centaines de banquiers ne vont pas être parachutés sur Luxembourg pour occuper les principales fonctions de la banque. Ils n’ont a priori ni la volonté, ni les moyens pour le faire, car ils n’ont pas ce genre d’équipes à disposition.

Mais à terme il est clair que les actionnaires et le conseil d’administration continueront de prendre des décisions dans l’intérêt de la banque, mais aussi des clients, et j’espère à long terme. C’est le message qu’ils véhiculent. Ils ne viennent pas pour faire un aller-retour rapide sur leur investissement.

Doit-on s’attendre à des investissements d’envergure pour le plan d’expansion de la BIL ?

« La question est : avons-nous la taille critique ? Là, le management est d’avis qu’il faut évaluer certaines opportunités sur des marchés bien identifiés et viser une croissance externe comme au Moyen-Orient (quoique nous y voyons plus des équipes envoyées ponctuellement que des entités sur place), en Suisse, en Asie, etc. Au Luxembourg, l’activité d’assurance gérée par Dexia Life and Pensions (DLP) est devenue International Wealth Insurer (IWI) et appartient maintenant à Belfius. Il faut réfléchir à ce que nous allons faire dans ce domaine-là, ce que nous rachetons… Nous sommes toujours actionnaires minoritaires, et cette plate-forme d’assurances vie sur Luxembourg aujourd’hui détenue par l’État belge ne fait pas beaucoup de sens. 90 % des clients viennent de chez nous. Il serait logique que nous reprenions cette activité à des conditions intéressantes. Si tel n’est pas le cas, nous allons la monter nous-mêmes.

Alors quels sont les objectifs pour 2012 ?

« Cette année sera, d’un côté, une année de transition pour une banque qui sort d’un groupe dans lequel elle était intégrée depuis 20 ans, avec tout ce que cela veut dire en termes de direction, de mise en place. Ce sera une sortie physique du groupe déjà reflétée dans les résultats 2011. Et ce sera le redémarrage de certaines activités de la banque.

Quand j’ai rejoint la banque en septembre, j’ai dit qu’il y aurait trois phases : la première relève de la stabilisation, la deuxième de la fidélisation et la troisième, la relance. Nous sommes maintenant entre fidélisation et relance. Les gens sont contents de voir une banque dotée d’un projet d’entreprises dans l’intérêt de la clientèle.

Nos deux futurs actionnaires ne sont pas cotés en Bourse, ce qui est en soi un grand avantage. Nous avons intégré à notre logo un petit clin d’œil, la date 1856, pour indiquer que la BIL a traversé d’autres crises. Nous avons connu des moments importants de développement et nous voulons renouer avec notre histoire. S’il ne faut pas toujours forcément regarder derrière, auquel cas nous nous casserions le nez devant, nous allons donc construire sur des bases solides. »

 

Conseil d’administration - Mode d’emploi

La composition du conseil d’adminis­tration appartient aux futurs actionnaires. Quand la transaction sera clôturée – François Pauly espère cet été – l’assemblée générale réunie extraordinairement actera la démission des administrateurs de Dexia et l’arrivée des représentants des nouveaux actionnaires, dont cer­tainement des consultants, à l’instar de ce qui s’est produit chez Cargolux. Frank Wagener, président du conseil d’administration, ne se sent, lui, pas inquiété.

Agences de notation - « Point crucial »

Le rating de la BIL une fois en stand alone déterminera la capacité de la banque à lever des emprunts. François Pauly qualifie la chose comme « cruciale ». Des précontacts et préanalyses ont été effectués avec deux agences de notation. « Après le closing, la banque aura une note. Malgré tout ce qu’on
peut en dire, c’est un outil important pour les clients internationaux », analyse M. Pauly.